Catéchisme d’économie politique/1881/22

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 127-134).

CHAPITRE XXII.

Du revenu des capitalistes et des propriétaires fonciers.


Comment fait-on pour tirer un revenu d’un capital qu’on possède ?

On le fait valoir dans une entreprise industrielle, ou bien on le prête à une autre personne plus à portée de le faire valoir dans une semblable entreprise.

Que signifient ces mots : faire valoir un capital ?

Ils signifient faire l’avance des frais de production pour être remboursé avec profit de cette avance par le produit qui en résulte.

Comment un profit résulte-t-il de cette opération pour le capital qui a servi ainsi ?

La valeur du produit qui résulte de l’avance d’un capital et des autres services productifs paye le loyer de cette avance ; et si le prix du produit ne suffisait pas pour cela, sa production ne se continuerait pas, car elle n’indemniserait pas tous les producteurs des sacrifices qu’elle exigerait de leur part.

Quand un entrepreneur s’est servi d’un capital emprunté, qui est-ce qui s’approprie ce profit ?

C’est l’entrepreneur d’industrie ; mais il doit à son prêteur l’intérêt fixe qu’il s’est engagé à lui payer pour avoir la jouissance de son capital. L’entrepreneur perd ou gagne sur ce marché à forfait, selon qu’il retire, de l’emploi qu’il a fait du capital, un profit inférieur ou supérieur à l’intérêt qu’il en paye.

Quelles causes influent sur le taux des intérêts ?

L’intérêt des capitaux prêtés, quoique exprimé par un prix unique, un tant pour cent du capital prêté, doit réellement se décomposer en deux parts.

Expliquez cela par un exemple.

Si vous prêtez une somme, et que vous conveniez avec l’emprunteur d’un intérêt de six pour cent par année, il y a dans ce loyer quatre pour cent (plus ou moins) pour payer le service que votre capital peut rendre à l’entrepreneur qui le fera valoir, et deux pour cent (plus ou moins) pour couvrir le risque que vous courez qu’on ne vous rende pas votre capital.

Sur quoi fondez-vous cette présomption ?

Sur ce que, si vous trouvez à prêter le même capital, avec toute sûreté, sur une hypothèque bien sûre, vous le prêterez à quatre pour cent (plus ou moins). Le surplus est donc une espèce de prime d’assurance qu’on vous paye pour vous indemniser du risque que vous courez.

En mettant de côté cette prime d’assurance, qui varie suivant le plus ou le moins de solidité des placements, quelles sont les causes qui influent sur le taux de l’intérêt proprement dit ?

Le taux de l’intérêt hausse lorsque ceux qui empruntent ont des emplois de capitaux nombreux, faciles et lucratifs, parce qu’alors beaucoup d’entrepreneurs d’industrie sont jaloux de participer aux profits que présentent ces emplois de capitaux, et les capitalistes sont plus portés à les faire travailler eux-mêmes ; ce qui augmente la demande et diminue l’offre qui sont faites de capitaux à employer. Le taux de l’intérêt hausse encore, lorsque, par une cause quelconque, la masse des capitaux disponibles, c’est-à-dire des capitaux à employer, vient à diminuer[1].

Les circonstances contraires font baisser le taux de l’intérêt ; et l’une de ces circonstances peut balancer l’autre de telle sorte que le taux de l’intérêt reste au même point, parce que l’une des circonstances tend à le faire hausser précisément autant que l’autre tend à le faire baisser.

Quand vous dites que la masse des capitaux disponibles augmente ou diminue, entendez-vous par là la quantité d’argent ou de monnaie ?

Nullement ; j’entends les valeurs consacrées par leurs possesseurs à faire des avances à la production, et qui ne sont pas tellement engagées dans un emploi, qu’on ne puisse les en retirer pour les faire valoir autrement.

Éclaircissez cela par un exemple.

Je suppose que vous ayez prêté des fonds à un négociant pour qu’il vous les rende lorsque vous les lui demanderez, en le prévenant trois mois d’avance, ou, ce qui revient au même, que vous soyez dans l’usage d’employer vos fonds à escompter des lettres de change, ne pouvez-vous pas aisément faire travailler ces fonds d’une autre manière, si vous trouvez un emploi qui vous convienne mieux ?

Sans doute.

Dès lors, ces fonds sont un capital disponible ; ils le sont encore, s’ils sont sous la forme d’une marchandise de facile défaite, puisque vous pouvez les échanger aisément contre toute autre valeur. Ils le sont encore mieux s’ils sont en écus ; mais vous comprenez qu’il peut y avoir beaucoup de capitaux disponibles outre ceux qui sont en argent.

Je le comprends.

Eh ! bien, c’est la somme de ces capitaux qui influe sur le taux des intérêts, et non pas les sommes d’argent sous la forme desquelles peuvent se trouver passagèrement ces valeurs capitales, lorsqu’il s’agit de les faire passer d’une main dans une autre. Un capital disponible peut être sous la forme d’une partie de marchandises, comme sous celle d’un sac d’écus, et si la quantité de cette marchandise qui se trouve dans la circulation n’influe en rien sur le taux de l’intérêt, l’abondance ou la rareté de l’argent n’y influe pas davantage.

Ce n’est donc pas de l’argent que l’on paye réellement le loyer quand on paie un intérêt ?

Nullement.

Pourquoi dit-on que c’est l’intérêt de l’argent ?

On le dit à cause des idées peu justes qu’on se formait autrefois de la nature et de l’usage des capitaux.

Qu’est-ce que l’intérêt légal ?

C’est le taux fixé par les lois pour les cas où l’intérêt n’a pu être fixé par le consentement des parties ; comme lorsque le détenteur d’un capital en a joui à la place d’un absent ou d’un mineur auquel il en doit compte.

L’autorité publique ne peut-elle pas fixer une borne aux intérêts dont les particuliers conviennent entre eux ?

Elle ne le peut sans violer la liberté des transactions.

Quelles causes influent sur le taux des fermages ?

La quantité des demandes qui ont lieu pour prendre des fermes à bail, comparée avec la quantité des fermes à donner. On peut observer à ce sujet que la concurrence des demandeurs excède communément les fermes à donner, parce qu’en tout pays le nombre de celles-ci est nécessairement borné, au lieu que celui des fermiers et des capitaux qui peuvent se consacrer à cette industrie ne l’est pas nécessairement ; de sorte que, là où il ne se rencontre pas des causes plus puissantes pour produire un effet contraire, le taux des fermages se fixe plutôt au-dessus qu’au-dessous du profit que rapporte réellement le service productif des terres.

Qu’observez-vous encore à ce sujet ?

Que le taux des fermages tend néanmoins à se rapprocher du profit des terres ; car, lorsqu’il l’excède, le fermier, obligé de payer l’excédent ou sur le profit de son industrie, ou sur l’intérêt de son capital, n’est plus indemnisé complètement pour l’emploi de ces moyens de production. Autrefois[2] on regardait l’intérêt comme une exaction exercée par le riche sur le pauvre ; les gens d’église le proscrivaient comme contraire à la charité chrétienne ; on ne comprenait pas qu’en accompagnant l’usure de honte et de dangers, on l’accroit sans venir au secours du pauvre, et que l’on supprime le principal motif de l’épargne, qui est de se créer un revenu. On ne comprenait pas que le seul moyen de tirer l’indigent de la misère, de l’oisiveté et du vice, est de faciliter l’alliance des capitaux et du travail, et que l’on rend plus de services en procurant au pauvre les moyens de gagner lui-même sa subsistance qu’en lui faisant l’aumône.

Les jurisconsultes, trop souvent plus empressés à justifier les vues de l’autorité qu’à les ramener vers des principes conformes à l’équité et au bien public, avaient trouvé en faveur des préjugés existants ce beau principe que l’argent n’enfante pas l’argent, nummus nummum non parit ; plus versés dans l’économie politique, ils auraient su que, si l’argent n’enfante pas l’argent, la valeur enfante la valeur, et qu’il y a une analogie complète entre le loyer qu’on tire d’un capital et le loyer qu’on tire d’une terre[3].



  1. On trouve des exemples frappants de ces deux cas dans mon Traité d’Économie politique, liv. II, chap. viii.
  2. Et aujourd’hui encore. J. G.
  3. Toutes les lois sur l’usure ou intérêt au-dessus de l’intérêt légal ont été ou sont des violations de la liberté des transactions. J. G.