Catriona/Avant-propos

La bibliothèque libre.
Catriona (Les Aventures de David Balfour, II)
Traduction par Jean de Naÿ.
Hachette (p. Avant-propos-viii).


AVANT-PROPOS

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Qui de nous n’a trouvé dans la bibliothèque de son père ou de son grand-père les romans de Walter Scott ? L’auteur de Quentin Durward et de la Jolie Fille de Perth eut, il y a un demi-siècle, presque autant de vogue que Balzac. Ses héroïnes ont même suggéré des noms de baptême, pour leurs enfants, à des lecteurs enthousiasmés. Ce succès n’est pas dû seulement au talent de l’écrivain écossais, qui a déployé de rares qualités de description et d’analyse psychologique, mais encore à l’affinité qui existe entre l’Écossais et le Français. L’un et l’autre ont dans l’esprit de la logique, un grand besoin de clarté, le goût des aventures ; dans le caractère, quelque chose de franc, de fier, de hardi et de chevaleresque, qui leur fait prendre le parti des opprimés et des victimes de la tyrannie contre les oppresseurs. Or, on aime toujours à retrouver ses propres qualités chez autrui, et jusque sous le costume d’un étranger.

Depuis Walter Scott, aucun romancier n’a été plus populaire, en pays de langue anglaise, que R.-L. Stevenson (1850-1894). L’Île au trésor, le Maître de Ballantrae, le Docteur Jekyl, Saint-Yves, le Voyage avec un âne à travers les Cévennes, ont eu de nombreuses éditions des deux côtés de l’Atlantique. Et cette vogue s’explique autant par son style alerte et imagé, ses dialogues pleins d’humour et le talent de ses descriptions, que par le caractère dramatique de beaucoup de ses pages. Bien plus, Stevenson a d’autres titres à notre attention, il a beaucoup aimé la France et lui a donné des témoignages éclatants de sa sympathie après l’Année terrible. De la France, il aimait les paysages tour à tour gracieux et grandioses, le climat tempéré et ensoleillé ; il en goûtait la littérature depuis Charles d’Orléans jusqu’à Victor Hugo ; enfin et surtout, il a aimé notre peuple à cause de sa bonhomie, de sa franche cordialité et de sa bonne humeur inaltérable, dans l’heureuse comme la mauvaise fortune, et il a incarné ces qualités dans le héros d’un de ses romans, Saint-Yves[1].

Mais c’est dans la création des types écossais qu’excelle R.-L. Stevenson ; nul écrivain, depuis son illustre devancier, n’a su donner plus de vie à ses personnages, ni les dépeindre avec plus de couleur locale. Alan Breck, c’est le type du Highlander brave et généreux, dépensier, querelleur, toujours prêt à tirer l’épée pour la moindre offense ; David Balfour, par contre, nous représente l’habitant de la basse Écosse (Lowlander), plus calme, endurant, économe, lent à s’offenser, mais plus lent encore à pardonner, rusé, bavard et incapable de garder un secret. Et quant à ses héroïnes, Joanna Sedley, Flora Gilchrist, Catriona Drummond, elles incarnent dignement les qualités distinctives de la femme écossaise : l’énergie unie à la grâce, la franchise et la modestie, la fidélité et le dévouement poussé jusqu’au sacrifice.

Le roman de Catriona fait suite à Kidnapped, mais forme un tout indépendant. C’est le récit des aventures de David Balfour. Celui-ci, enrichi par l’héritage d’un oncle qui le détestait, s’efforça de sauver la tête de son ami Alan Breck, partisan des Stuarts, compromis dans un procès politique et particulièrement visé par l’avocat général Prestongrange, magistrat dévoué à la dynastie de Hanovre. Il s’éprend de Catriona, fille d’un certain James Drummond, ancien soldat jacobite, qui, en proie à la misère, s’est vendu comme espion au parti gouvernemental. Cette jeune fille a l’âme aussi pure et aussi noble que celle de son père est basse et vénale. Tout le roman roule sur les péripéties du procès capital intenté à Alan Breck et sur l’amour de David pour Catriona, qui est éprouvé par mille contretemps.

On voudra lire ce roman, qui abonde en épisodes gracieux et terribles, dans l’élégante version que vient d’en faire Jean de Naÿ. Le traducteur n’en est pas à son coup d’essai ; il a déjà fait passer dans notre langue quelques nouvelles anglaises, qui ont gagné la faveur du public amateur des œuvres d’art chastes. À une époque où les ouvrages respectueux de la dignité féminine sont trop rares, on est heureux de pouvoir prodiguer l’éloge et souhaiter bonne chance à un roman, dont les personnages sont animés de passions plus nobles que l’adultère ou la soif de l’or.

Gaston Bonet-Maury.



  1. Voir la traduction de ce roman par Th. de Wyzewa, Paris, 1905, Hachette et Cie.