Cartulaire de Cormery/1/06

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Guilland-Verger (p. liv-lix).

CHAPITRE VI.

Description des bâtiments de l’abbaye.

En traversant un grand nombre de siècles, le monastère de Cormery, comme les autres établissements religieux, eut à subir des changements considérables. Sans parler des agrandissements entrepris durant la prospérité, le malheur des temps et le fléau des guerres nécessitèrent des réparations importantes, ou même la reconstruction de l’église, des lieux réguliers et des bâtiments de service. Les travaux furent exécutés à des dates diverses ; c’est assez dire qu’ils portaient un cachet particulier. Le plan d’ensemble ne différait guère de celui que les besoins de la vie monastique avaient tracé de bonne heure et introduit dans toutes les maisons bénédictines. Si quelques détails rompaient l’unité de style en architecture, chaque partie, néanmoins, avait un caractère de distinction que le moyen-âge imprima sur tous ses ouvrages.

L’édifice construit par Ithier, fondateur du monastère, était simple et de petites dimensions. Le luxe de l’architecture avait dû être réservé pour l’église. Sous le règne de Charlemagne l’art de bâtir avait éprouvé une véritable renaissance. Nous ignorons en quoi consistait l’œuvre primitive. Ce que nous savons, c’est que l’abbé de Saint-Martin-de-Tours était pressé de la voir consacrée au but auquel il la destinait, puisque, la basilique reçut sa dédicace avant d’être complètement achevée.

L’abbé Fridegise, après l’arrivée des religieux de Saint-Benoît-d’Aniane, construisit le cloître, les salles communes, les autres lieux réguliers, et rebâtit l’église, du moins en partie. Les textes obscurs à l’aide desquels ces faits nous sont révélés sont trop laconiques pour que nous puissions nous faire une juste idée de la nature des travaux. La haute position que Fridegise occupait dans l’État, la magnificence que tous les grands personnages de l’époque déployaient dans leurs entreprises nous portent à croire que rien n’avait été négligé dans le monastère de Cormery. Dès l’origine, le principal autel fut dédié à l’apôtre saint Paul, patron de la nouvelle communauté.

L’habitation des moines n’avait rien que de simple et même d’austère. Les mœurs du temps, d’ailleurs, étaient rudes, et les moines, ayant embrassé un genre de vie mortifié, se privaient naturellement de ce qui constituait alors le confortable dans les maisons seigneuriales. Le ixe siècle, témoin des premiers développements du monastère, faillit être le témoin de sa ruine. Les Normands le pillèrent et le dévastèrent. La restauration en fut faite quelques années après, grâce aux libéralités de deux seigneurs de Perusson. Mais cette opération fut incomplète, et les vieux bâtiments tombaient de vétusté au commencement du xie siècle. L’abbé .

Robert, Ier du nom, successeur de Richard, les releva avec magnificence, dans ce style romano-byzantin, grave et majestueux, qui excite encore l’admiration des connaisseurs. Cet abbé, connu sous le nom de Robertus Infernus, déploya la plus grande activité dans la reconstruction de son abbaye. La mort, cependant, le prévint avant l’achèvement des travaux : il rendit le dernier soupir en 1048. Robert II eut le plaisir de les terminer. La dédicace solennelle fut faite le 13 novembre 1054 par Barthélémy de Faye, archevêque de Tours, assisté d’Eusèbe Brunon, évêque d’Angers, et de Martin, qualifié évêque des Bretons, c’est-à-dire d’Aleth, aujourd’hui Saint-Malo. On vit à la cérémonie beaucoup d’abbés et d’ecclésiastiques, grand nombre de seigneurs du voisinage et une foule de peuple accourue des paroisses. environnantes. L’église abbatiale était à trois nefs, et précédée d’un vaste porche ou vestibule. Les bas-côtés étaient fort étroits, semblables en cela à ceux de l’église de Preuilly ; ils se prolongeaient autour du sanctuaire et donnaient accès à cinq chapelles latérales, sans compter les autels placés dans les bras du transsept. Le maître-autel fut de nouveau consacré à saint Paul. L’autel matutinal, au chevet, fut dédié à la sainte Trinité. Les autres autels furent placés sous le vocable du Crucifix, de la sainte Vierge, de saint Jean, de saint Nicolas, etc.

De ce monument, la tour des cloches et la grande nef subsistaient encore à la fin du xviiie siècle, au commencement de la Révolution. L’abside, le chœur et le transsept furent rebâtis par l’abbé Thibault de Chalon.

Commencée en 1296, l’œuvre ne fut achevée que dans les premières années du xive siècle, avec le concours des prieurs dépendants de l’abbaye.

Après le passage des Anglais, Guillaume de Hotot répara l’église et le monastère. Plus tard, en 1463, Pierre Berthelot fit exécuter encore des travaux considérables et éleva la tour Saint-Jean. C’est à lui qu’on dut la construction des remparts et fortifications de la ville. Enfin, deux chapelles avaient été réédifiées sous le règne de Charles VIII.

Le Plan géométral de l’ancienne abbaye, que nous publions d’après une, pièce déposée aux Archives du département d’Indre-et-Loire[1], suppléera aux descriptions qui nous manquent, et fera comprendre la disposition des lieux. Il en est de même de la Vue de l’abbaye, que nous publions d’après un dessin exécuté en 1699, et déposé aujourd’hui à la bibliothèque impériale[2].

Non contents d’entretenir les bâtiments de l’abbaye, les Bénédictins de Cormery firent construire l’église Notre-Dame-de-Fougeray, qui sert de paroisse à la ville. C’est un monument du xiie siècle, avec une coupole byzantine ; il doit être regardé comme un des plus curieux de la Touraine. Des réparations y furent exécutées à la fin du xive siècle, quand les bandes anglaises eurent été refoulées vers le midi de la France.

Pour être justes, nous devons ajouter que les religieux de Saint-Paul s’imposèrent en tout temps les plus lourds sacrifices pour les besoins de la ville de Cormery. Jamais ils ne séparèrent leurs intérêts de ceux de la population groupée autour de leur abbaye. Beaucoup de maisons furent élevées à leurs frais, et tant qu’ils en restèrent propriétaires ils se montrèrent les maîtres les plus accommodants. Tous les sept ans, ils payaient pour la ville une somme de 200 livres au domaine de Loches, appartenant au roi : cet impôt s’appelait la septénaire.

Les abbés étaient les seigneurs spirituels et temporels dé Cormery. Ils nommaient à la cure de Notre-Dame-de-Fougeray, et ils exerçaient la justice par le ministère d’un bailly, d’un procureur et d’un greffier. La ville était administrée par un maire et un syndic. Il y avait un notaire et un contrôleur.

L’abbaye demeura toujours sous la haute juridiction de Saint-Martin-de-Tours. En 1212, le chapitre de Saint-Martin fit la visite du monastère par des commissaires ayant délégation du Saint-Siège. Lors même que les abbés de Cormery, en 1456, eurent obtenu des légats du pape l’autorisation de porter la mitre et la crosse, et de se servir de tous les insignes épiscopaux, ils furent toujours obligés de reconnaître la suprématie de l’illustre collégiale de Tours. En signe de sujétion, quand l’abbé de Cormery avait rendu le dernier soupir, le bâton abbatial était déposé sur le tombeau de saint Martin, et l’abbé nouvellement élu allait le reprendre au même endroit. En 1456 et 1490, le chapitre exerça la juridiction épiscopale sur le supérieur et les religieux de Saint-Paul. Le cardinal Jean du Bellay, en 1536, le cardinal de Lorraine en 1549, et le cardinal de Lenoncourt en 1552, en qualité d’abbés commendataires de Cormery, écrivirent au chapitre de SaintMartin des lettres dans lesquelles ils reconnaissent publiquement qu’ils lui doivent subjection, obéissance et révérence[3].



  1. Voir Pl. i.
  2. Départ. des estampes, topographie, portefeuille d’Indre-et-Loire, arrondissement de Tours, fol. 150. — Voir Pl. ii.
  3. Notes autographes de D. Rousseau, tom. xviii.