Celle des reliques (Verhaeren)

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Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 181-185).

CELLE DES RELIQUES


Je suis celle des reliques mélancoliques
Qui passe, en cette chambre d’or,
Où ce qui vient des morts repose et dort
En des boîtes de soie et des écrins de gloire ;
Je suis celle de leur mémoire
Et je recueille, avec mes lentes mains, le soir,
Les larmes du silence au fond des bijoux noirs.

L’heure est grave et triste en cette fin de jour.

Je suis celle du pâle amour
Celle des fleurs et des choses passées
Qui te parle de tes mortes, enfoncées
Dans de l’absence et de l’oubli,

Avec leur pauvre bouquet blanc
De fleurs d’étangs.
Leur collier frêle et joli
Je le garde, entre mes doigts pieux
D’avoir voilé tant de regards d’adieux,
Depuis que je suis celle des anneaux,
Solitaires
Laissés sur terre
Hors des tombeaux.

Le soir arrive et voici l’heure
Qui sonne un glas vers les défunts de ta demeure ;
J’ai connu ceux de tes aïeux
Qui ont été, dans les naguères,
Les héros rouges de ta race.
De l’un d’entre eux tu tiens ton cœur vorace
Immensément de rêve à travers mers et terres ;
Voici ses croix et ses médailles
Un jour, n’importe où que tu ailles
Songe à tous ceux qui moururent parmi les guerres,
Avec de la terre mordue,
Passionnément, dans leurs bouches,
Voici leur haine et leurs cartouches
Leur âpre épée, en coup d’éclair, fendue

Et l’orage magnifique de plumes
Qu’ils agitaient sur l’or tressé de leurs costumes.

L’heure met un baiser sur les vitraux du soir.

Voici le livre ancien à quadruple fermoir
Où prièrent tous ceux des tiens
Dont le roi Christ, illuminait les têtes ;
Des entrelacs et des anges gardiens
Caparaçonnés d’or et tels que des athlètes
Humbles et doux, avec des fleurs en main,
Marquent d’un faste d’or telle oraison naïve ;
Des empreintes jaunes de doigts et de salive
Ont de certains feuillets souillé le grain,
Mais le livre est profond de tant d’âme versée,
Depuis cent ans, sur chaque page cicatrisée.

En des boîtes de cèdre et d’or
Je tiens les yeux captifs
Des turquoises et des onyx mémoratifs ;
Et mes tiroirs cachent encor
Du soir et de l’aurore
Fondus en des chaînons d’un feu sonore.


Avec des pas qu’on n’entend pas,
Je vais la nuit de relique en relique
Porter un peu d’amour mélancolique.
Les voix alors, me reviennent, là-bas,
De si lointains pays d’ombres et de douleurs
Qu’elles semblent barques lasses, voiles pendantes
Et rames noires, sur le cœur.

Je donne à ces pierres ardentes
À ces bijoux et ces fleurs que je plains
Les caresses de mes cheveux,
Le culte de mes mains,
Et la mémoire de mes yeux ;
Je suis la servante de leur silence.

L’heure met de la mort sur les vitraux du soir.

Les reliques apaisent la violence
Des diamants — et vont dormir.
Ceux qui se continuent en toi, pour se revivre,
Guettent s’ouvrir ton souvenir.
Écoute — et songe aussi : c’est l’heure
Qui sonne un glas dans ta demeure ;


Je suis celle de la chambre d’or
En robe éclatante et nocturne
Qui viens jeter un caillou taciturne
Dans l’eau morte de ton remords.