Catéchisme d’économie politique/1881/19

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 115-119).
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CHAPITRE XIX.

De la distribution de nos Revenus.


À qui appartiennent les produits journellement créés dans une nation ?

Ils appartiennent aux industrieux, aux capitalistes, aux propriétaires fonciers, qui, soit par eux-mêmes, soit par le moyen de leur instrument, sont les auteurs de ces produits, et que nous avons en conséquence nommés producteurs.

Comment la valeur d’un produit unique se distribue-t-elle entre plusieurs producteurs ?

Par l’intermédiaire des entrepreneurs d’industrie, qui s’étant rendus acquéreurs de tous les services nécessaires pour une opération productive, deviennent propriétaires uniques de tous les produits qui en résultent.

Comment se rendent-ils acquéreurs des services d’une terre ?

En l’affermant. Un fermier, qui est un entrepreneur de culture, fait avec le propriétaire un marché à forfait au moyen duquel il lui paye une somme fixe, pour l’action de sa terre, qu’il exploite dès lors pour son compte. Le propriétaire renonce au revenu variable qui peut résulter de l’action de sa terre, suivant les saisons et les circonstances, pour recevoir en place un revenu fixe qui est le fermage.

Comment les entrepreneurs d’industrie se rendent-ils acquéreurs des services d’un capital ?

En l’empruntant et en payant au capitaliste un intérêt. Le capitaliste change ainsi en un revenu fixe le résultat incertain du service de ce capital que l’entrepreneur fait travailler pour son compte[1].

L’entrepreneur ne se rend-il pas acquéreur aussi de plusieurs genres de travaux industriels ?

Oui ; il acquiert par un traitement ou un salaire les services des employés, des ouvriers par qui il a besoin d’être secondé, et ceux-ci changent ainsi contre un revenu fixe la part qu’ils peuvent prétendre dans le produit qui résulte de leurs travaux.

Un produit n’est-il pas quelquefois le fruit de plusieurs entreprises successives ?

C’est le cas le plus fréquent.

Comment sa valeur se distribue-t-elle alors entre les différents entrepreneurs qui ont concouru à sa production, chacun pour son compte ?

Chaque entrepreneur, en achetant la matière première de son industrie, rembourse à l’entrepreneur qui le précède toutes les avances que ce produit a exigées jusque là et, par conséquent, toutes les portions de revenus que ses producteurs ont acquises jusqu’à lui.

Je voudrais en avoir un exemple.

Interrogez l’habit que vous portez ; il vous dira qu’il est le résultat en premier lieu de l’entreprise d’un fermier, qui, en vendant sa laine, a été remboursé de toutes les avances qu’il a faites lorsqu’il a payé aux différents producteurs de la laine les diverses portions de revenus auxquelles ce produit leur donnait des droits.

Le prix de cette laine, qu’achète un fabricant de draps, a été à son tour une avance que celui-ci a faite. Il y a ajouté d’autres avances, en achetant des drogues de teinture, en payant le service de ses commis, de ses ouvriers ; et il a été remboursé du tout par la vente de son étoffe à un marchand de draps.

Celui-ci, qui est entrepreneur d’une entreprise commerciale, a traité le drap comme étant la matière première de son industrie. L’achat qu’il en a fait a été une avance dont il a été remboursé à son tour par vous, quand vous avez acheté votre habit.

En examinant ainsi la marche de quelque produit que ce soit, on trouvera que sa valeur s’est répandue entre une foule de producteurs, dont plusieurs peut-être ignorent l’existence du produit auquel ils ont concouru ; tellement qu’un homme qui porte un habit de drap est peut-être, sans s’en douter, un des capitalistes et, par conséquent, un des producteurs qui ont concouru à sa formation.

La société ne se divise donc pas en producteurs et en consommateurs ?

Tout le monde est consommateur, et presque tout le monde est producteur. Car pour n’être pas producteur, il faudrait n’exercer aucune industrie, n’avoir aucun talent, et ne posséder ni la plus petite portion de terre, ni le plus petit capital placé.



  1. L’intérêt des bonifications et bâtiments qui se trouvent sur un bien-fonds et qui sont un capital engagé, se confond avec le fermage du bien-fonds. La même observation s’applique aux loyers des maisons d’habitation.