Catéchisme d’économie politique/1881/08

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 42-47).
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CHAPITRE VIII

De la formation des Capitaux


Comment se forment les capitaux ?

Par des épargnes.

Qu’est-ce qu’une épargne ?

Nous épargnons quand nous ne consommons pas pour nos besoins ou pour nos plaisirs une valeur nouvelle, résultat des profits que nous avons faits. L’épargne est la valeur qui a été ainsi épargnée. C’est par des épargnes successives que l’on forme et que l’on grossit ses capitaux.

Comment l’épargne peut-elle grossir un capital ?

Parce qu’un profit est une valeur nouvelle, indépendante de nos fonds de terre et de nos fonds capitaux antérieurement existants. Or, quand cette valeur nouvelle est employée en forme d’avance, c’est-à-dire perpétuellement remboursée, elle compose un fonds permanent qui dure aussi longtemps qu’on ne le dissipe pas et qu’on l’emploie à des usages reproductifs ; ce qui constitue une nouvelle portion de capital.

Éclaircissez cette idée par un exemple ?

Un bijoutier qui fait pour 6000 francs de profits dans une année, s’il se contente de 5000 francs pour la dépense de lui et des siens, augmentera son capital de 1000 francs.

Comment peut-il employer cette épargne à des avances productives ?

Il achète une plus grande quantité des matières qu’il façonne, il salarie un plus grand nombre d’ouvriers, etc. Dès lors, il travaille avec un plus gros capital ; et l’augmentation de ses profits est le prix du service rendu par le nouveau capital qu’il met en œuvre.

Comment un capitaliste peut-il employer ses épargnes ?

Un capitaliste qui prête ses capitaux, s’il en retire 10,000 francs de profits ou d’intérêts au bout de l’an, et s’il n’en dépense que 9000, augmente son capital de 1000 francs qu’il prête soit aux mêmes emprunteurs, soit à d’autres.

Que peut faire un propriétaire foncier de ses épargnes ?

Pour placer ses épargnes, il peut soit améliorer ses fonds par de nouvelles constructions, soit prêter ses épargnes à un homme capable de les faire valoir et qui lui en paie un loyer qu’on appelle un intérêt. Dès lors il devient capitaliste en même temps que propriétaire foncier.

S’il emploie ses épargnes à l’achat d’un nouveau morceau de terre, peut-on dire que les capitaux de la société sont augmentés ?

Oui ; car si celui qui a fait l’épargne et qui achète du terrain n’a plus ce capital pour faire des avances à l’industrie, et le vendeur du terrain se trouve l’avoir.

Comment fait un salarié pour se former un capital ?

Il est obligé de prêter ses épargnes à un entrepreneur d’industrie, car il n’y a que les entrepreneurs qui puissent faire valoir un capital.

Un capital peut-il se détruire comme se former ?

Oui ; il suffit pour cela, au lieu de consacrer un capital à des avances qui seront remboursées par des produits, de l’employer à des consommations non productives.

Les sommes épargnées ne font-elles pas tort aux producteurs ?

Non, si elles sont employées productivement.

Je croirais qu’une dépense supprimée supprime la demande qu’on faisait d’un produit et les profits que les producteurs faisaient sur ce produit.

Une dépense productive, bien qu’elle ne soit qu’une avance, nécessite la demande d’un produit.

Montrez-moi cela par un exemple.

Si j’épargne sur mes profits 1000 francs, et que je les prête à un entrepreneur de maçonnerie, j’achète moins de ces produits qui servent à ma consommation, jusqu’à concurrence de 1000 francs ; mais le maître maçon achète pour 1000 francs de produits de plus qu’il n’aurait fait. Seulement ce sont des produits différents. Ce sont peut-être des pierres de taille, produits du carrier ; des outils de son métier, produits du taillandier ; ce sont des journées d’ouvriers, et ces ouvriers emploient leurs salaires en nourriture, en vêtements, qui sont également des produits de différents producteurs. Cette épargne peut donc changer la nature des demandes, mais elle n’en diminue pas la somme.

N’a-t-elle pas des avantages réels ?

Oui ; elle permet à différents travailleurs de tirer parti de leurs facultés industrielles, de faire des profits qu’ils n’auraient pas faits et de les renouveler sans cesse, parce qu’un capital employé à des avances rentre autant de fois qu’il est avancé, et chaque fois il est de nouveau employé à acheter des services productifs[1].

Comment peut-on connaître si on a augmenté ou diminué son capital ?

Ceux qui n’ont point d’entreprise industrielle peuvent comparer ce qu’ils ont reçu avec ce qu’ils ont dépensé. S’ils ont moins dépensé qu’ils n’ont reçu, leur capital est accru du montant de la différence.

Pour ceux qui ont une entreprise industrielle, il n’y a d’autre moyen qu’un inventaire fidèlement dressé des valeurs qu’ils possèdent cette année, comparé avec un pareil inventaire dressé les années précédentes.

Pourquoi un inventaire est-il nécessaire du moment qu’on a une entreprise industrielle ?

Parce que le capital d’un entrepreneur se compose de diverses marchandises faisant partie soit des approvisionnements, soit de ses produits, qu’il doit évaluer au cours du jour, s’il veut connaître son bien. La majeure partie de son capital a changé de forme dans l’espace d’une année ; les provisions, les marchandises, qu’il possédait sont une valeur qui a été consommée reproductivement. Ce n’est donc qu’en comparant cette valeur avec celle qui en est résultée que l’on peut savoir si la valeur capitale s’est accrue ou a diminué.



  1. Voyez les chapitres xxv et xxvi.