Cendrillon (Grimm)
CENDRILLON[1]
Il était une fois un homme très-riche dont la femme tomba malade ; et lorsqu’elle sentit venir sa fin, elle appela auprès de son lit sa fille unique, toute petite encore.
« Chère enfant, dit-elle, reste bonne et pieuse et Dieu t’aidera toujours ; moi, je te regarderai du haut du Ciel et je serai toujours près de toi. »
Puis elle ferma les yeux et mourut.
La jeune fille allait chaque jour à la tombe de sa mère et pleurait ; et elle resta bonne et pieuse.
La neige couvrait le cimetière d’un blanc linceul, et quand le soleil le lui retira, le père épousa une autre femme.
Celle-ci amenait dans le ménage deux filles blanches et belles de figure, mais vilaines et noires de cœur. Alors commença un temps difficile pour la pauvre enfant.
« Que fait cette créature dans la chambre ? disaient-elles. Qui veut manger du pain doit le gagner ; la servante est bonne à la cuisine. »
Elles lui ôtèrent toutes ses belles robes, lui mirent une vieille souquenille grise, se moquèrent d’elle et la conduisirent à la cuisine où elle fut obligée de faire l’ouvrage le plus pénible, de se lever avant le jour, de porter de l’eau, d’allumer le feu, de préparer le manger et la lessive. Encore ses sœurs lui jouaient-elles tous les tours imaginables, se raillant d’elle et lui renversant toutes ses pois dans les cendres, pour qu’elle les y ramassât. Le soir, quand elle était fatiguée de travailler, elle ne trouvait pas de lit pour se reposer et il lui fallait coucher près du foyer dans les cendres. Et comme elle avait ainsi toujours l’air poudreuseet sale, on la surnomma Cendrillon.
Il advint que le père alla un jour à la foire et demanda à ses deux belles-filles ce qu’elles désiraient qu’il leur rapportât.
« De belles robes ! » dit l’une.
« Des perles et des pierreries ! » dit l’autre. « Mais toi Cendrillon que veux-tu avoir ?
– Mon père, coupez-moi la première branche qui touchera votre chapeau quand vous reviendrez. »
Il acheta donc pour les deux sœurs de magnifiques robes, des perles et des pierreries ; et à son retour, comme il passait par une forêt, une branche de coudrier le heurta et jeta son chapeau à terre. Il cassa cette branche et l’emporta. Arrivé à la maison, il donna à ses beties-filles ce qu’elles avaient souttaité, et à Cendrillon la branche de noisetier. Cendrillon le remercia, alla à la tombe de sa mère, planta la branche et pleura si fort que celle-ci fut arrosée de ses larmes. Elle grandit et devint un bel arbre. Cendrillon se rendait là trois fois par jour pour pleurer et prier, et chaque fois un petit oiseau volait sur l’arbre, et l’oiseau lui jetait tout ce qu’elle demandait.
Or il arriva que le roi fit préparer un grande fête qui devait durer trois jours, et où toutes les belles jeunes filles du pays furent conviées, pour que son fils pùt s’y choisir une fiancée. Lorsque les deux sœurs apprirent qu’elles étaient de ce nombre, elles furent très-joyeuses, appelèrent Cendrillon et lui dirent :
« Coiffe-nous bien, brosse nos souliers, attache nos boucles ; car nous allons à la noce dans le château du roi. »
Cendrillon obéit ; mais elle pleurait, parce qu’elle serait allée volontiers à la fête, et elle pria sa belle-mère de lui permettre d’y paraître.
« Toi, Cendrillon, dit la marâtre, toi, pleine de saleté, de poussière, tu veux aller à la noce, et tu n’as pas de robes ! Tu veux danser, et tu n’as pas de souliers ! »
Et comme Cendrillon la priait toujours, elle lui dit :
« Je t’ai mis un plat de lentilles dans les cendres ; si tu les as ramassées dans deux heures, tu sortiras. »
La jeune fille s’en fut au jardin et dit :
« Petits pigeons, tourterelles, vous tous, petits oiseaux qui volez sous le ciel, venez et aidez-moi à chercher :
« Les bonnes dans le pot,
Les mauvaises dans le bec »
Deux ramiers blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine ; puis vinrent les tourterelles et tous les autres petits oiseaux, et ils se mirent à l’œuvre autour des cendres. Et les ramiers balancèrent leurs petites têtes et commencèrent a faire pic, pic, pic ; et les autres firent aussi pic, pic, pic, et mirent toutes les bonnes graines dans le plat. Au bout d’une heure, ils avaient déjà fini et s’envolèrent tous.
Alors la jeune fille apporta le plat a sa belle-mère ; elle était joyeuse et croyait qu’elle pourrait aller à la fête. Mais sa marâtre lui dit :
« Non, Cendrillon, tu n’iras pas avec nous ; tu n’as pas de robes et tu ne sais pas danser. Elle ajouta, en voyant Cendrillon pleurer :
« Si tu peux me retirer deux plats de lentilles des cendres dans une heure, tu nous accompagneras. »
Elle pensait bien que la pauvre enfant n’y parviendrait jamais. Puis elle jeta les deux plats de lentilles dans les cendres. Mais la jeune fille retourna dans le jardin et dit :
"Petits pigeons, tourterelles, vous tous, petits oiseaux qui volez sous le ciel, venez et aidez-moi à chercher:
« Les bonnes dans le pot,
Les mauvaises dans le bec ! »
Et deux ramiers blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, comme la première fois ; puis vinrent les tourterelles et tous les autres petits oiseaux qui volent sous le ciel, et ils se mirent à l’œuvre autour des cendres. Et les ramiers batancèrent leurs petites têtes et commencèrent à faire pic, pic, pic; et les autres tirent aussi pic, pic, pic, et ils mirent toutes les bonnes graines dans les plats. Et avant qu’il se fût passé une demi-heure, ils avaient déjà fini et s’en volèrent tous.
Alors la jeune fille apporta les plats à sa belle-mère, et elle se réjouissait, croyant aller à la fête. Mais la méchante femme lui dit :
« Tout cela ne te sert de rien, tu n’iras pas avec nous ; tu n’as pas de robes, tu ne sais pas danser, et nous aurions honte de toi ! »
La-dessus, elle lui tourna le dos et s’en fut avec ses deux filles hautaines.
Dès qu’il n’y eut plus personne au logis, Cendrillon courut à la tombe de sa mère sous la coudraie, et dit
« Petit arbre, remue-toi et secoue-toi,
Jette de l’argent et de l’or sur moi ! »
Alors le petit oiseau lui donna une robe d’argent et d’or et des pantoufles brodées de fils de soie et d’argent.
Elle revêtit sa belle robe et se rendit à la fête ; ses sœurs et sa belle-mère ne la reconnurent pas et pensèrent voir une princesse étrangère, tellement elle était ravissante dans sa robe magnifique. Elles ne songèrent guère à Cendrillon, qu’elles croyaient restée à la maison dans les cendres. Le fils du roi alla au-devant de l’inconnue, la prit par la main et dansa avec elle. Il ne voulut danser avec nulle autre ce jour-là, garda la main de la jeune fille dans la sienne, et, si quelqu’un venait pour l’inviter, il répondait « Celle-ci est ma danseuse. »
Elle dansa jusqu’au soir, puis voulut se retirer. Le fils du roi lui dit :
« Je vais vous accompagner. » Car il brûlait de savoir à qui appartenait cette belle jeune fille.
Mais elle lui échappa et sauta dans le pigeonnier. Le jeune prince attendit jusqu’à ce que le père vînt, et il lui raconta que la jeune étrangère s’était sauvée là.
« Si c’était Cendrillon ? » pensa le père ; et il demanda une hache pour briser le pigeonnier, mais il ne s’y trouva personne. Et lorsqu’ils arrivèrent au logis, Cendrillon était dans les cendres avec sa souquenille grise, et une petite lampe, à moitié éteinte, brûlait sur le foyer ; car Cendrillon était descendue bien vite de l’autre côté du pigeonnier et avait couru au noisetier, pour ôter sa belle robe et la mettre sur la tombe où l’oiseau l’avait reprise ; puis elle s’était blotie dans les cendres avec sa vilaine souquenille.
Le lendemain, la fête continua, et, une fois ses belles-sœurs et ses parents partis, Cendrillon s’en fut sous la coudraie, et dit
« Petit arbre, remue-toi et secoue-toi,
Jette de l’argent et de l’or sur moi ! »
Alors le petit oiseau lui donna une robe encore plus éblouissante que celle de la veille ; et lorsqu’elle parut à la fête avec cette robe, tout le monde fut émerveillé de sa beauté. Le fils du roi, qui avait attendu jusqu’à son arrivée, la prit tout de suite par la main et ne dansa qu’avec elle. Et quand d’autres faisaient mine de l’inviter, il disatt « Celle-ci est ma danseuse. »
Le soir venu, elle songea à s’en retourner, et le prince voulut la reconduire, pour voir dans quelle maison elle irait ; mais elle s’échappa dans le jardin, derrière la maison. Il y avait un magnifique poirier avec des poires superbes, sur lequel elle grimpa aussi vite qu’un écureuil, si vite que le prince ne put savoir où elle était passée. Il attendit cependant jusqu’à ce que le père vînt, et lui dit :
« L’étrangère m’a échappé encore, et je crois qu’elle s’est sauvée sur le poirier. »
« Si c’était Cendrillon ? » pensa de nouveau le père. Il se fit apporter une hache et coupa l’arbre, mais il ne s’y trouva personne. Et lorsqu’ils entrèrent dans la cuisine, Cendrillon était couchée dans les cendres comme d’habitude, car elle s’était hâtée de donner sa belle robe au petit oiseau sur la coudraie, et avait remis sa souquenille grise.
Le troisième jour, quand elle eut vu partir ses parents et ses sœurs, Cendrillon s’en fut à la tombe de sa mère, et dit
« Petit arbre, remue-toi et secoue-toi,
Jette de t’argent et de l’or sur moi »
Alors l’oiseau lui jeta une robe si riche, si riche qu’elle n’en avait pas encore eu de pareille, et des pantoufles tout en or. Quand elle se présenta à la fête, on ne sut que dire, tant on l’admirait ; le fils du roi dansa uniquement avec elle, et si quelqu’un la demandait, il répétait « Celle-ci est ma danseuse. »
Sur le soir elle voulut s’en aller, et le prince tint à l’accompagner mais elle lui échappa si vite qu’il ne put la suivre. Or le fils du roi avait usé de ruse ; il avait fait mettre de la poix sur l’escalier, et la pantoufle de la jeune fille y était restée attachée. Le prince la prit ; elle était gracieuse et mignonne et toute en or.
Le lendemain il s’en fut chez le père de Cendrillon et lui dit que celle à qui irait la pantoufle d’or deviendrait sa femme.
Les deux sœurs se réjouirent fort, car elles avaient de très-jolis pieds. L’ainée alla dans sa chambre pour essayer la pantoufle avec sa mère ; mais elle ne put y faire entrer l’orteil, parce que la pantoufle lui était trop petite. Alors, la mère lui donna un couteau et dit :
« Coupe l’orteil quand tu seras reine, tu n’auras pas besoin d’aller à pied. »
La sœur ainée se coupa l’orteil et fit ainsi entrer le pied, en dissimulant sa douleur, puis se rendit auprès du prince. Celui-ci la prit sur son cheval comme sa fiancée, et s’éloigna avec elle. Et lorsqu’ils passèrent près de la tombe sous la coudraie, les deux ramiers y étaient perches et se mirent & dire
« Rouck di gouck, rouck di gouck,
Le soulier est plein de sang,
Le soulier est trop petit
La vraie fiancée est encore au logis »
Le prince regarda aussitôt le pied de sa compagne et vit sortir du sang de la pantoufle. Il fit tourner bride à son cheval, ramena chez elle la fausse fiancée et dit qu’il fallait que l’autre sœur essayât la pantoufle d’or. La seconde sœur monta donc à sa chambre, et son pied entra bien avec les doigts dans la pantoufle ; mais le talon était trop gros. La mère lui donna alors un couteau, en lui disant
« Coupe le talon ; quand tu seras reine, tu n’auras pas besoin de marcher à pied. »
La jeune fille se coupa un morceau du talon, de manière à faire entrer le pied dans la pantoufle, et la montra au fils du roi, qui prit sa fiancée sur son cheval et partit. Mais, comme ils passaient près de la tombe, les deux ramier sétaient aux aguets sur la coudraie, et s’écrièrent
« Rouck di gouck, rouck di gouck,
Le soulier est plein de sang,
Le soulier est trop petit :
La vraie fiancée est encore au logis.
voir le sang qui sortait de la pantoufle et montait dans le bas blanc de la jeune fille. Il fit donc tourner bride à son cheval et ramena la fausse fiancée à la maison.
« Celle-ci n’est pas non plus la fiancée qu’il me faut, dit-il ; n’avez-vous pas une autre fille ? »
Non, dit le père. Il n’y a plus que Cendrillon, l’enfant de ma femme défunte ; elle ne peut pas être la fiancée. »
Le fils du roi demanda qu’on l’allât chercher ; mais la belle-mère répondit :
« Cela ne se peut ; elle est beaucoup trop sale pour se laisser voir. »
Il voulut qu’on la lui amenât, et Condrillon fut mandée devant lui. D’abord elle se lava la figure et les mains, puis entra et fit une révérence au prince, qui lui tendit la pantoufle d’or. Elle ôta le pied gauche de son gros soulier, le mit sur la pantoufle, appuya un peu, et se trouva chaussée a ravir. Et comme elle regardait le fils du roi en face, il la reconnut et dit : « Voici la vraie fiancée ! »
La marâtre et ses filles étaient terrifiées, et devinrent toutes blanches de colère. Mais le prince saisit la main de Cendrillon et l’emmena sur son cheval. Et lorsqu’ils furent devant le noisetier, les deux ramiers blancs s’écrièrent
« Rouck di gouck, rouck di gouck, Pas de sang dans le soulier ! Le soulier n’est pas trop petit ! C’est la vraie fiancée qu’il emmène ! »
Ayant dit cela, ils voltigèrent sur les épaules de Cendrillon, l’un à droite, l’autre à gauche, et demeurèrent ainsi tout le long du chemin.
Quand le mariage du prince fut sur le point d’être célébré, les mauvaises sœurs arrivèrent pour prendre part au bonheur de Cendrillon. Et au moment où les fiancés entraient dans l’église, l’ainée se tenant à la droite et la cadette à la gauche de Cendrillon, les ramiers leur piquèrent un œit à chacune ; un peu plus tard, en sortant, l’aînée étant à gauche et la cadette à droite, les ramiers leur piquèrent l’autre œil ; et elles furent ainsi punies de leur méchanceté et de leur fausseté, en restant aveugles toute leur vie.
- ↑ Aschenputtel ou Aschenbroedel. –Le conte allemand diffère dans presque tous ses détails du conte de Perrault ; c’est pour cela que nous l’avons choisi, afin de montrer ces dinfférences curieuses d’un même sujet, suivant le génie du pays. Ici, c’est la mère elle-meme qui, du sein de la mort, veille sur son enfant et la venge. Le personnage de Cendrillon est aussi populaire en Allemagne qu’en France. On le retouve encore ailleurs, chez les Highlanders de l’Ecosse, par exemple, quoique sous un nom différent et avec d’autres détails ainsi quand on veut essayer le soulier d’or, ce soulier saute de lui-même et vient s’ajuster au pied de la jeune fille.