Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade L

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L



Aucunes gens porroient mesjugier
Pour ce sur moy que je fais ditz d’amours,
Et diroient que l’amoureux dongier,
Je sçay trop bien compter et tous les tours,
Et que ja si vivement
N’en parlasse, sanz l’essay proprement.
Mais, sauve soit la grace des diseurs,
Je m’en raport a tous sages ditteurs.

Car qui se veult de faire ditz chargier
Biaulz et plaisans, soient ou longs ou cours,
Le sentement qui est le plus legier,
Et qui mieulx plaist a tous de commun cours,
C’est d’amours, ne autrement
Ne seront fait ne bien ne doulcement,
Ou, se ce n’est, d’aucunes belles meurs,
Je m’en raport a tous sages ditteurs.

Qui pensé l’a, s’en vueille deschargier,
Qu’en verité ailleurs sont mes labours.
Pour m’excuser ne le dis ne purgier ;
Car amé ont assez de moy meillours,
Mais d’amours je n’ay tourment
Joye ne dueil ; mais pour esbatement
En parlent maint qui ont ailleurs leurs cuers,
Je m’en raport a tous sages ditteurs.