Catéchisme d’économie politique/1881/21

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 122-126).
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CHAPITRE XXI.

Du revenu des industrieux.


À qui donnez-vous le nom d’industrieux ?

On donne le nom d’industrieux ou d’industriel[1] aux hommes qui tirent leur principal revenu de leurs facultés industrielles ; ce qui n’empêche pas qu’ils ne soient en même temps capitalistes, s’ils tirent un revenu d’un capital quelconque, et propriétaires fonciers, s’ils en tirent un autre d’un bien-fonds.

Quel classement convient-il de faire parmi les industrieux pour se former des idées justes sur leurs revenus ?

On peut les diviser en deux grandes classes : ceux qui travaillent pour leur propre compte, ou les entrepreneurs d’industrie, et ceux qui travaillent pour le compte des entrepreneurs et sous leur direction, comme les commis, les ouvriers, les gens de peine.

Dans quelle classe mettez-vous les banquiers, les courtiers, les commissionnaires en marchandises, qui travaillent pour le compte d’autrui ?

Dans la classe des entrepreneurs, parce qu’ils exercent leurs fonctions par entreprise, se chargeant de trouver les moyens d’exécution et les employant à leurs frais. On peut ranger dans la même classe les savants qui recueillent et conservent les notions dont l’industrie fait son profit.

Quelle est la première observation à faire sur les revenus des entrepreneurs d’industrie ?

Qu’ils sont toujours variables et incertains, parce qu’ils dépendent de la valeur des produits et qu’on ne peut pas savoir d’avance avec exactitude quels seront les besoins des hommes et le prix des produits qui leur sont destinés.

Qu’observez-vous ensuite ?

Que parmi les industrieux ce sont les entrepreneurs d’industrie qui peuvent prétendre aux plus hauts profits. Si plusieurs d’entre eux se ruinent, c’est aussi parmi eux que se font presque toutes les grandes fortunes.

À quoi attribuez-vous cet effet, quand il n’est pas l’effet d’une circonstance inopinée ?

À ce que le genre de service par lequel les entrepreneurs concourent à la production est plus rare que le genre de service des autres industrieux.

Pourquoi est-il plus rare ?

D’abord, parce qu’on ne peut pas former une entreprise sans posséder, ou du moins sans être en état d’emprunter le capital nécessaire ; ce qui exclut beaucoup de concurrents. Ensuite, parce qu’il faut joindre à cet avantage des qualités qui ne sont pas communes : du jugement, de l’activité, de la constance, et une certaine connaissance des hommes et des choses.

Ceux qui ne réunissent pas ces conditions nécessaires ne sont pas des concurrents, ou du moins ne le sont pas longtemps, car leurs entreprises ne peuvent pas se soutenir.

Quelles sortes d’entreprises sont les plus lucratives ?

Celles dont les produits sont le plus constamment et le plus infailliblement demandés et, par conséquent, celles qui concourent aux produits alimentaires et à créer les objets les plus nécessaires.

Pourquoi les profits que font les savants, en leur qualité de savants, sont-ils si peu considérables ?

Parce que les services qu’ils rendent ne se consomment pas par l’usage qu’on en fait. Quand un savant a enseigné aux artistes que l’on peut purifier les huiles par des acides ou décolorer les sucres bruts par du charbon animal, les artistes peuvent faire usage constamment de ces utiles procédés sans recourir de nouveau à la source d’où ils les ont originairement tirés ; et bientôt après, les consommateurs jouissent gratuitement d’une connaissance dont tout le monde peut tirer parti, sans qu’il soit besoin d’en faire l’acquisition à prix d’argent.

Quel classement peut-on faire parmi les ouvriers ?

Ils sont ou de simples manouvriers, ou des gens de métiers, comme les ouvriers charpentiers, maçons, serruriers, etc.

Qu’observez-vous relativement à leurs salaires ?

Que, dans les cas ordinaires, le salaire du simple manouvrier ne s’élève pas au-dessus du taux nécessaire pour le faire subsister lui et sa famille ; parce que, pour exécuter son service, il ne faut pas d’autre condition que d’être homme, et qu’un homme naît partout où il peut subsister.

Qu’observez-vous relativement au salaire des gens de métier ?

Qu’il est constamment plus élevé que celui des hommes de peine ; car le même nombre de personnes de cette classe ne peut être constamment entretenu qu’autant que leur salaire paye, indépendamment de leur entretien, les frais de leur apprentissage.

De plus, comme leur service exige un peu plus d’intelligence et d’adresse naturelle que le travail du manouvrier, il y a un peu moins de concurrents capables de s’en charger.

Qu’entendez-vous par ce qui est nécessaire pour faire subsister un ouvrier et sa famille ?

J’entends cette somme de consommations faute desquelles les familles de cette classe ne se maintiendraient pas en même nombre. Cette somme dépend des besoins que les habitudes et les opinions du pays ont fait une loi de satisfaire. Cinquante familles d’ouvriers français ne subsisteraient pas de ce qui suffit à cent familles d’ouvriers dans l’Indoustan.


  1. Voyez ce qui est dit au chapitre vii à propos du mot « industrieux » et qui peut être répété pour le mot « industriel », dont J.-B. Say fait ici un synonyme et qui s’applique plus spécialement à ceux qui exercent plus spécialement l’industrie manufacturière. Au lieu de « revenu des industrieux », nous disons maintenant « salaire » pour toutes les catégories d’employés, et « bénéfice » ou « profit » pour ce qui reste à l’entrepreneur ou à l’employeur. J. C.