Cent Proverbes/9
CHAQUE OISEAU
TROUVE SON NID BEAU
ne aigrette de fleurs à son chapeau, le matin est arrivé, d’un pas leste et le front joyeux, au sommet de la colline. Il regarde les maisons du village d’un air doux et bienveillant. Le coq, à son approche, s’est mis à chanter de joie. Toutes les fenêtres s’ouvrent ; celle de Colette n’est pas la dernière à fêter sa bienvenue. Colette aime à voir le matin, et le matin sourit à Colette ; n’est-elle pas la plus jolie comme la plus sage des filles de l’endroit ? Que de belles promesses, que de galants propos le maître du château a perdus en causant avec elle ! Colette est fiancée à Colin, elle ne veut pas d’autre mari que lui. En un tour de main sa toilette est achevée ; vermeille comme l’Aurore, elle paraît un instant, pour respirer la brise sans doute ; mais non, une autre croisée est ouverte depuis longtemps en face de la sienne. C’est le fiancé qui épie le réveil de la fiancée ; enfin elle se montre. — Bonjour, Colette ! — Bonjour, Colin !
Le village a pris un air de travail et d’activité ; tout le monde en passant salue Colette ; le bouvier pique ses bœufs indolents, les faneuses se dirigent en chantant vers le pré, Colin conduit son blond troupeau en jouant de la musette.
Où vont ces deux moineaux tenant chacun un brin de paille dans leur bec ? Ils se posent dans une fente de mur, juste à côté de la fenêtre où Colette vient de suspendre une cage habitée par deux fauvettes.
Colette a mis tout en ordre chez elle. Frais réduit de la villageoise, comme vous êtes propre, comme vous êtes gai ! Elle-même, comme elle est heureuse en regardant son rouet, son vase de fleurs, son crucifix, et quelquefois aussi le miroir dans lequel se reflètent ses traits naïfs !
Pendant que Colette travaille et file sa laine, l’abeille butine sur le vase de fleurs, les fauvettes chantent dans leur cage, et les moineaux babillent sur le mur. Le ménage ailé s’est placé sur le rebord de sa demeure et semble appeler ses voisins ; les fauvettes avancent la tête hors de leurs barreaux, comme pour se prêter de meilleure grâce à la conversation. Que se disent-ils entre eux ?
Colette les comprend ; car Colette est filleule d’une fée. Elle peut parler avec les oiseaux, comme le Petit Chaperon Rouge s’amusait le soir à causer avec les rouges-gorges le long des buissons.
La fauvette disait au moineau :
— Regarde mon nid, comme il est gracieux et doux, suspendu entre ces deux bâtons qui soutiendront ma couvée ! Ce sont les doigts de Colette qui ont préparé la laine sur laquelle s’étendront mes petits. Je ne crains ni le hibou qui loge à ton côté, ni le chat qui rôde sur la gouttière, ni la pluie, ni l’orage, ni le vent. Il n’est pas de nid plus beau que le mien.
Le moineau répondait à la fauvette :
— J’ai ramassé les fleurs fanées que Colette laisse tomber chaque soir de ses cheveux, et avec leurs tiges entrelacées j’ai bâti mon nid ; je l’ai garni avec le duvet dont le printemps couvre les jeunes saules. C’est un abri sûr et impénétrable, d’où ma famille s’élancera pleine de force et de gaîté. Mon nid est celui d’un oiseau libre, il est plus beau que le tien.
Du haut du toit, une hirondelle éleva la voix :
— Vous ne savez ce que vous dites, gazouillait-elle aux fauvettes et aux moineaux. Mon nid est fait de ciment comme une forteresse ; les architectes les plus habiles n’ont rien à lui comparer pour la hardiesse de sa construction ; le soleil le dore le premier à son lever, et son dernier rayon s’arrête sur lui avec complaisance. Mon nid est le plus beau de tous les nids.
Colette écoutait tous ces discours en souriant.
— La fauvette, disait-elle, s’endort sur la laine que je lui ai préparée ; le moineau est fier parce qu’il cache sa couvée dans mes vieux bouquets ; l’hirondelle s’enorgueillit de sa citadelle aérienne ; mais ma demeure est bien plus jolie que leurs nids. Comme la lumière se joue gaîment au milieu de mes fleurs ! La vigne qui grimpe me fait un rideau de ses jets capricieux ; je vois la rivière qui coule à travers la claire feuillée, et le vent m’apporte avec le frémissement des arbres les sons de la musette de Colin. La fauvette, le moineau et l’hirondelle ont beau se vanter, ils ne sont pas mieux logés que moi.
Et Colette, jetant autour d’elle un regard de satisfaction, se tut pour écouter : c’était l’heure sans doute où Colin confiait à l’écho les accents de sa chanson amoureuse.
Mais la pauvre musette aura bien de la peine à se faire entendre aujourd’hui ! Le seigneur du village revient de la chasse ; les piqueurs crient, les chiens aboient, la fanfare retentit. Le seigneur est monté sur un magnifique cheval blanc ; une chaîne d’or brille à son cou, son œil est fier, et sa plume rouge flotte au vent.
Il s’arrête, comme d’habitude, sous la fenêtre de Colette, et pour la saluer il ôte son chaperon.
— Que faites-vous ainsi toute seule dans votre chambrette, la belle fille aux yeux bleus ? Ne vous ennuyez-vous point entre ces quatre murs tristes et nus ? Venez dans mon palais, je vous donnerai des pages ; je remplacerai par des perles les fleurs qui sont dans vos cheveux ; aujourd’hui vous n’êtes qu’une bergère, vous serez duchesse demain si vous consentez à quitter votre chaumière.
— Et pourquoi, répondit Colette, quitterais-je ma chaumière ? Non, Monseigneur, je la trouve plus belle que vos palais. À quoi bon les diamants, quand on a les fleurs de la prairie ? À quoi servent les titres, quand on a déjà le bonheur ? D’autres recevront avec plaisir vos hommages, elles seront heureuses et fières d’être duchesses ; moi je veux être toujours votre vassale, Monseigneur. Je viens de l’apprendre tout à l’heure, chaque oiseau trouve son nid beau ; moi, je dis comme les oiseaux, et je reste dans ma chambrette.
L’écho lointain répéta les sons d’une musette. On eût dit que Colin chantait pour remercier Colette.
Le seigneur s’était éloigné triste et baissant la tête, car il aimait la jeune fille.
La bergère descend pour se mêler aux danses qui terminent les travaux de la journée. Jamais le ménétrier n’a été plus en train. Voici l’instant où le danseur embrasse sa danseuse ; on s’arrête un instant, puis la danse recommence. Le gai ménétrier fait entendre une seconde fois le trille impératif ; il faut que tout le monde obéisse. La ronde villageoise a noué la main de Colette à celle de Colin ; elle rougit, son sein palpite ; le berger, non moins ému, presse doucement les doigts qu’on lui confie ; il l’entraîne sous l’ormeau, il lui peint son amoureux délire, il lui parle des dangers que l’amour du seigneur lui fait courir ; il est si pressant, si tendre, si éloquent, que la jeune fille ne lui répond que par des soupirs.
— À quand notre mariage, Colette ?
— À demain, Colin.
Dix heures sonnent à l’horloge de l’église. Les fauvettes se sont endormies sur leur édredon, les moineaux sur leur litière de fleurs ; l’hirondelle, pour être prête au premier signal d’alarme, montre sa tête vigilante au créneau de sa tour ; le hibou lui-même quitte à regret le nid qu’il aime pour effleurer les toits de son aile cotonneuse ; le repos descend sur le village. Après ce qui vient de se passer, la demeure de Colette lui semble encore embellie. Elle fait sa prière, et s’endort en pensant à son bonheur du lendemain.
L’essaim des songes heureux s’abat sur les chaumières ; tandis que les paysans dorment, le seigneur du village veille seul, et jetant un regard dédaigneux sur ses vastes appartements, que Colette n’a pas voulu habiter, il s’écrie : Sans elle, je ne pourrai jamais dire :