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Châtelaine, un jour…/14

La bibliothèque libre.

XIV

La soirée parut interminable à Colette.

Après le départ de Chavanay, elle s’était sentie incapable même de faire cuire un œuf.

Un peu plus tard, tout en essayant de faire le point, elle grignota des biscuits secs et du chocolat.

Elle ne doutait plus maintenant de la sincérité de Chavanay. Mais s’il était sincère avec lui-même, ne se trompait-il pas pour autant ? Le récit de son échec avec Véronique prouvait son honnêteté, sa franchise, mais il montrait également sa faiblesse. L’insistance d’amis et de parents avait emporté la décision de Chavanay. C’eût été la catastrophe si sa fiancée et lui n’avaient pas eu le courage de revenir en arrière, de se pencher sur leurs sentiments mutuels. Certes, devenir Mme Chavanay était un beau rêve, comme disait Lina, mais la griserie de cette ascension passée, ne lui resterait-il pas, pour la vie, cette tristesse de se sentir inférieure à son mari ? Et lui, très rapidement, ne montrerait-il pas une gêne d’avoir une femme qui ne fût pas de son monde ? Quel enfer deviendrait alors leur ménage !

« Mais à quoi bon me tourmenter, se disait-elle, si je ne dois pas le revoir. Son attitude en partant prouve qu’il m’a entendue donner un rendez-vous à minuit. »

— Votre amie est partie ?

Lesquent appuya volontairement sur le féminin de « amie » en ajoutant :

— Il est préférable que nous n’ayons pas de témoin.

Le jeune homme prit un air absorbé et fouilla dans ses poches pour tirer un paquet de gauloises.

— Vous fumez ?

— Pas de ces cigarettes-là.

Il hocha la tête.

— Évidemment.

Il se servit et fit rebondir longuement sa cigarette sur le paquet, puis, après l’avoir allumée, il resta un instant silencieux, comme s’il eût voulu donner plus d’importance à ce qu’il allait dire.

Enfin, il se décida à parler. Se tapotant sur la poitrine, là où était son portefeuille, il dit :

— J’ai la preuve absolue que le fameux trésor n’est pas une galéjade et qu’il se trouve toujours à Grandlieu. Si vous vous étiez montrée moins distante, l’autre jour, je vous en aurais parlé. Je ne sais pas ce qui vous a pris de partir sans me revoir. J’avais, peut-être, été maladroit ; bref, n’en parlons plus. Donc, ce trésor existe et pour le découvrir il est indispensable d’être deux. Anthime et moi, nous avions commencé les recherches. Il est mort trop tôt. Nous étions arrivés à la certitude que l’entrée de la cachette est dans la bibliothèque. Il reste à trouver l’endroit exact ; ce n’est peut-être pas extrêmement facile, mais le champ est tout de même limité.

Colette, qui avait écouté son cousin avec attention, dit alors :

— Je croyais que des recherches avaient déjà été faites, que les murs avaient été sondés ?

— C’est juste ; aussi, nous sommes-nous abstenus de sonder les murs. On pense toujours aux murs, parce que, au cinéma, on voit un monsieur faire tourner une rosace : un pan de mur pivote et on découvre alors l’entrée d’un souterrain. Mais pourquoi ne s’agirait-il pas d’un morceau de plancher… ou d’autre chose. Quoi qu’il en soit, la cachette est certainement très bonne, puisque le comte de Grandlieu s’y est dissimulé quand les Bleus habitaient le château. Et ce trait d’histoire m’a fait penser qu’il fallait être deux. Je m’explique. Peu importe le moyen qui permette d’ouvrir la cachette : rosace à tourner, une moulure à pousser, ou tout autre système ; une fois que nous l’aurons trouvé, il nous fera découvrir la cachette, c’est une vérité de La Palisse, Il ne nous restera plus qu à y pénétrer, Seulement, j’ai lu beaucoup d’histoires de cachettes, toujours dans l’espoir que l’une me donnerait une idée sur la manière de découvrir celle de Grandlieu. J’ai trop lu de récits de ce genre pour ignorer qu’il y a des cachettes qui se referment et je n’ai pas l’intention d’être muré vivant. Je veux avoir avec moi quelqu’un de sûr, qui puisse me délivrer. Voilà pourquoi il faut être deux.

« Maintenant, il y a un autre point, c’est le secret. J’y tiens absolument, pour toutes sortes de raisons, dont la principale est que je ne veux pas payer de droits sur ce trésor qui est à nous et que nous aurons découvert.

Colette sourit. Son cousin se montrait bien tel qu’il était. Décidé, entreprenant, limitant les risques et pourvu d’une conscience assez souple.

— L’aventure me tente, fit-elle. J’accepte d’y participer.

Ils échangèrent en riant une poignée de main que n’eussent pas désavouée deux aventuriers venant de conclure un pacte.

L’aventure tentait réellement Colette. D’abord par l’attrait du risque, mais surtout pour des raisons plus secrètes. Cette part du trésor ne la rapprocherait-elle pas, sur l’échelle des fortunes, de M. Chavanay, industriel ?

Ils arrêtèrent aussitôt les détails de l’expédition. Colette obtiendrait de son patron de ne pas travailler le samedi matin. En prenant le premier train, elle serait à midi à Grandlieu.

Ils auraient devant eux l’après-midi et tout le dimanche pour effectuer les recherches. Un dernier train partait de Pont-Audemer tard dans la soirée. Lesquent lui proposa même de la ramener de nuit à Paris, s’il était nécessaire. Puis, il lui offrit de retenir une chambre à l’hôtel de Vieux-Port.

La jeune fille lui sut gré de cette délicatesse dont il était si peu coutumier et l’en remercia.

Ils se quittèrent les meilleurs amis du monde, radieux l’un et l’autre.

— Je viendrai vous chercher à la gare, dit-il en s’en allant.

La visite de Lesquent laissa la jeune fille dans la joie. Quel contraste avec l’accablement qui avait suivi le départ de Chavanay. Et cependant, ses sentiments n’avaient nullement changé envers son cousin. Au contraire, elle était satisfaite de l’avoir si bien observé pendant tout le temps qu’il avait exposé son projet de recherche du trésor.

« Je saurai me tenir sur mes gardes », se disait-elle encore tandis qu’elle s’apprêtait à se coucher.

Elle avait hâte que la journée du lendemain s’écoulât. Elle était sûre que son patron lui accorderait le samedi matin sans difficulté… Le samedi matin ? Mais elle avait donné rendez-vous à Chavanay à midi. Non, il était impossible qu’elle restât. Ils n’auraient pas trop du samedi après-midi et du dimanche pour essayer de découvrir la cachette. N’aurait-elle pas toute la vie, après la découverte du trésor, pour voir Chavanay et lui avouer qu’elle l’aimait. Depuis que l’histoire du trésor se précisait, elle commençait à ne plus douter de ses sentiments.

« Je vais lui écrire… Rue de la Baume, je n’ai pas son numéro. La rue n’est pas si longue et, certainement, il y est connu. »

Elle éprouvait un tel besoin d’activité, qu’elle écrivit le billet sur-le-champ.

Juste quelques lignes pour s’excuser, où elle disait être appelée d’urgence en province. Elle terminait en lui donnant rendez-vous pour le lundi soir.

« Je ne lui dirai pas que nous avons trouvé un trésor, mais je lui avouerai que je suis propriétaire de Grandlieu… Plus tard, je lui confesserai l’origine de ma fortune. »

Le mot « fortune » la fit sourire d’aise. Non, elle ne doutait plus d’aimer Chavanay, mais elle ne doutait pas plus que, dans deux jours, elle serait riche.

Elle ferma l’enveloppe et, joyeuse comme une enfant, elle sauta dans son lit.