Catherine Tekakwitha/2/3

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Imprimerie du Messager (p. 117-122).


CHAPITRE TROISIÈME


La chasse d’hiver.
— Conduite de Catherine Tekakwitha dans la forêt.


Passées les fêtes de Noël, la chasse commençait pour les Iroquois de la mission. Ils se répandaient par groupes dans les vastes forêts qui s’étendaient jusqu’aux Adirondacks. Chaussés de leurs raquettes, armés de l’arc ou du fusil, ils couraient à travers les bois, en quête du gibier ; celui-ci, empêtré souvent dans les neiges profondes, devenait une proie facile sous les coups du chasseur.

C’était pour nos Indiens, à défaut de guerres qu’ils ne voulaient plus, une vie délicieuse que cette poursuite d’animaux sauvages considérés comme des ennemis en fuite. Ils y trouvaient aussi ces riches pelleteries qu’ils troquaient avec les Européens pour des armes et des munitions. Sur toutes choses, la chasse leur fournissait le premier de leurs plaisirs, la bonne chère. C’était l’abondance, mais l’abondance tout de suite engloutie, sans prévision de l’avenir. Tant pis si, tout à coup, le gibier se faisait rare.

Le gibier ne manquait pas de variété en ces temps primitifs. On rencontrait l’ours, le caribou, l’orignal, le chevreuil, le castor, le chat sauvage, le renard, le porc-épic, d’autres encore.

Ces courses lointaines, cette vie errante pendant des trois et quatre mois, n’étaient pas sans danger pour le caractère inconstant et la vertu encore neuve des néophytes. Ils n’y trouvaient plus les secours de la vie réglée du village, la présence des missionnaires, les messes, les catéchismes, les réunions à la chapelle.

Les Pères y pourvoyaient de leur mieux. Avant le départ pour la chasse, ils faisaient leurs recommandations ; ils traçaient sur une écorce de bouleau une sorte de calendrier, où les dimanches et les fêtes, les jeûnes et les abstinences étaient marqués avec soin ; d’autres écorces portaient en signes convenus les prières de chaque jour. Ces écorces, roulées et soigneusement enfermées dans des étuis de même matière, étaient confiées au dogique du groupe ou au plus habile de la famille. C’est lui qui chaque jour donnait le signal des exercices, matin et soir, et qui présidait comme eût fait le missionnaire. Pour un bon nombre ces précautions suffisaient amplement : ils revenaient au village avec une conscience, disait un Père, qui ne trouvait pas matière à absolution.

Il n’y avait pas que les hommes pour aller à la chasse. Le village se vidait à peu près de ses habitants. Seuls y demeuraient les vieillards, les enfants et quelques femmes pour en avoir soin.

Catherine, qui connaissait le genre de vie des grands bois, pour l’avoir pratiqué dans les forêts des bords de la Mohawk, aurait voulu se soustraire à l’ennui de quitter sa chère mission. Mais ce qu’elle devait à sa sœur et à son beau-frère ne le lui permit point. Elle les suivit. Dieu voulait sans doute montrer par son exemple que la vraie vertu est de tous les temps et de tous les lieux, qu’une fois solidement établie, elle passe à travers tout et ne se dément jamais.

Arrivés au lieu du campement, les chasseurs élevèrent à la hâte une cabane d’écorce, capable de loger les trois ou quatre familles qui formaient le groupe. Puis les hommes s’élancèrent à travers les sentiers de la forêt. Pour les femmes, l’époque de la chasse était un repos relatif : elles n’avaient plus les soins d’un ménage réglé comme à la mission ; les pièces de gibier une fois écorchées, dépecées, apprêtées pour la table, et le bois du foyer remisé sous la cabane, elles avaient des heures de doux loisir, agrémentées de jeux et de conversations.

Ce programme n’était guère du goût de Catherine, on le pense bien. De tous les exercices de piété qui lui étaient encore possibles, elle résolut de n’en omettre aucun. La prière en commun se faisait régulièrement matin et soir ; mais, le matin, longtemps avant cet exercice, elle était à genoux, en relation intime avec le ciel. Après la prière du soir, hommes et femmes s’enroulaient dans leurs chaudes couvertures et s’étendaient sur leurs nattes pour un sommeil réparateur, tandis que Catherine, à la lueur incertaine des feux de la cabane, les épaules protégées par une pauvre couverte, à genoux, prolongeait sa prière bien avant dans le silence de la nuit.

Ce n’était pas assez. Il y avait, non loin du camp, un petit ruisseau solitaire, entouré de pins et de sapins, dont les lourdes branches chargées de neige se courbaient en forme de voûte. Un étroit sentier y conduisait. La bonne priante se fit de cet endroit un sanctuaire. La solitude était parfaite car elle seule venait chercher l’eau nécessaire à la cabane. Elle compléta l’ornement de son oratoire en traçant sur l’écorce de l’un des arbres une large croix.

C’est là que Catherine se rendait chaque matin, à l’heure où l’une des messes se disait au village. Elle s’unissait d’esprit et de cœur au prêtre qui la célébrait, aux fidèles qui avaient le bonheur d’y assister. Elle envoyait son bon ange la remplacer devant l’autel et lui rapporter les fruits de l’auguste sacrifice.

Quelle merveille de voir de pareilles industries éclore comme autant de fleurs, dans une âme tout récemment baptisée, n’ayant encore participé qu’une fois au banquet divin ! L’Esprit-Saint pouvait seul en avoir déposé le germe en elle.

Catherine ne songeait pas seulement à la prière. Nous savons son amour du travail. Sa charité la portait à prendre soin de la cabane ; les autres femmes ne demandaient pas mieux. Elle y trouvait, outre cette œuvre de charité et d’humilité, une raison plausible de sortir pour aller au ruisseau voisin chercher l’eau du ménage. Et chaque fois c’était pour elle une station délicieuse : bien seule, dans le grand silence des bois, sous le dôme des branches entrelacées des sapins, devant la croix rustique gravée sur une écorce, elle pouvait à loisir exhaler son âme, la porter, dans ses ascensions, jusqu’au sein de l’adorable Trinité.

À la maison, la broderie des colliers, la préparation des fourrures pour les vêtements ou le commerce, le soin des écorces de bouleau pour la confection des cabanes et des canots remplissaient avec la prière tous ses moments. Le travail lui-même, sous le regard de Dieu, n’était qu’une prolongation de sa prière.

Elle savait de plus induire doucement ses compagnes à sanctifier leurs occupations. Elle leur demandait des traits de la vie des saints ou de quelques-unes des histoires pieuses que les missionnaires leur avaient racontées. D’autres fois, c’étaient des cantiques qu’elle les amenait à chanter avec elle. Elle obtenait par là deux résultats excellents : éloigner les conversations frivoles, parfois dangereuses : retenir les âmes dans l’union à Dieu.

Ses repas se réduisaient à peu de chose. Souvent elle ne mangeait qu’à la fin du jour ; et encore mêlait-elle de la cendre à la sagamité ou aux viandes qu’on lui servait. C’est une des innombrables mortifications que nous aurons bientôt à rapporter.

La vie des bois pesait de plus en plus à Catherine. Elle aspirait à revoir l’humble chapelle de la mission, Notre-Seigneur dans son tabernacle, le saint sacrifice de la messe, les bénédictions du T. S. Sacrement, les instructions, le chant des hymnes et des cantiques.

Ces saints exercices purent enfin lui être rendus. Le printemps faisait déjà fondre les neiges et les glaces. L’usage de la raquette devenait difficile, bientôt impossible. Et surtout la Semaine Sainte et la fête de Pâques approchaient. Nos bons Iroquois n’auraient jamais voulu manquer ces grands jours. On les voyait, chaque année, revenir de tous les points de l’horizon, à l’époque marquée par le missionnaire sur le calendrier d’écorce.