Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade I
CENT BALADES
I
ucunes gens me prient que je face[2]
Aucuns beaulz diz, et que je leur envoye,[3]
Et de dittier dient que j’ay la grace ;
Mais, sauve soit leur paix, je ne sçaroye
Faire beaulz diz ne bons ; mès toutevoye,
Puis que prié m’en ont de leur bonté,
Peine y mettray, combien qu’ignorant soie,
Pour acomplir leur bonne voulenté.
Mais je n’ay pas sentement ne espace
De faire diz de soulas ne de joye ;
Car ma douleur, qui toutes autres passe,
Mon sentement joyeux du tout desvoye ;[4]
Mais du grant dueil qui me tient morne et coye
Puis bien parler assez et a plenté ;
Si en diray : voulentiers plus feroye
Pour acomplir leur bonne voulenté.
Et qui vouldra savoir pour quoy efface
Dueil tout mon bien, de legier le diroye :[5]
Ce fist la mort qui fery sanz menace
Cellui de qui trestout mon bien avoye ;
Laquelle mort m’a mis et met en voye
De desespoir ; ne puis je n’oz santé ;[6]
De ce feray mes dis, puis qu’on m’en proie,[7]
Pour accomplir leur bonne voulenté.
Princes, prenez en gré se je failloie ;
Car le ditter je n’ay mie henté,
Mais maint m’en ont prié, et je l’ottroye,
Pour accomplir leur bonne voulenté.