Cham - Albums du Charivari/Croquis militaires

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Journal le charivari (4p. 263--).
Couverture de l’album "Croquis militaires"
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CROQUIS
MILITAIRES
PAR



— Vous voulez une permission, pour aller où cela ?
— Major, c’est pour aller chez z’un bourgeois,
pour la chose que j’ai z’été en Italie, qu’il voudrait me
consulter sur un tableau de Raphaël qu’il a chez lui.


CHEZ ARNAULD DE VRESSE, EDITEUR
55, RUE DE RIVOLI.
Paris — Imprimerie J. Voisvenel, rue du Croissant, 16.
EN SAVOIE.

— Nom d’un bonhomme ! faut que la Savoie soit un pays joliment riche pour se payer des glaces tant que ça au cœur de l’été !

— Une Sarde à chaque bras ! excusez !

— Oui, mon cher, on est passé caporal dans le sentiment ; voilà mes deux sardines.

— Les avalanches ? C’est bien simple, c’est les zouaves au général Hiver !

— Cré coquin ! il n’en finira donc pas ce macaroni italien ? Je vas demander une feuille de route au colonel pour que je puisse aller jusqu’au bout.

— Bigre ! si mon billet de logement est pour c’te maison là, je crains bien que mon billet de logement ne soye un billet de parterre avant peu.

— Tiens, mon garçon, voilà une voiture du pays ; et, comme c’est très-drôle, ils ont appelé ça un Rigolo.

— Le coiffeur de la compagnie n’a plus qu’à se faire jardinier s’il a envie de garder notre pratique.

— Milord, faut pas vous offenser, c’est votre épouse qui avait demandé un guide pour visiter l’Italie.

— Camarade, faut ouvrir les yeux avec les femmes dans ce pays-ci, les hommes ont l’habitude de s’y laisser entortiller. Ça se voit rien qu’à leurs jambes et à leur chapeau.

— Coco ! je ne veux pas que tu t’encanailles en fréquentant les chevaux italiens ! c’est tous des mules, faut tenir son rang.

— Cré nom ! touché ! Voilà des yeux qui devraient porter des épinglettes de tir !

— C’est vexant ! Comme souvenir je voulais lui demander de ses cheveux et elle n’a que des serviettes ! ! !

— Je fais les logements pour le régiment. Je retiens d’abord cette longue maison.

— C’est la tour de Pise !

— Mais puisque c’est pour loger le tambour-major de chez nous !

— Maman, je vais dans ces bosquets croyant cueillir des fleurs ! ! !

— Eh bien ?

— Eh bien ! maman, c’était des gourbis ! J’ai cueilli un zouave !

— Brigadier, il n’est pas fameuse le café en Italie !

— Si t’avais de l’instruction, tu saurais que l’Italie est la patrie au Tasse seulement ! et pas z’aux demi-tasses.

— Quel cauchemar ! je vas chez un artiste italien lui demander de tirer mon portrait pour l’envoyer à Françoise dans une lettre, et il me fait mon buste en marbre !

— Cré nom ! j’aurais dû m’en méfier ! la voilà qui me fait une frasque. Je l’avais entendu dire, du reste, qu’ils en faisaient les Italiens, même en peinture ! Ils appelions ça de la peinture à frasque sur les murs.

— Excusez, une tarentelle ! Si j’avais su ce que c’était que la danse dans ce pays-ci, j’aurais pas demandé à être son cavalier. Prenons une voiture ! je ne peux plus suivre, moi, d’abord !

— Puisque madame cultive le tambour, je lui ferai remarquer que j’en suis le major.

— En v’là un jobard ! il me procure une occasion de me battre et il s’appelle ensuite mon obligé !

— Le capitaine ne veut pas que tu raccommodes tes effets ; il veut que tu fasses ton entrée à Paris comme tu es. On ne veut pas que nous soyons trop beaux ! C’est pour la paix des ménages aux bourgeois.

— Assez ! assez ! braves Parisiens ! vous z’allez m’attirer du désagrément z’avec les 60 000 hommes qui marchent par derrière.

— Comme elles nous regardent ! Je crois que les maris ne dormiront pas bien ce soir.

— Caporal, voilà une belle voiture !

— On voit bien que vous n’avez pas évu mon équipage z’à Milan !

— Mam’zelle Françoise, C’est z’une infamie celui qui vous z’a dit que j’étais un des amans de Bellone !

— Oui, monsieur Dumanet, et c’est en Italie encore qu’elle vous a accordé ses faveurs ! Si je connaissais ses maîtres je leur écrirais.

— Malheureux ! tu es assis sur le chapeau de paille d’Italie de ma maîtresse ! ! !

— Excusez ; c’est que-vois-tu, Françoise, en Italie la paille nous avions l’habitude de nous asseoir et de nous coucher dessus.

— Vous viendrez me voir, monsieur Dumanet ? Ça ne vous fait rien de monter un sixième étage ?

— Plus que je monte, plus que je suis content, ça me rappelle Solférino.

— Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle manière de marcher, s’il vous plaît ?

— Caporal, c’est du style dans la marche que j’ai contracté en Italie, en étudiant la manière de se promener des statues antiques.

— Croireriez-vous, mon bourgeois, que je n’ai fait que me présenter au camp autrichien, le lendemain il y avait quarante sapeurs de chez eux qui s’étiont brûlé la cervelle de dépit, rien que d’avoir vu ma barbe.

— T’as pas été en Italie ?

— Non !

— Eh bien ! alors, je te défends de causer sur la peinture ; tu m’entends ?

— Mademoiselle Françoise, depuis mon voyage en Italie, je cherche la pureté dans les lignes ; votre visage ne peut plus m’aller !

— Depuis que j’ai couché sur la terre d’Italie, je ne puis plus coucher sur le lit de camp ! J’enfonce dans ces diables de planches ! ! !

— Mais je n’y puis rien, à son affaire à ce pauvre grand-duc ! Voilà la quatrième lettre qu’il m’écrit cette semaine.

— C’est comme je vous le dis, mam’zelle Françoise, en Italie il n’y a pas de pays plus commode pour les domestiques ! Les maîtres, c’est pas des bourgeois comme ici ! En Italie, les maîtres, c’est des tableaux, et y a pas moyen d’avoir des raisons avec ça.

LE CHASSEUR. — Comment ! cela ne vous fait pas l’effet d’un bon fusil ?

LE ZOUAVE. — Ma foi, non ! il n’y a pas de baïonnette au bout.

— Excusez, braves bourgeois, si je viens vous demandera dîner comme ça tous les jours, mais notre caporal d’ordinaire a été tué en Italie, qu’il était adoré et qu’on ne veut pas le remplacer.

— Faites pas attention, mon bourgeois ; j’ai dressé quelques lièvres par ici, histoire de m’amuser. En voilà un, je ne crois pas que vous le mécaniserez facilement.

— Imbécile de lapin ! si t’avais tant seulement fait la campagne d’Italie tu ne ferais pas attention à ces bêtises-là !

— Mais mange donc, Caroline !

— Je ne peux pas. Tu me ramenais toujours trois ou quatre turcos pour dîner ; c’est devenu une habitude pour moi, je ne peux plus manger sans eux. Ma foi, tant pis ! va m’en chercher ou je ne mange pas !

— Eh bien ! qu’est-ce qui vous prend donc, monsieur Dumanet ?

— C’est une dame qui a un bouquet à la main ; je crois toujours que je vais le recevoir à la tête, tant qu’on m’en a jeté dernièrement.

— Vous ne pouvez pas marcher droit et vous osez dire que vous n’êtes pas pochard ?

— Major, c’est un tic que j’ai contracté en Italie en regardant la tour de Pise.

— Hélas ! elle est fermée ma chasse à moi ! ! !

— Je m’en fiche que ça soit l’idée à tes bourgeois, mais je ne veux pas que tu te promènes avec un zouave ; qu’on l’habille autrement !

— C’est indigne ! Vois donc comme ton fils traite sa bonne !

— Dame ! tu l’habilles en zouave, faut bien qu’il fasse le diable !

— Tiens, voilà mon courrier d’Italie ! Rien que ça ! Mais comment est-ce qu’elles ont pu se procurer mon adresse ?

— Caporal, vous qui z’avez z’été en Italie, qu’est-ce que c’est la Fornarina ?

— Parbleur ! c’est une position que nous avons enlevée à la baïonnette ! Le fort Narina, c’est connu ça !

— C’est-y bête, les peintres ! Il me dit comme ça que le gouvernement l’enverra en Italie s’il est fort en peinture. Bien sûr qu’il s’imagine que nous sommes de fameux artistes, nous autres.

— Qu’est-ce que cela veut dire, brosseur ? Vous pleurez en cirant mes bottes ?

— Major, quand on a z’été en Italie, cette image vous occasionne toujours une certaine émotion.

LES TURCOS DE RETOUR DANS LEURS FOYERS.

— Bien regrettir Paris ; bien m’embêtir en Kabylie.

Rentré dans ses foyers au retour de son voyage à Paris, le turco Abdallah s’aperçoit pour la première fois de sa vie que son épouse Fathma a un drôle de teint et qu’il y a mieux.

— Plus vouloir restir ! Paris ! Paris ! Paris !

— Paradis de Mahomet là-haut !

— Pas là-haut ! Moi, turco, savir paradis Mahomet à Paris ; moi dansir, cancanir chez Mabille ! Bono paradis ! bono !

Le turco n’ayant plus la moindre considération pour le lion de l’Atlas, depuis qu’il le sait assez crétin pour se laisser mettre en cage au jardin des Plantes.
Le turco ne voulant plus s’asseoir comme les autres croyants, mais bien sur deux chaises, ainsi qu’il l’a vu faire sur le boulevard des Italiens.
Le cadi est fort étonné en voyant les turcos le saluer désormais à la mode de Paris et l’appeler « mon bon ! »

— Vous promenir turcos toute la journée palanquin ! Moi apprenir le tarif à Paris, moi payir comme fiacre, moi donnir trois sous !

— Toi, turco, ancien Kabyle, dédaignir chameau, ancien ami à toi !

— Moi revenir de Paris, moi plus aimir les bosses qu’au restaurant.

— Abdallah ! toi plus t’occupir de ta compagne, toi cherchir quelque chose depuis ton retour de Paris ?

— Moi cherchir marchand de vin, moi pas trouvir, moi toujours cherchir !

Les femmes kabyles obligées de s’habiller désormais comme les Parisiennes pour fixer le cœur de messieurs les turcos.

— Tu sais bien ces turcos que tu avais engagés à dîner ? Eh bien, ils t’envoient ça d’Alger ; seulement ils n’ont pas payé le port, et voilà le septième jour qu’il n’a pas mangé.