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Chamfort/Moraliste/I

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(p. 81-129).

CHAMFORT MORALISTE




CHAPITRE PREMIER

ANNÉES DE RETRAITE. — RELATIONS AVEC VAUDREUIL ET MIRABEAU


Dans une lettre qu’il écrivait, vers le commencement de 1784, à un de ses amis de province, l’abbé Roman : « J’ai fait mille lieues sur une feuille de papier, lui disait Chamfort, voilà mon histoire depuis quatre ans[1] ». Ce n’est donc qu’en 1779 qu’il commença, pour parler comme lui, « à retirer sa vie en lui-même ». Ceux qui se sont persuadé que la fâcheuse destinée de Mustapha fut la grande blessure de la vie de Chamfort n’ont pas assez remarqué que les atteintes portées à l’amour-propre littéraire ne tardent point tant à faire sentir leurs effets. — D’ailleurs cette retraite sous la tente ne ressemble en rien à une bouderie. Il y eut sans doute, durant ces quatre années, des intermittences dans son existence de solitaire ; mais il est certain qu’il éprouve alors le besoin et le goût de la solitude. Elle n’était point nouvelle pour lui ; déjà la maladie l’avait forcé de la subir, et il l’avait acceptée ; mais à ce moment il la recherche, s’y attache et évite ce qui pourrait l’en arracher. Non seulement il cesse d’être un homme de plaisir, un homme à la mode ; mais il ne veut pas plus de bruit autour de son nom qu’il n’en veut autour de sa personne ; et comme il renonce à se produire, il renonce à produire ou plutôt à publier. Pareil renoncement est, je crois bien, chose assez rare dans l’histoire des lettres ; du moins, au xviiie siècle, le cas me paraît unique ; et il vaut sans doute la peine d’en rechercher les causes.

Chamfort venait d’atteindre la quarantaine, ou, mieux, elle venait de l’atteindre ; c’est un âge critique c’est le moment où l’on sent que l’on porte la vie, qu’elle ne nous porte plus. Et nul ne le sent mieux que celui pour qui, dans la jeunesse, la volupté fut la grande affaire. « Les voluptueux, a-t-on dit, sont aisément mélancoliques… Il semble que la volupté, quand elle s’empare d’un homme, s’y fasse à ce point la maîtresse de son être qu’après elle plus rien ne soit qui vaille la peine de vivre[2]. » Sans elle, tout au moins, l’existence perd singulièrement de son intérêt : écoutez cette confession de Chamfort ; car le propos qu’il prête à un tiers, c’est vraiment lui qui le tient : « M. de L… me disait, relativement au plaisir des femmes, que lorsqu’on cesse de pouvoir être prodigue, il faut devenir avare, et qu’en ce genre celui qui cesse d’être riche commence à être pauvre. Pour moi, dit-il, aussitôt que j’ai été obligé de distinguer entre la lettre de change payable à vue et la lettre payable à échéance, j’ai quitté la banque[3] ». Sage en effet celui qui, à cette heure, peut quitter la banque ; mais cette sagesse coûte bien de la tristesse et des regrets ; on s’aperçoit que Chamfort n’y échappa point, à ce mot où il y a peut-être encore plus de mélancolie que d’esprit : « M…, ayant lu la lettre de saint Jérôme où il peint avec la plus grande énergie la violence de ses passions, disait : La force de ses tentations me fait plus d’envie que sa pénitence ne me fait peur[4] ». Et cette sagesse, qui s’impose, brise comme un ressort de l’âme et l’emplit d’atonie. Joignez que Chamfort sentait son énergie diminuée non seulement par l’âge, mais aussi par sa santé qui, dès lors, est pour toujours compromise ; lorsqu’il était jeune, à plusieurs reprises, nous l’avons vu, il avait été aux prises avec la maladie ; mais quelle différence entre tomber malade et être devenu maladif ! On lutte contre les souffrances ; on se traîne sous le poids de la langueur. Et c’est ce qu’il exprime très bien dans un billet adressé vers ce temps à Mme de Créqui : il lui dit que, sans souffrir d’aucun mal particulier, il est contraint de garder la chambre et qu’il s’y résigne difficilement. « Il y a peut-être plus de cris dans un hôpital, ajoute-t-il ; mais, à coup sûr, il y a plus de larmes dans une prison [5]. »

Il était pourtant capable de se consoler de la perte du plaisir par le sentiment de l’amour, qu’il savait bien en distinguer et qu’il comprenait dans toute sa délicatesse. « L’entêtement, a-t-il dit un jour, représente le caractère à peu près comme le tempérament représente l’amour[6]. » Il trouvait aussi assez de ressources dans son âme ardente pour triompher de la débilité de sa santé. « Au physique, disait M…, homme d’une santé délicate et d’un caractère très fort, je suis le roseau qui plie et ne rompt pas ; au moral, je suis au contraire le chêne qui rompt et qui ne plie point. Homo interior totus nervus, dit Van Helmont[7]. » Ces misères physiques ont contribué sans doute à prédisposer son âme au découragement ; mais elles n’en sont pas la cause directe.

Le spectacle des affaires publiques exerça sur lui une influence bien autrement active et profonde. Nous savons avec quelle joie il avait salué l’arrivée de Turgot au ministère : il espérait qu’avec un pareil homme les réformes ardemment rêvées allaient bientôt s’accomplir. Et Turgot avait gouverné deux ans à peine ; sa tentative n’avait servi qu’à montrer comment tous les projets de bien public devenaient impraticables sous un gouvernement arbitraire et un régime social fondé sur le privilège. En même temps, de l’autre côté de l’Atlantique, un peuple jeune, au milieu des épreuves, grandissait pour la liberté ; en France, on s’intéressait passionnément à la lutte soutenue par les Insurgents ; l’opinion publique contraignait le gouvernement à venir à leur aide. Mais les lenteurs calculées du ministère français, les répugnances de Louis XVI, déguisées à peine, prouvaient de reste à qui voulait voir que, dans les conseils du roi, l’on était hostile aux réformes populaires. Ceux qui, après Louis XV, les avaient attendues du jeune roi, pouvaient bien se sentir irrités et découragés ; et ce découragement, Chamfort l’éprouva autant que personne et l’a énergiquement traduit : « Savez-vous pourquoi, me disait M. de M…, on est plus honnête en France, dans la jeunesse et jusqu’à trente ans, que passé cet âge ? C’est que ce n’est qu’après cet âge qu’on s’est détrompé ; que, chez nous, il faut être enclume ou marteau ; que l’on voit clairement que les maux dont gémit la nation sont irrémédiables[8] ».

Il aurait pu, il aurait dû, a-t-on dit, chercher de la consolation et du réconfort dans la production littéraire. « Le malheur de Chamfort, dès avant l’âge de quarante ans, remarque Sainte-Beuve, fut dans son inaction et dans sa stérilité[9] ! » Cette stérilité dont il aurait souffert venait, au dire de Sainte-Beuve, d’un vice originel de son talent qui était sec, étroit, de courte haleine et de courte portée. Que Chamfort fût incapable d’une production abondante, cela est possible, mais ne peut guère se prouver ; ce qui est certain, c’est qu’il a dit très haut qu’il voulait, non pas ne plus rien produire, mais ne plus rien publier ; qu’il a exprimé dans les termes les plus forts son dégoût du métier et de la vie d’homme de lettres, et qu’il a essayé de le justifier par des raisons qui méritent qu’on les examine et qu’on les pèse.

Au commencement de 1784, quelques amis puissants s’occupaient de faire obtenir à Chamfort je ne sais quel emploi à la cour ; et, lui, songeant que, s’ils réussissaient, il lui faudrait rompre son silence et remettre son enseigne littéraire, faisait part de ses inquiétudes à son ami, l’abbé Roman, dans une lettre où l’on ne peut méconnaître l’accent de la sincérité : « Il est certain, lui disait-il, que je désire le non-succès d’un événement prétendu heureux, dont les suites, comme nécessaires, sont de me rengager dans une carrière pleine de misères et de dégoûts, de me faire exister pour le public que je méprise presque autant que les gens de lettres, leurs cabales, leurs noirceurs, leurs vanités absurdes, etc. ; de me faire ou manquer ou atteindre une célébrité, qui, grâce au ton régnant dans la littérature actuelle, n’est qu’une infamie illustre faite pour révolter un caractère décent[10] ». Ces lignes contiennent le résumé des griefs de Chamfort contre le métier et la vie littéraires voyons ce qu’ils valent.

La profession d’écrivain était-elle donc aussi pleine de misères qu’il le prétend ? — On peut, je crois, affirmer hardiment que l’homme de lettres qui, à cette époque, n’eût voulu rien attendre que de ses œuvres, ne pouvait pas espérer arriver à la richesse. Ce qui enrichit Voltaire, ce furent d’heureuses spéculations ; ses ouvrages ne contribuèrent que pour bien peu à sa grande fortune. Si Marmontel se trouve, à un moment, fort bien renté, c’est qu’il a su se faire donner force pensions et sinécures. Et il faut même remarquer que l’opinion des grands seigneurs et des gens du monde n’admettait guère que, même par des faveurs, un homme de lettres pût s’élever au-dessus de la médiocrité : « J’ai toujours été choqué, écrivait Chamfort, de la ridicule et insolente opinion, répandue presque partout, qu’un homme de lettres qui a quatre ou cinq mille livres de rente est au périgée de la fortune [11] ».

Il n’y a pas là de mauvaise humeur ; c’est l’expression même de la vérité ! En veut-on la preuve ? Suard rédigeait la Gazette de France. Il avait imaginé une combinaison qui, tout en profitant à l’État, lui permettait d’augmenter ses appointements.

« Comme tout le monde devait gagner, Madame de Tessé imaginait que tout le monde serait bientôt d’accord ; qu’il était superflu de s’adresser directement au ministre, M. de Choiseul, et qu’au premier mot du chef de division la décision ministérielle serait dictée et signée. La marquise se rend en grande hâte dans les bureaux ; mais quelle est sa surprise ! Ce chef superbe de quelques commis ne conteste pas les profits à faire et à partager ; mais il s’étonne et s’indigne que des hommes de lettres ne se trouvent pas assez riches avec 2500 francs, et lui, commis, en avait 25000 ou 30000[12] ! »

Les bons commis n’ont point d’ordinaire d’opinions personnelles ; celui-là ne faisait que traduire l’opinion de ses supérieurs, l’opinion des gens du monde.

Les libraires, éditeurs, entrepreneurs de journaux, ne pensent point autrement ; et de peur que les gens de lettres ne deviennent plus riches qu’il ne convient, ils les exploitent à l’envi. Brissot, à ce sujet, cite un mot bien caractéristique d’un libraire de la rue Saint-Jacques : « Que ne puis-je, s’écriait cet honnête commerçant, tenir dans un grenier Voltaire, Helvétius et Diderot sans culottes ! Comme je gagnerais de l’argent Comme je les ferais travailler[13] ! » Ses confrères n’eussent pas désavoué ce propos. Pour se rendre compte des profits que pouvait tirer un écrivain d’une notoriété modeste de la publication de ses œuvres, il n’est que de voir comment furent payés quelques-uns des auteurs les plus illustres pour leurs œuvres les plus retentissantes. La Nouvelle Héloïse, au dire de Brissot, fut achetée 4000 livres à Rousseau. Les libraires de l’Encyclopédie s’étaient engagés vis-à-vis de Diderot à lui servir d’abord une rente de quinze cents livres jusqu’à la fin de l’ouvrage, puis trois cent cinquante livres par volume de planches et trois cent cinquante livres par volume de discours, c’est-à-dire quinze mille francs qui devaient être payés dans l’intervalle de cinq ans[14].

Au reste, il ne suffit pas aux éditeurs de mettre à si bas prix la main-d’œuvre littéraire. Il en est parmi eux qui, non contents de prendre vis-à-vis des auteurs des engagements dérisoires, se dispensent même de les tenir. Brissot, qui, maintes fois, fut la victime de ces corsaires, a conté quelques-unes de leurs prises. Notez qu’il ne paraît pas s’en irriter beaucoup et qu’il ne s’en indigne en aucune façon ; on sent, à la façon dont il les conte, que c’était la pratique courante.

Cette pauvreté forcée de l’homme de lettres, Chamfort, tout en protestant, l’eût supportée peut-être ; mais elle s’aggravait d’humiliations et de dégoûts qu’il trouvait intolérables. Il les énuméra un jour dans une ligne : « Gentilshommes de la Chambre, comédiens, censeurs, la police ». — Étiez-vous auteur dramatique ? Il fallait, en effet, vous ménager les bonnes grâces de messieurs les six Gentilshommes de la Chambre à qui incombait la direction de la Comédie française et de la Comédie italienne ; surtout il fallait vous assurer la faveur de leur intermédiaire, Monsieur l’intendant des Menus-Plaisirs. Ce n’était point toujours besogne commode, et Sedaine s’en aperçut. Une fois qu’il s’était plaint de ce fonctionnaire, Papillon de la Ferté, celui-ci, arrivant furieux, crie très haut : « Où est Sedaine ? — La Ferté, dit résolument celui-ci, Monsieur Sedaine est ici ; que lui voulez-vous ? » La reine approuva la réplique du poète ; mais il ne fallait pas se risquer à donner de ces leçons-là tous les jours. — Messieurs les comédiens étaient aussi en fonds de hauteur ; les preuves abondent sur ce point. Sans renvoyer aux Mémoires du temps, nous croirons avoir donné une idée suffisante de la sujétion où ils tenaient les auteurs en citant la lettre que leur écrivit Chamfort, lorsqu’il leur envoya le manuscrit de Mustapha et Zéangir :

« Messieurs, vous ne devez pas être surpris qu’aux approches des dangers d’une première représentation, je me sois effrayé et que j’aie cherché à tourner au profit de mon ouvrage les derniers moments qui me restaient. Je m’étais flatté qu’étant à peine prêts à jouer la comédie de l’Égoisme, vous me demandiez mon manuscrit beaucoup trop tôt, et l’excès de ma timidité vous imputait, je vous l’avoue, un excès de prévoyance. Mais puisqu’il faut que je triomphe de mes craintes, j’ai l’honneur de vous envoyer, Messieurs, le manuscrit de Mustapha et Zéangir, auquel je joins les rôles de Solyman et Roxelane, les seuls que j’eusse repris. — Il ne me reste plus qu’à recommander mon ouvrage à vos talents. Je leur dois l’indulgence qu’il a obtenue à Fontainebleau ; et la ville n’est pas moins favorable que la cour à ceux auxquels il est redevable de son succès. J’ai l’honneur d’être avec une parfaite considération, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur, Chamfort, secrétaire des commandements de S. A. Monseigneur de Condé. » (De Chantilly, samedi 21 juin 1777)[15]

Il est naturel qu’un poète dramatique se mette en frais de gracieuseté avec ses interprètes ; mais à ces formules de protocole, ne sent-on pas dans cette lettre que Chamfort traitait avec une véritable puissance ? Inutile de rien dire de la censure et de la police qui étendaient leur empire sur toutes les provinces de la littérature. D’un mot, qui n’a rien d’exagéré, Chamfort a indiqué ce qu’elles avaient alors de capricieux et de tracassier. « On reprochait à M. L…, homme de lettres, de ne rien plus donner au public : Que voulez-vous qu’on imprime, dit-il, dans un pays où l’Almanach de Liège est défendu de temps en temps[16] ? »

Si du moins ce triste métier d’homme de lettres était relevé par ceux qui l’exercent !… Mais non ; lorsque l’on a mis à part quelques très grands écrivains, que trouve-t-on alors dans la gent littéraire ? Un petit nombre d’amateurs, fort infatués d’eux-mêmes, des habiles, qui courent après les grâces et les pensions, et, tout en bas, une tourbe nombreuse, très décriée, très justement décriée, et qui ne rappelle notre bohème moderne que par son dénuement et son désordre. C’est la foule des compilateurs et des plagiaires ; ce sont ceux dont Chamfort disait qu’au lieu de mettre leurs livres dans leurs bibliothèques, ils mettent leurs bibliothèques dans leurs livres[17] ; — et encore : « Quelqu’un a dit que de prendre sur les anciens c’était pirater au delà de la ligne ; mais que de piller les modernes c’était filouter au coin des rues[18] ». Ce sont ceux, romanciers ou poètes, qui flattent les basses passions du public, et qui se font ses pourvoyeurs de gravelures et d’obscénités. J’ai sous les yeux une liste d’almanachs publiés en 1778[19] ; leurs titres indiquent assez quel était le goût du public, même du public populaire, pour les œuvres libertines, et qu’il ne manquait pas de gens pour le satisfaire. Ce sont enfin les libellistes, les auteurs de pamphlets scandaleux, les gazetiers cuirassés, les Morande, les Pelleport, ceux qui écrivent les Amours du vizir de Vergennes, les Petits soupers de l’Hôtel de Bouillon, les Passe-temps d’Antoinette, ceux qui diffament sur commande, et qui, parfois, emploient le chantage, non sans succès.

On aurait tort de croire qu’on pouvait sans peine tenir ce vilain monde à l’écart ; ces gens fort méprisables étaient en même temps fort audacieux. Très bruyants, très remuants, ils entraient partout, se mêlaient à tout. On les trouvait dans toutes les cabales ; il fallait compter avec eux ; car les lauriers de l’illustre La Morlière les empêchaient de dormir. Les cabales, au reste, ne se formaient pas seulement parmi ces stercoraires de la littérature ; et nous avons vu que la secte encyclopédique, où l’on comptait tant d’honnêtes gens, avait fait payer à Chamfort l’indépendance qu’il avait voulu garder vis-à-vis d’elle.

Sans doute, on pouvait citer des écrivains qui ne descendaient point à ces bassesses, et qui gardaient une attitude décente. Mais ceux-là mêmes n’échappaient pas à des défauts déplaisants que leur métier, si excédant, si bien fait pour surexciter l’amour-propre, leur imprimait comme des stigmates. Ils ont beau se répandre dans le monde, ils conservent, malgré eux, comme un pli professionnel, et, en dépit d’eux-mêmes, laissent toujours percer quelque pédantisme. Leur vanité surtout, qui les rend maladroits ou malheureux, fait que leur commerce est le plus souvent incommode. Ils sont toujours empressés à parler d’eux-mêmes et de leurs œuvres. « L’abbé Delille devait lire des vers à l’Académie pour la réception d’un ami. Sur quoi il disait : Je voudrais bien qu’on ne le sût pas d’avance, mais je crains bien de le dire à tout le monde[20]. » Ils ont, fussent-ils très grands, un éternel et insatiable besoin de louanges, fussent-elles très basses. « M. de Buffon s’environne de flatteurs et de sots qui le louent sans pudeur[21]. » Pour éviter que cette vanité ne reçoive des atteintes, ils ne reculent pas devant des vilenies. « Lorsque l’Esprit des Lois parut, il s’en fit plusieurs critiques mauvaises ou médiocres qu’il (Montesquieu) méprisa fortement. Mais un homme de lettres connu en fit une dont M. du Pin voulut bien se reconnaître l’auteur et qui contenait d’excellentes choses. M. de Montesquieu en eut connaissance et en fut au désespoir. On la fit imprimer, et elle allait paraître, lorsque M. de Montesquieu alla trouver Mme de Pompadour qui, sur sa prière, fit venir l’imprimeur et l’édition tout entière. Elle fut hachée, et on n’en sauva que cinq exemplaires[22]. » L’envie, enfin, suite ordinaire et comme nécessaire de la vanité, met dans les rapports que les gens de lettres ont entre eux une malveillance ou tout au moins une défiance continuelle. « M… qui venait de publier un ouvrage qui avait beaucoup réussi, était sollicité d’en publier un second, dont ses amis faisaient grand cas : Non, dit-il, il faut laisser à l’envie le temps d’essuyer son écume[23]. »

Les délices de la réputation sont telles que, dans tous les temps, elles ont suffi à bien des écrivains pour qu’ils oublient ce qu’il y a d’ingrat et d’âpre dans leur métier. Mais, à quarante ans, Chamfort avait cessé de les goûter :

« J’ai aimé la gloire, je l’avoue, dit-il ; mais c’était dans un âge où l’expérience ne m’avait point appris la vraie valeur des choses, où je croyais qu’elle pouvait exister pure et accompagnée de quelque repos, où je pensais qu’elle était une source de jouissances chères au cœur, et non une lutte éternelle de vanité ; quand je croyais que, sans être un moyen de fortune, elle n’était pas un titre d’exclusion à cet égard. Le temps et la réflexion m’ont éclairé [24]. »

Et il avait été éclairé d’une lumière pénétrante et crue. Quoi de plus vain que la célébrité ? « Célébrité : l’avantage d’être connu de ceux qui ne nous connaissent pas[25]. » Quoi de moins honorable ? Ce public, par qui l’on devient célèbre, est, au vrai, si indifférent au mérite ! « Le travail du poète, et souvent de l’homme de lettres, lui est bien peu fructueux à lui-même ; et de la part du public, il se trouve placé entre le Grand merci et le Va te promener[26]. » Ce public d’ailleurs n’est-il point de goût gâté et perverti ? « Un homme de goût est, parmi ce public blasé, ce qu’une jeune femme est au milieu d’un cercle de vieux libertins[27]. » Faites de votre mieux, travaillez à donner une œuvre forte ou distinguée combien de chances pour que vous restiez « à moitié chemin de la gloire de Jeannot[28] » ! L’homme qui ne se laisse point étourdir par le bruit dont la réputation l’entoure, ni aveugler par la poussière qu’elle soulève autour de lui, reconnaîtra vite qu’elle apporte plus de charges que d’avantages. Un écrivain en vue ne s’appartient plus à lui-même ; le monde, qui fait les réputations, n’entend pas les faire gratis ; il veut qu’on le paie en se soumettant à quelques-unes de ses servitudes : servitudes extérieures, visites, dîners, fêtes, cérémonial et, ce qui est plus grave, servitudes morales, préventions, préjugés de toute sorte. Il ne lui suffit pas qu’on soit des siens, il veut qu’on soit sien ; on ne s’acquitte avec lui qu’en le surpayant. Et les avantages de la célébrité ? En regard de ses inconvénients, Chamfort avec une parfaite netteté en a établi le bilan « Il est aisé de réduire à des termes simples la valeur précise de la célébrité ; celui qui se fait connaître par quelque talent ou quelque vertu se dénonce à la bienveillance inactive de quelques honnêtes gens et à l’active malveillance de tous les hommes malhonnêtes. Comptez les deux classes et pesez les deux forces[29]. »

Les misères et les tracasseries de la vie littéraire l’ont donc excédé sans qu’on puisse en être surpris ; mais surtout l’insignifiance, le vide de ce qu’on nommait alors la littérature, ont fait éprouver à son âme comme une lourde lassitude. Après de courtes excursions dans presque tous les genres consacrés, il sent que tous ces genres sont épuisés, qu’ils ne peuvent tout au plus servir que de distraction à une société vieillie et blasée, que la littérature pure va à sa fin, qu’elle a cessé d’être autre chose qu’un jeu d’esprit, et un jeu d’esprit suranné.

Le siècle est octogénaire ; il radote et ne se plaît plus qu’à l’absurdité ou à la platitude. Écrire et penser sont devenus des termes presque contradictoires :


Je touche au midi de mes ans,
Et je me dois tous mes instants
Pour jouir, non pour faire un livre ;

Amis, penser, sentir, c’est vivre ;
Écrire, c’est perdre du temps[30].


Chamfort pressentait-il un renouvellement littéraire ? le croyait-il proche ? — Il en a parlé en tout cas : « Pour être un grand homme dans les lettres ou du moins opérer une révolution sensible, il faut, comme dans l’ordre politique, trouver tout préparé et naître à propos[31] ». À coup sûr, il comprenait que, de son temps, l’heure de cette révolution n’avait point sonné. Alors à quoi bon publier ? Et, très résolument, il prit le parti de ne plus rien donner au public. Pendant de longues années il a tenu l’engagement qu’il prenait vis-à-vis de lui-même dans une lettre écrite en 1784 à l’abbé Roman :

« L’impression, disait-il…, j’en ai une si grande aversion que je n’ai de repos que depuis le moment où j’ai imaginé un moyen sûr de lui échapper et de faire en sorte que ce que j’écris existe, sans qu’il soit possible d’en faire usage, même en me dérobant tous mes papiers. Le moyen que j’ai inventé m’en rend maître absolu jusqu’au monument et même par delà ; car je n’ai qu’à me taire ; et ce que j’aurai écrit sera mort avec moi [32]. »

Ainsi gagnée par le désenchantement, l’âme de Chamfort reçut, vers cette époque, dans des circonstances restées obscures, une blessure qui envenima la tristesse qui s’était amassée en elle.

L’expérience qu’il avait acquise de la vie suffisait sans doute à faire de lui un moraliste désabusé ; mais si la société de son temps ne lui eût point porté une atteinte directe et profonde, on ne trouverait pas, je crois, dans son livre une observation si amère et une satire si cruelle. « J’ai été une fois, dit-il, empoisonné avec de l’arsenic sucré, je ne le serai plus ; manet alta mente repostum[33]. » À quoi fait-il allusion ? On ne sait. Fut-il trahi et bafoué par quelque grand seigneur à qui il avait donné son amitié ? « J’ai vu les plus intimes amis faire des blessures à l’amour-propre de ceux dont ils avaient surpris le secret. Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société (je parle de la société du grand monde), il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère et surtout de ses faiblesses à son meilleur ami[34]. » Désireux, nous l’avons vu, d’obtenir un emploi dans la diplomatie, fut-il leurré, berné, et lui fit-on sentir sa déconvenue de façon humiliante ? Il y a chez lui plus d’un mot où éclate l’irritation d’avoir été pris pour dupe. Comme on le félicitait de ses relations avec les plus hauts personnages, il protestait : « Ce sont, disait-il, des joueurs qui m’ont montré leurs cartes, qui ont même, en ma présence, regardé dans le talon, mais qui n’ont point partagé avec moi les profits du gain de la partie[35] ». On a parlé aussi d’une passion malheureuse : sur ce point rien de précis ; mais combien de vraisemblance ! Dans les paroles de Chamfort sur les femmes, on distingue aisément l’accent d’une souffrance et d’une rancune personnelles. À l’âge où il n’aimait plus seulement le plaisir, où il avait besoin de tendresse, il possédait ses grandes entrées dans les salons les plus brillants ; après avoir été « l’amant d’une femme galante, le jouet d’une coquette, le passe-temps d’une femme frivole, l’instrument d’une intrigante », de flatteuses avances ne purent-elles pas lui faire croire qu’il trouverait dans ce monde de choix une liaison « d’âme à âme » ? S’il le crut, combien sa déception dut être cruelle quand il fut convaincu qu’il n’y avait dans le monde que des « coucheries sans amour[36] ! »

Et là encore peut-être lui fit-on sentir, et en nulle occasion il ne la pouvait sentir de façon plus cuisante, son infériorité sociale. Peut-être quelque grande coquette se fit-elle un jeu de rendre ridicule ce plébéien amoureux : M… disait à propos de Mme de … J’ai cru qu’elle me demandait un fou, et j’étais prêt à le lui donner ; mais elle me demandait un sot, et je le lui ai refusé net[37] ». En battant en retraite, il était ulcéré.

Quelle qu’ait été la cause de l’amertume de Chamfort, c’est vers l’année 1780 qu’elle se marque nettement pour la première fois. Il quitte alors Paris et se retire dans ce qu’il appelle « son établissement d’Auteuil ». Il ne fréquente plus que chez les Panckoucke et chez Mme Helvétius dont il est devenu le voisin. Assurément la maison de cette femme aimable n’est point une chartreuse ; mais, comme elle n’a guère pour familiers que quelques philosophes, on y trouve » un lieu de relâche, un asile contre les formes fatigantes du monde[38] ». C’est là que, sans contrainte, Chamfort venait exhaler sa bile, à l’heure où elle fermentait avec le plus d’âcreté. Morellet, un des habitués du salon de Mme Helvétius, le vit et l’entendit à ce moment ; et il fait de lui un portrait où il met une malveillance marquée, mais qui donne pourtant l’impression de la vérité et de la vie.

« Je le voyais, dit-il, dans la société de Saurin et de Mme Helvétius… il m’est arrivé vingt fois à Auteuil, après l’avoir entendu deux heures de la matinée contant anecdotes sur anecdotes et faisant épigrammes sur épigrammes avec une facilité inépuisable, de m’en aller l’âme contristée comme si je fusse sorti du spectacle d’une exécution ; et Mme Helvétius, qui avait beaucoup plus d’indulgence que moi pour ce genre d’esprit, après s’être amusée des heures entières de sa malignité, après avoir souri à chaque trait, me disait, après qu’il était parti : L’abbé, avez-vous jamais rien vu de si fatigant que la conversation de Chamfort ? Savez-vous qu’elle m’attriste pour toute la journée ? et cela était vrai[39] ».

Les blessures de Chamfort sont alors en effet toutes fraîches ; dans son irritation contre le siècle, il commence à recueillir, dans la solitude, ses anecdotes accusatrices ; et l’on imagine sans peine l’impression pénible et douloureuse que devaient laisser ses entretiens, où il s’efforçait de masquer ses souffrances par l’ironie. À peu près à cette date, il fit chez Mme Agasse la connaissance d’une femme dont l’influence fut grande sur lui : c’était Mme Buffon[40], veuve d’un médecin du comte d’Artois, femme d’esprit qui avait été élevée à la cour de la duchesse du Maine, et à qui son âge et sa situation avaient donné une grande expérience. C’était, nous dit un contemporain[41] qui l’a connue, « une femme bien vive… bien spirituelle… avec une physionomie pleine d’âme et d’expression… parlant bien, mais beaucoup trop peut-être pour toujours bien parler ; elle avait conservé tout l’empire de son sexe, qu’elle n’exerçait plus que sur le cœur, par l’esprit qu’elle avait aussi jeune, aussi aimable qu’à quinze ans ». Attiré vers elle, Chamfort se mit en peine de lui plaire ; comme entre elle et lui se rencontrait « une réunion complète d’idées, de sentiments et de positions[42] », il conçut pour elle une de ces « amitiés passionnées » où l’on a « le bonheur des passions, et l’aveu de la raison par-dessus le marché »[43]. Et ces relations aimables, qui devinrent une véritable liaison dans l’été de 1781, rendirent son humeur moins sombre, apaisèrent l’ardeur de ses colères et firent entrer un peu de calme dans son âme tourmentée. Lorsqu’en juillet 1781, il parut pour la dernière fois sur la scène littéraire, lors de sa réception à l’Académie, il y porta l’esprit et les grâces qu’on lui avait connus naguère ; rien ne parut de sa tristesse et de son désenchantement ; l’Académie ne se douta pas qu’elle avait ouvert ses portes à un terrible satirique ; elle put croire qu’elle n’avait admis qu’un critique disert et un poète spirituel. « C’est, disait Rivarol, une branche de muguet entée sur des pavots. »

Le jour où il prit séance fut une fête mondaine (19 juillet 1781). On voulait entendre le causeur brillant qui, depuis quelque temps déjà, avait déserté les salons. Le prince de Condé, accompagné de Mlle de Condé et de toutes les dames de sa cour, était dans l’assistance, et l’auditoire se composait « en grande partie… du beau sexe ». « M. de Chamfort a la réputation d’un des hommes de Paris qui a le plus d’adresse ; personne ne brille plus dans la société ; on s’attendait que pour l’esprit son discours de réception serait une espèce de feu d’artifice ; on n’a point été trompé entièrement[44]. » Et en effet, dans cet éloge de Sainte-Palaye, son prédécesseur, qui avait écrit une Histoire de la Chevalerie, il dit force jolies choses aux dames à propos de la galanterie des anciens chevaliers. L’effort se sentait pourtant ; l’ironie même, par endroits ; et, sans en comprendre la cause, les contemporains s’aperçurent que l’orateur était à la gêne dans toute cette partie de son discours. « Le style en est peiné, les rapprochements en sont minutieux ; il semble que l’auteur ait été condamné à faire de l’esprit [45]. » En revanche, la fin de la harangue, consacrée à la peinture de l’union fraternelle des deux frères de Sainte-Palaye, fut goûtée sans réserve. Là Chamfort qui, comme Montesquieu, a été « amoureux de l’amitié », parla d’abondance de cœur ; et tel passage, comme celui où il rappelle qu’une « éducation maternelle, bornée pour d’autres à la première enfance, et qui se prolongea pour lui jusqu’à la jeunesse, fut, pour M. de Sainte-Palaye, une des sources de cette douceur insinuante, de cette indulgence aimable, dont le cœur d’une mère est sans doute le plus parfait modèle[46] » ; tel autre, où il nous montre chez son héros cet optimisme qui « n’est point la vertu sans doute, mais que la vertu même pourrait envier », ont, au milieu des formes traditionnelles, des élégances convenues, un accent de sincérité, une émotion contenue, qui approchent vraiment de l’éloquence.

La cérémonie académique achevée et sa tâche remplie, Chamfort, malgré son succès, se hâta de rentrer dans le silence et la retraite. Mme Buffon avait bien pu l’empêcher de rompre brusquement et complètement avec le monde ; mais elle n’avait point changé l’opinion qu’il s’était faite de la société de son temps ; elle n’y avait pas songé sans doute et peut-être la partageait-elle elle-même. Ce qui est certain, c’est qu’un jour l’un et l’autre jugèrent qu’à Paris ou aux portes de Paris on ne pouvait se créer une solitude assez complète ; au printemps de 1783, tous les deux allèrent vivre au petit château de Vaudouleurs, près d’Étampes. « Je vous ai déjà étonné, écrivait Chamfort à l’abbé Roman en 1784, en vous parlant d’un éternel adieu dit à la ville de Paris, l’année dernière. Oui, mon ami, c’en était fait, et j’ai vécu six mois en province, à la campagne, partagé entre l’amitié, un jardin et une bibliothèque. C’est presque le seul temps de ma vie que je compte pour quelque chose[47]. » Ce fut en effet une retraite véritable et non pas une simple villégiature de blasés. Point de parties bruyantes et magnifiques ; Vaudouleurs est une maison fort modeste, mais entourée d’eaux fraîches et de beaux ombrages ; tout y respire le repos. Point de passion non plus : Chamfort et Mme Buffon avaient tous les deux passé la quarantaine. « Il n’y avait point d’amour, écrit Chamfort, parce qu’il ne pouvait y en avoir, puisqu’elle avait plusieurs années de plus que moi mais il y avait plus et mieux que de l’amour, puisqu’il existait une réunion complète de tous les rapports d’idées, de sentiments et de positions[48]. » Mais, à défaut d’amour, ils étaient unis par une tendresse très vive et qui y ressemblait fort. Chamfort a pu mettre une sorte de pudeur délicate à parler de sa liaison avec son amie. Mais, nous dit Aubin, « je l’ai vu l’aimer aussi ardemment qu’une maîtresse, aussi tendrement que sa mère[49] ». Ce subtil roman, cette singulière idylle de deux quadragénaires eut un dénouement tragique après six mois passés ainsi à Vaudouleurs, Mme Buffon mourut brusquement. Les lettres où Chamfort parle de cette perte sont pleines de cœur et montrent de quelle affection il avait aimé celle qui n’était plus : « Je ne finirais pas, dit-il à l’abbé Roman, si je vous parlais de ce que j’ai perdu. C’est une source éternelle de souvenirs tendres et douloureux. Ce n’est qu’après six mois que ce qu’ils ont d’aimable a pris le dessus sur ce qu’ils ont de pénible et d’amer. Il n’y a pas deux mois que mon âme est parvenue à se soulever un peu, et à soulever mon corps avec elle[50]. » Et, à peu près à la même époque, il écrit à Mme Agasse, qui avait été la meilleure amie de Mme Buffon, qu’il n’a pas eu le courage d’aller la voir aussitôt après le coup qui l’a frappé :

« J’ai craint d’être suffoqué en voyant, dans ces premiers jours, la personne que mon amie aimait le plus, et dont nous parlions le plus souvent. Le cœur sait ce qu’il lui faut. C’est de vous que j’ai besoin maintenant : j’irai vous voir au premier jour… Je ne réponds pas du premier moment ; mais je ne suffoquerai point, parce que mon cœur peut s’épancher auprès de vous. Mais quand je songe que ce même jour, et sans doute à la même heure où je serai chez vous, elle me verrait aussi !… Je m’arrête, et ne puis plus écrire et c’est depuis qu’elle n’est plus, le moment le moins malheureux[51]. »

Plus tard il écrivit des vers à la mémoire de cette morte si chèrement aimée ; et le sentiment qui les dicta est si profond et si sincère que, cette fois au moins, Chamfort fut vraiment poète[52].

Cette retraite, pendant laquelle il connut le calme et la tendresse, n’est pas seulement un épisode singulier dans la vie aride et vainement agitée, que Chamfort mena comme presque tous les hommes de son temps ; ces deux ans de liaison avec Mme Buffon, surtout ces six mois de solitude à Vaudouleurs, comptent beaucoup dans l’histoire de son esprit et dans le développement de son talent. Loin des hommes et de leurs atteintes, les blessures qu’il en avait reçues devinrent moins cuisantes ; il songea moins à ses griefs personnels ; il voulut voir les choses de haut, se consoler des cruautés de l’expérience par l’exercice de sa pensée, et, pour tout dire en un mot, détourner sa vue des réalités pratiques pour rechercher les vérités spéculatives. Cette tentative fut vite interrompue ; il ne semble guère d’ailleurs que Chamfort put y réussir. Elle lui fut utile pourtant, elle a son intérêt et mérite de nous arrêter.

C’est sans doute à ce moment qu’il écrivit les lignes suivantes :

« Je me suis réduit à trouver tous mes plaisirs en moi-même, c’est-à-dire, dans le seul exercice de mon intelligence. La nature a mis, dans le cerveau de l’homme, une petite glande appelée cervelet, laquelle fait office d’un miroir ; on se représente, tant bien que mal, en petit et en grand, en gros et en détail, tous les objets de l’univers, et même les produits de sa propre pensée. C’est une lanterne magique dont l’homme est propriétaire, et devant laquelle se passent des scènes où il est acteur et spectateur. C’est là proprement l’homme ; là se borne son empire ; tout le reste lui est étranger[53]. »

Par ce passage même on voit que Chamfort n’eut point d’ambition métaphysique ; ce qu’il demande à la philosophie spéculative, c’est un divertissement, au sens où Pascal entendait ce mot ; il ne prétend nullement à se faire un système, mais examine les divers systèmes, et cherche en quoi leurs grandes conclusions répugnent ou conviennent à son intelligence.

Il semble que, d’une façon générale, il ait incliné vers le spiritualisme ; au moins ne trouve-t-on pas chez lui une seule ligne qui puisse faire croire qu’il ait jamais partagé les idées de Diderot ou d’Helvétius. Et pourtant, devant les dogmes qui sont à la base de la doctrine spiritualiste, il reste singulièrement hésitant et perplexe. Est-il déiste ? « Je ne me soucierais pas, dit-il quelque part, d’être chrétien ; mais je ne serais pas fâché de croire en Dieu[54]. » Ailleurs il prend évidemment à son compte un mot de Diderot : « Les athées sont meilleure compagnie pour moi, disait M. D***, que ceux qui croient en Dieu. À la vue d’un athée, toutes les demi-preuves de l’existence de Dieu me viennent à l’esprit ; et, à la vue d’un croyant, toutes les demi-preuves contre son existence se présentent à moi en foule[55]. Comme il ne cessa jamais d’être préoccupé de morale pratique, une de ces demi-preuves contre l’existence de Dieu qui le frappait le plus, c’était le désordre moral : « Le monde physique, disait-il, paraît l’ouvrage d’un être puissant et bon qui a été obligé d’abandonner à un être malfaisant l’exécution d’une partie de son plan. Mais le monde moral paraît être le produit des caprices d’un diable devenu fou[56]. » Aussi ne peut-il admettre la Providence ; s’il en parle, c’est pour citer, en l’approuvant évidemment, le mot de Mme de Créqui : « Quelqu’un disait que la Providence était le nom de baptême du hasard[57]… » Quant à l’immortalité de l’âme, question qui se lie intimement à celle de l’existence de Dieu, il ne la nie point, mais semble croire qu’elle se pose comme un problème que l’homme ne saurait résoudre. « J’ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que certains sauvages de l’Afrique croient à l’immortalité de l’âme. Sans prétendre expliquer ce qu’elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche et n’y pensent plus. C’est à peu près ce que nos philosophes ont fait et avaient de meilleur à faire[58]. » Mais, malgré tant d’hésitations, on peut penser qu’en fin de compte Chamfort acceptait le déisme ; n’en fait-il pas l’aveu quand il dit que les athées, qui l’inclinent à la croyance en Dieu, sont pour lui meilleure compagnie ? C’est qu’il s’est fait un idéal de justice et de vertu et que le besoin de donner une forme à cet idéal s’impose aisément à ceux qui, à l’ordinaire, ne vivent pas dans l’abstraction. De ses excursions dans le domaine de la métaphysique, Chamfort est revenu très sceptique. « Je dirais volontiers des métaphysiciens ce que Scaliger disait des Basques : on dit qu’ils s’entendent, mais je n’en crois rien[59]. » Mais, sceptique par l’esprit, il serait volontiers déiste par le cœur.

On conçoit qu’ayant une foi si peu décidée aux dogmes de la religion naturelle, il ait moins encore accepté la religion révélée. En fait, il fut absolument indévot. Une anecdote nous édifiera sur ce point.

« M. de Chamfort, dit la Correspondance littéraire secrète (8 avril 1781), a enfin obtenu le fauteuil académique… Ce n’est pas son orthodoxie qui l’a conduit là. On en peut juger par sa réponse au curé de sa paroisse qui le venait exhorter dans une maladie qu’il eut cet hiver. M. Marsollier, jeune poète, qui était témoin, l’a consignée dans la pièce de vers que voici… »

Suivent des vers où l’on nous représente le prêtre engageant le moribond à finir en bon chrétien. Puis,


Le mourant, ouvrant la paupière,
Lui répond Hélas ! mon doux père,
Je voudrais souscrire à vos vœux ;
je vMais il fallait venir plus vite,
Car le docteur qui, dans l’instant, me quitte
je vM’a défendu les farineux.

À n’en pas douter, rien ne contribua plus à l’éloigner de la religion que les privilèges exorbitants dont jouissait alors le clergé, et l’abus qu’il en faisait ; c’est un point sur lequel nous reviendrons bientôt. Mais pour l’écarter du christianisme, ne suffisait-il pas de la soumission intellectuelle qu’il exige de ses fidèles ? Chamfort avait le respect et l’orgueil de sa pensée ; il n’eût pas souffert qu’on lui demandât de l’abdiquer. Jamais il n’eût pu suivre le conseil qu’il prête à certain dévot : « J’ai entendu un dévot, parlant contre des gens qui discutent des articles de foi, dire naïvement : Messieurs, un vrai chrétien n’examine point ce qu’on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de cela comme d’une pilule amère : si vous la mâchez, jamais vous ne pourrez l’avaler[60]. »

Certes, nous sommes fort loin de prétendre que, dans ce que Chamfort a dit sur ces grandes questions, il y ait autre chose que des mots ; nous reconnaissons volontiers qu’il les aborda avec le préjugé du doute préalable qui était l’esprit même du siècle. Nous ne voulons nullement surfaire sa portée philosophique, et nous ne pensons point, quoi qu’il en ait dit, qu’il eût pu jamais trouver son plaisir « dans le seul exercice de son intelligence ». Quand il vécut, on avait désappris dès longtemps ce qu’est la contemplation des pures idées ; comment, seul entre tous, fût-il arrivé à cet état de désintéressement, où quelques-uns, comme Goethe, ont atteint plus tard, où l’on n’a plus d’autre joie que de comprendre, où le monde extérieur, l’univers visible, le monde intérieur, le moi, ne sont plus qu’un spectacle pour un témoin intelligent ! Tout ce que nous voulons faire entendre, c’est que, pour avoir seulement abordé ces grands problèmes, son esprit prit une trempe plus forte ; sa pensée ne s’éleva pas peut-être, mais elle s’élargit ; il devint capable, non pas de concevoir les idées universelles, mais des idées générales. Sans ces heures de recueillement, il n’eût été sans doute qu’un satirique plein de malignité ; il devint un moraliste. Et de plus, convaincu, beaucoup trop vite assurément, mais enfin convaincu de l’inutilité de son effort spéculatif, il s’attacha avec plus d’ardeur et de force aux questions pratiques. « La vie contemplative, pensa-t-il, est souvent misérable ; il faut agir davantage, penser moins et ne pas se regarder vivre. — L’homme peut aspirer à la vertu ; il ne peut raisonnablement prétendre de trouver la vérité[61]. » Il jugea qu’en tout, comme dit Rivarol, il ne faut pas songer à être plus qu’homme, mais seulement à être plus homme. Et, à y bien regarder, c’est là précisément qu’est son point de départ révolutionnaire.

Quand survint la mort de Mme Buffon, il fut brusquement rejeté dans le monde. Choiseul-Gouffier, qu’il connaissait depuis plusieurs années et pour qui il venait d’écrire, sous l’anonyme, la préface du Voyage pittoresque de la Grèce ; M. de Vaudreuil, avec qui il était entré en relations depuis deux ans environ, et dont il avait reçu maintes preuves d’affection, résolurent de l’enlever à sa retraite. « Un ami, dit-il, est venu m’arracher en chaise de poste de ce séjour charmant[62] » (Vaudouleurs). Pour distraire sa douleur, Vaudreuil et Choiseul-Gouffier, qui s’étaient adjoint le vicomte de Narbonne, l’emmenèrent faire un voyage en Hollande. Puis, de retour en France, Vaudreuil ne négligea rien pour obtenir de Chamfort qu’il consentit à accepter un logement dans son hôtel ; comme il connaissait son goût pour l’indépendance et qu’il vivait lui-même presque toujours à Versailles, quand il était absent, « il faisait servir une table pour Chamfort et ceux qu’il plaisait à Chamfort d’inviter[63] ». Il ne s’en tint pas là ; tandis que Chamfort, malade et quinteux, restait à l’écart et sur la réserve, il sollicitait pour lui des faveurs et travaillait « essentiellement à sa fortune[64] ». C’est ainsi qu’il lui fit obtenir la place de secrétaire de Mme Élisabeth (12 septembre 1784) et, plus tard, par Calonne, une pension de 2000 livres sur la maison du roi (21 août 1786).

À l’époque de la Révolution, les adversaires et les ennemis de Chamfort lui reprochèrent très durement cette liaison avec un des derniers favoris de l’ancien Régime. Faut-il croire, comme ils l’ont prétendu, que, par cupidité ou par ambition, il ait trahi son cœur et ses idées ? Il suffit d’ouvrir sa correspondance, de lire des lettres intimes où rien ne l’oblige à déguiser ses sentiments, pour reconnaître qu’il sentit pour M. de Vaudreuil une affection véritable :

« Il faut vous dire de plus, écrit-il à l’abbé Roman, qu’indépendamment de ma nouvelle place, ma liaison avec M. de Vaudreuil est devenue telle qu’il n’y a plus moyen de penser à quitter ce pays-ci. C’est l’amitié la plus parfaite et la plus tendre qui se puisse imaginer. Je ne saurais vous en écrire les détails ; mais je pose en fait que, hors l’Angleterre où ces choses-là sont simples, il n’y a presque personne en Europe digne d’entendre ce qui a pu rapprocher, par des liens si forts, un homme de lettres isolé, cherchant à l’être encore plus, et un homme de la cour jouissant de la plus grande fortune et même de la plus grande faveur. Quand je dis des liens si forts, je devrais dire si tendres et si purs ; car on voit souvent des intérêts combinés produire entre des gens de lettres et des gens de la cour des liaisons très constantes et très durables ; mais il s’agit ici d’amitié, et ce mot dit tout dans votre langue et dans la mienne [65]. »

Pourquoi nous refuserions-nous à croire à la sincérité d’une amitié qui s’exprime en termes si vifs et si sentis ? Que l’on juge aussi sévèrement que l’on voudra le rôle que Vaudreuil a joué dans l’histoire il n’en faut pas moins reconnaître qu’il avait de quoi se rendre aimable ; aux meilleures traditions de politesse et d’élégance de l’ancien monde, il joignait les goûts de la société moderne.

« M. de Vaudreuil aimait passionnément les arts et les lettres il se plaisait à les encourager plus encore en amateur qu’en homme puissant. Toutes les semaines il donnait un dîner qui était uniquement composé de littérateurs et d’artistes. La soirée se passait dans un salon où l’on trouvait des instruments, des crayons, des couleurs, des pinceaux, des plumes, et chacun composait, peignait, écrivait, selon son goût ou son talent. M. de Vaudreuil lui-même en cultivait plusieurs ; sa voix était fort agréable ; il était bon musicien[66]. »

Il savait en outre, dans ses rapports avec les écrivains et les artistes, leur marquer une considération flatteuse qui les lui gagnait vite.

« Il trouve très bien, écrivait Chamfort à Morellet, très simple qu’on ait des talents, du mérite, même de l’élévation, et qu’on soit honoré à ces titres, fût-ce publiquement, quand même on ne serait par hasard ni ministre, ni ambassadeur, ni premier commis. Il devance de quelques années le moment où l’orviétan de ces Messieurs sera tout à fait éventé[67]. »

Si ombrageux qu’il put être, comment Chamfort eût-il résisté aux avances d’un homme si séduisant ? Et il est vrai qu’il aima très sincèrement Vaudreuil ; si, par lui, il obtint des places et des pensions, ce fut, non pas sans doute à son corps défendant, mais sans avoir cherché à user de la faveur de son ami. Mirabeau, ayant à faire recommander quelqu’un à M. de Vaudreuil, témoigne du désintéressement que Chamfort apporta dans ces relations :

« Je ne vous ai jamais recommandé personne en France, dit-il dans une lettre datée de Londres, pas même moi, parce que j’ai toujours trouvé que cette discrétion était de délicatesse et d’honnêteté envers un homme que son mérite personnel et le hasard des circonstances ont mis en mesure, même intime, avec les grands, sans qu’il ait jamais voulu compromettre son indépendance, trafiquer de leur amitié, mettre, en manière quelconque, à profit, sa situation[68]. »

Ce désintéressement lui donnait le droit de garder toute son indépendance, toute la liberté de son langage ; il ne manquait pas d’user de ce droit. On a conservé de lui certains propos qui prouvent que sa franchise avec le grand seigneur, son ami, allait parfois jusqu’à la rudesse. « Se promenant, raconte Rœderer, sur le pont d’Amsterdam avec le comte de Choiseul et le comte de Vaudreuil, qui admiraient l’activité des crocheteurs et des charpentiers : Qu’est-ce, leur dit-il, qu’un gentilhomme français en comparaison de ces hommes-là [69] ? » Et comme, un jour, Vaudreuil lui reprochait de ne pas vouloir, malgré sa pauvreté, lui confier ses besoins : « Je vous promets, lui répondit-il, de vous emprunter cent louis quand vous aurez payé vos dettes »[70]. Aux approches de la Révolution surtout, quand s’ouvrit, pour emprunter ses expressions, le grand procès entre vingt-cinq millions d’hommes et sept cent mille privilégiés, Chamfort ne déguisa point ses opinions et ne dissimula pas ses espérances. Comme tant d’autres membres de la noblesse, Vaudreuil s’était montré favorable aux idées des novateurs, tant qu’elles avaient été seulement un sujet d’entretien pour les gens d’esprit ; mais, au moment où elles allaient se transformer en passions armées et redoutables, il se troublait, ne voyait plus clair dans cette situation nouvelle « Vous n’avez pas de taie dans l’œil, lui disait alors son ami, mais il y a un peu de poussière sur votre lunette[71] ».

Bientôt Vaudreuil, effrayé tout à fait, se jeta, sans réserve, dans le parti de la résistance. Lorsque Necker convoqua une seconde assemblée des notables, le 6 novembre 1788, pour délibérer sur la composition des États-Généraux et sur l’élection de leurs membres, le clergé et la noblesse repoussèrent le doublement du tiers. Et Vaudreuil pensa et parla alors comme les hommes de sa caste. Il aurait voulu engager Chamfort à composer quelque badinage sur les débats de cette assemblée et sur l’objet même de ces débats ; mais celui-ci lui répondit par une fort belle lettre d’une gravité émue, où l’on peut voir qu’il n’attendit point que la Révolution fût triomphante ou même commencée pour se prononcer hautement en sa faveur.

« Ce n’est pas, dit-il à Vaudreuil, le moment de prendre les crayons de Swift ou de Rabelais, lorsque nous touchons peut-être à des désastres. »

Il montre ce qu’il y a d’injuste et de périlleux dans cette attitude de l’aristocratie, qui insulte à la nation en voulant lui « ravir le droit d’influer sur les lois qui doivent décider de son honneur et de sa vie », en prétendant aussi ne rien abandonner de ses privilèges pécuniaires qui font « de l’oppression du faible le patrimoine du fort ».

« Et vous voulez que j’écrive ! poursuit-il. Ha ! je n’écrirai que pour consacrer mon mépris et mon horreur pour de pareilles maximes ; je craindrais que le sentiment de l’humanité ne remplit mon âme trop profondément et ne m’inspirât une éloquence qui enflammât les esprits déjà trop échauffés ; je craindrais de faire du mal par l’excès de l’amour du bien. »

Puis, avec une netteté qui n’admet pas de réplique, il signifie à Vaudreuil que son opinion est faite sur ces sujets, et que rien ne saurait la changer. « J’ai voulu vous faire ma profession de foi, afin que si, par hasard, nos opinions se trouvaient trop différentes, nous ne revinssions plus sur cette conversation. » Au reste, quelque divergence qu’il y ait entre leurs idées, son amitié pour Vaudreuil reste la même, mais, au nom même de cette amitié, il le conjure d’ouvrir les yeux sur ce qu’il y a d’injuste et même d’inhumain dans cette résistance des aristocrates, et sur les tempêtes qu’ils vont déchaîner, s’ils ne veulent point s’en départir.

« Souffrez que j’en appelle à la noble portion de cette âme que j’aime, à votre sensibilité, à votre humanité généreuse. Est-il plus noble d’appartenir à une association d’hommes, quelque respectable qu’elle puisse être, qu’à une nation entière, si longtemps avilie et qui, en s’élevant à la liberté, consacrera les noms de ceux qui auront fait des vœux pour elle, mais peut se montrer sévère, même injuste envers les noms de ceux qui lui auront été défavorables[72] ? »

Est-ce ainsi qu’un parasite parle à son Mécène, un client à son protecteur ? Si cette lettre eût été connue, les pamphlétaires de la réaction aristocratique, qui ont calomnié la nature des relations de Chamfort avec Vaudreuil, auraient été réduits à se taire ; il leur aurait bien fallu reconnaître aussi que Chamfort ne devint point, comme ils l’ont dit, un partisan de la Révolution seulement lorsqu’elle eut cause gagnée.

Dès l’époque, en effet, où Chamfort accepta d’être l’hôte du marquis de Vaudreuil, il entretenait un commerce suivi avec Mirabeau. En même temps que son intimité avec le grand seigneur, favori des Polignac, familier du cercle de la reine, le mettait, pour ainsi dire, au cœur même de l’ancienne société et lui permettait de confirmer, de développer ainsi ses premières observations, d’en recueillir de nouvelles, il devenait l’ami de l’homme qui allait être, sinon le créateur, au moins l’évocateur du monde nouveau. Cette liaison avec Mirabeau ne fut pas une simple liaison mondaine ; ils échangèrent leurs idées, écrivirent ensemble un livre dont le caractère révolutionnaire est, comme nous le verrons, bien accusé ; et, s’ils n’allèrent pas jusqu’à préparer un plan de campagne, leur correspondance marque clairement qu’ils avaient conscience de faire, de concert, comme une veillée des armes.

Cette correspondance, dont il ne nous reste que les lettres de Mirabeau, s’ouvre à la date du 4 décembre 1783. La première lettre atteste qu’il y a dès lors entre ces deux hommes, non pas encore de l’intimité, mais déjà de la familiarité : ce qui indique que les deux correspondants avaient dû entrer en relations à une époque antérieure. Où et quand s’étaient-ils connus ? Il se peut que Talleyrand les ait rapprochés dès 1779. Peut-être aussi se rencontrèrent-ils vers 1780 ou 1781, au temps où Mirabeau, sorti du donjon de Vincennes, ne s’était pas encore constitué prisonnier à Pontarlier. Franklin venait alors souvent visiter Mme Helvétius à Auteuil et, chez cette aimable femme, et chez lui-même à Passy, se pressaient les écrivains, les utopistes et même les simples curieux désireux de le voir et de l’entendre. Mirabeau ne pouvait guère manquer de se rendre à ces réunions, où passa tout Paris ; et, dans le cercle de Mme Helvétius, où Chamfort, comme on sait, se faisait écouter[73], le futur tribun, aigri alors par tant de malheurs mérités ou non, remarqua probablement le causeur spirituellement amer qui, devant cet auditoire de choix, se donnait toute liberté d’être agressif. Les traverses par lesquelles Mirabeau passa de 1781 à 1783, sa captivité à Pontarlier, ses procès, ne lui permirent pas d’abord d’entretenir avec Chamfort des relations régulières ; mais en 1784 leur liaison est complète, leur correspondance devient assez active, et, sur les dix-sept lettres de Mirabeau, qui nous ont été conservées, douze sont de cette année.

Ces lettres, au début, n’offrent qu’un intérêt médiocre. Les huit premières, écrites de Paris, nous entretiennent, dans un langage que des allusions de société rendent fort obscur, d’une intrigue galante pour laquelle Mirabeau se faisait obligeamment l’intermédiaire de Chamfort. De quels personnages s’agit-il en cette affaire ? On ne sait et l’on peut croire que cela importe peu. Mais ce qu’il faut retenir de ces lettres, ce sont les passages relatifs à la publication du pamphlet sur l’Ordre des Cincinnati cet ouvrage, destiné en apparence à combattre l’institution d’un Ordre militaire aux États-Unis, était en réalité une attaque à fond contre toute noblesse héréditaire ; il contient des passages singulièrement éloquents et vigoureux et qui atteignent directement l’aristocratie française. Or, des termes mêmes des lettres de Mirabeau, il résulte évidemment que, quoi qu’en ait pu dire Lucas Montigny[74], il s’était associé Chamfort comme collaborateur à cette œuvre, et que cette part de collaboration fut peut-être très large.

« N’ayez pas peur, mon ami, que ce que vous ferez soit mal fait, écrit un jour Mirabeau ; il n’est pas en vous de ne pas finir ; et, d’ailleurs, pour une âme aussi neuve et aussi forte que la vôtre, un tel sujet est d’inspiration, surtout lorsque l’écrivain expose une théorie qui n’est presque qu’à lui seul et dont la pratique a composé et dirigé sa vie. C’est cependant une chose curieuse et remarquable que la philosophie et la liberté s’élevant du sein de Paris, pour avertir le nouveau monde des dangers de la servitude et lui montrer de loin les fers qui menacent sa postérité[75]. »

Et ailleurs, comme Chamfort lui paraissait travailler avec trop de lenteur :

« Vous êtes bien aimable de m’avoir sacrifié Navarre, lui écrit Mirabeau ; mais vous le seriez plus encore de pousser votre besogne : 1° parce que vous êtes digne de mettre la gloire à régner chez vous, 2° parce que la besogne presse, et tellement qu’il m’a fallu entrer en explication avec F… (Franklin pour expliquer le retard[76]. »

Après avoir lu ces passages, on ne peut contester, je crois, que Chamfort ait eu part à ce pamphlet des Cincinnati.

Il est plus malaisé de savoir dans quelle mesure s’exerça sa collaboration. Quand, sous la Terreur, on le dénonça comme contre-révolutionnaire, dans sa réponse aux délateurs, il disait en parlant de lui-même : « C’est un homme à qui cette prétendue manie contre la noblesse a dicté les morceaux les plus vigoureux insérés dans le livre sur l’Ordre américain de Cincinnatus, ouvrage publié en 1786, et qui porta les plus rudes coups à l’aristocratie française dans l’opinion publique[77] ». À s’en tenir à ce passage, il semblerait que son rôle s’est borné à ajouter au travail de Mirabeau quelques développements, quelques morceaux à effet. Malgré ce qu’il a dit lui-même, il me semble qu’il fit davantage. Dans une lettre de Mirabeau, datée du 27 juin 1784, c’est-à-dire du moment où il put concevoir le projet de publier son pamphlet, on lit les lignes suivantes : « J’attends avec une impatience proportionnée à l’objet, à la situation et à l’opinion que j’ai de l’homme et du sujet traité par un tel homme, la traduction que vous savez. Ne la négligez pas, je vous en prie ; vos futures moissons y sont fortement intéressées[78] ». De quel homme peut-il être question ici, de quelle traduction, sinon de Franklin, et de la traduction de son livre sur les Cincinnati qui avait paru, en anglais, au commencement de 1784, à Philadelphie. Or, à ce moment, Mirabeau ne savait pas l’anglais ; il se mit à l’apprendre, dans le voyage qu’il fit à Londres, en août de cette même année 1784 ; mais, à son arrivée, il nous dit lui-même qu’il ne le comprenait point. Insulté par un « Gilles de carrefour » avec sa compagne, Mme de Nehra, il conte que des Anglais bien mis sont intervenus dans cette bagarre : « ils nous donnaient, dit-il, des conseils que malheureusement nous n’entendions pas[79] ». La traduction serait donc l’œuvre de Chamfort, qui, dès le collège, possédait bien la langue anglaise ; et c’est sur ce texte enrichi de quelques passages brillants composés par son ami, que Mirabeau se serait, comme il dit dans la préface du pamphlet, « abandonné à quelques-uns de ses mouvements[80] ».

Quoi qu’il en soit du reste, et la part que Chamfort prit à cet ouvrage eût-elle été assez restreinte, il reste toujours que sa collaboration certaine avec Mirabeau atteste qu’il y avait déjà entre eux une sorte d’intimité intellectuelle. C’est ce qui ressort encore plus clairement de la lecture des autres lettres de cette correspondance. Ce qu’on y trouve, ce n’est pas seulement des protestations d’amitié, des détails de vie intime, des anecdotes de voyageur ; ce qui remplit surtout ces pages, ce sont des considérations sur la situation politique, économique et sociale de l’Angleterre, ce sont des vues sur les rapports de la politique et de la morale. On sent que Mirabeau s’adresse à un homme avec qui il avait l’habitude de traiter ces hautes questions, dont les pensées et les préoccupations civiques sont en communion avec les siennes ; et, chose qui a scandalisé les admirateurs du grand tribun et qui ne laisse pas en effet de surprendre au premier moment, — Mirabeau ne parle point ici à Chamfort comme un maître à son disciple, mais plutôt comme un disciple à son maître.

Lucas Montigny, qui, dans l’excès de sa piété filiale, nie, contre toute évidence, que Chamfort ait eu part à la composition des Cincinnati, ne veut pas admettre davantage que Mirabeau lui ait témoigné de la déférence et de l’admiration. Dans les lettres de son père adoptif, il n’y a, dit-il, que « beaucoup de louanges et de flatteries assez guindées pour qu’il soit permis d’en suspecter la sincérité ». Outre que Lucas-Montigny ne prend point garde que cette façon de présenter les choses n’est pas à l’honneur de Mirabeau, il oublie trop que le texte des lettres est là, et qu’elles sont conçues en termes trop peu équivoques pour qu’il soit possible de leur faire dire autre chose ou moins qu’elles ne disent. — Nous consentirons, si l’on veut, à penser que Mirabeau a forcé la louange, quand il vante le talent d’écrivain de Chamfort : « Pour vous, lui écrit-il, qui savez méditer et dilucider, composer et colorier, vous qui avez l’âme et le génie de Tacite, avec l’esprit de Lucien et la muse de Voltaire, quand il rit et ne grimace pas…[81] ». Oui, il se peut que, sur ce point, Mirabeau, qui était du midi, se soit laissé aller aisément à l’exagération ; il aimait d’ailleurs à séduire et savait bien qu’on ne risquait pas de déplaire à un écrivain en faisant violence à sa modestie.

Mais il est d’autres passages où il nous semble qu’il n’a exprimé que sa pensée et toute sa pensée. Il nous paraît pleinement sincère, quand il loue, dans Chamfort, l’observateur bien informé et le moraliste original « riche en résultats moraux…, en vues profondes, en aperçus nouveaux[82] » ; quand il se réjouit de trouver, dans ses entretiens avec lui, un partner toujours fécond en ressources : « Je ne peux résister, lui écrivait-il, au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j’aie jamais connue[83] ». Ne trouve-t-on pas comme contrôle de cette parole ce que Chamfort, qui savait comme Mirabeau aimait à faire valoir l’esprit des autres, disait, un jour, à Vitry, leur ami commun : « Mirabeau est précisément le briquet qu’il faut à mon fusil » ? Et, certainement encore, Mirabeau parle sans hyperbole et sans feinte, quand il déclare que, s’il tentait quelque grand ouvrage philosophique, il voudrait avoir Chamfort pour inspirateur et pour guide.

« Je n’ai jamais si bien senti combien vous étiez nécessaire pour m’encourager et me guider… un grand ouvrage de morale et de philosophie, je ne l’entreprendrai jamais qu’auprès de vous, qui êtes la trempe de mon âme et de mon esprit[84]. »

C’est que, à bien prendre les choses, la haute idée que Mirabeau se fait de l’intelligence de Chamfort vient surtout de la grande estime où il tient son caractère ; en fait, Chamfort a sur lui une autorité surtout morale. Voilà ce que de nombreux passages de la correspondance manifestent jusqu’à l’évidence. Un jour, Mirabeau écrira ceci :

« Je ne vous embrasserai pas de longtemps, moi qui m’étais fait une si douce habitude de ne penser, de n’observer, de ne sentir qu’avec vous, de n’agir que sous vos yeux, de n’avoir qu’une âme avec mon meilleur et presque mon unique ami[85] ».

Et ailleurs :

« Si j’eusse eu le bonheur de vous connaître il y a dix ans, combien ma marche eût été plus ferme !… J’ai beaucoup gagné dans votre commerce, j’y gagnerai davantage : il est peu de jours, et surtout il n’est point de circonstance un peu sérieuse où je ne me surprenne à dire : Chamfort froncerait le sourcil, n’écrivons pas cela, ou : Chamfort sera content, et alors la jouissance est doublée et centuplée[86]. ».

Que l’on dise, si l’on veut, que l’amitié engagea Mirabeau à s’exagérer la valeur morale de son ami ; car cette amitié fut très vive, et il apporta, dans ce sentiment, calme d’ordinaire, toute l’ardeur et toute la fougue de son âme : « Je reçois, mon cher ami, une lettre dont l’écriture a fait palpiter mon cœur comme celle d’une maîtresse lorsque j’avais vingt ans… Il est si doux de s’entendre répéter qu’on est aimé de l’homme du monde qu’on aime, estime et respecte le plus[87] ! » Mais, sous peine de faire de Mirabeau le pire des comédiens et le plus plat des flatteurs, on ne saurait prétendre que ses protestations et ses louanges aient manqué de sincérité. — Il faut bien prendre garde d’ailleurs que cette amitié, si promptement qu’elle fût née, si vive qu’elle ait été, ne ressemble en rien à certaines affections, qui sont aussi aveugles que l’engouement. Il aimait à connaître les hommes, lorsqu’ils en valaient la peine ; et Chamfort est un de ceux qu’il prit soin d’étudier. Tout compte fait, si l’on atténue certains termes un peu trop enthousiastes de cette correspondance, c’est par elle encore qu’on pourrait se faire l’idée la plus exacte de ce qu’était Chamfort vers ce temps. Au Cabinet des Estampes, on n’a de lui qu’un portrait d’une authenticité douteuse[88]. Mais voici quelques lignes de Mirabeau qui permettent d’entrevoir ce que pouvait être la physionomie de ce personnage à la constitution débile et au tempérament igné :

« Vous êtes un des êtres les plus vivaces qui existent. Or la ténuité de votre charpente, la délicatesse de vos traits et la douceur résignée et même un peu triste de votre physionomie, laquelle est calme, dès que votre tête et votre âme ne sont point en mouvement, alarmeront et induiront toujours en erreur vos amis sur votre force. Pour moi, vous m’avez prouvé, non pas tout à fait qu’on ne meurt que de bêtise, mais que les forces vitales sont toujours proportionnées à la trempe de l’âme. Ainsi, l’axiome proverbial la lame use le fourreau n’est pas vrai pour l’espèce humaine. Comment son feu intérieur ne le consume-t-il pas, se dit-on ? Eh ! comment le consumerait-il ? C’est lui qui le fait vivre. Donnez-lui une autre âme, et sa frêle existence va se dissoudre[89]. »

La singularité du caractère de Chamfort, que les contemporains comprirent peu, parce que la sentimentalité, qui venait du fond de son âme, et le scepticisme cruel, qu’il tenait de l’expérience, semblaient se contrarier et même se contredire, est délicatement saisie par Mirabeau : « Vous avez trop de raison pour être très romanesque ; vous avez l’imagination trop ardente et le cœur trop essentiellement bon pour ne l’être pas un peu[90]. » Et il discerne à merveille ce qui fait la faiblesse de cet homme trop nerveux, ce qui peut l’empêcher de devenir persuasif : j’entends sa brusquerie caustique, son impatience irritée, qui donnent à ce qu’il a écrit, qui donnaient sans doute à sa parole, quelque chose de pénible et de troublant.

Au lieu de contester l’admiration que Mirabeau professa pour Chamfort, alors que les textes la mettent hors de doute, il vaut mieux chercher à l’expliquer, puisqu’il est vrai qu’elle a de quoi surprendre un peu ; et pourtant cette explication est aisée.

N’oublions pas d’abord que, au moment où leurs relations commencent, Mirabeau est très pauvre, très décrié, n’a guère d’autre notoriété que celle qui lui vient du scandale de ses aventures ; Chamfort, au contraire, en possession de toute sa réputation littéraire, est connu dans la société la plus élevée, et l’Académie se prépare à lui ouvrir ses portes. On a beau être un grand esprit, quand un homme a pris sur vous une pareille avance, on ne laisse pas que d’être prévenu en sa faveur.

Combien peu de ressemblance, dit-on, entre Chamfort et Mirabeau, pour le talent et le caractère ! — Mais précisément ce que Mirabeau admire en son ami, c’est ce par quoi il diffère de lui-même. L’orateur bouillonnant, épandu, dont la voix éclatera demain, et qui est aujourd’hui déjà formé, considère avec intérêt et surprise le causeur qui sait concentrer sa pensée en mots brefs et incisifs. L’aventurier fougueux, débridé, tumultueux, se sent pris d’une sorte de respect pour l’homme du monde qui se montre capable « de retirer sa vie en lui-même » et qui peut suivre la règle de conduite qu’il s’est tracée.

Ne sent-on pas enfin que rien n’est plus naturel que la sympathie qui rapprocha ces deux hommes ? Ne sont-ils pas consumés l’un et l’autre par une énergie ardente ? Ne nourrissent-ils pas contre la société de leur temps un commun mécontentement ? N’éprouvent-ils pas, quoiqu’à des degrés divers, le besoin d’agir et de lutter ? Et, pour tout dire, à la veille de la Révolution, ne portent-ils pas l’un et l’autre dans leur âme les passions et les espérances révolutionnaires ?

  1. Ed. Auguis, V. 288.
  2. Henry fouquier, Au siècle dernier, 240 (Bruxelles, Kistemœckers).
  3. Ed. Auguis, II, 116.
  4. Ed. Auguis, II, 5.
  5. Catalogue des lettres autographes composant la collection de M. Alfred Bovet, décrites par Étienne Charavay (Charavay frères, 1887).
  6. Ed. Auguis, I, 369.
  7. Ed. Auguis, II, 121.
  8. Ed. Auguis, II, 11.
  9. Causeries du Lundi, IV, 550.
  10. Ed. Auguis. V. 290.
  11. Ed. Auguis, V, 267.
  12. Mémoires de Garat sur Suard (Paris, 1820, in-8º)
  13. Mémoires de Brissot, p. 298 (Paris, Firmin-Didot, in-18).
  14. Diderot et la Société du baron d’Holbach, par Avezac-Lavigne (Paris, Leroux, 1875, in-8°, p. 122)
  15. Archives de la Comédie-Française.
  16. Ed. Auguis, II, 108.
  17. Cité par Rœderer (Œuvres, tome IV).
  18. Ed. Auguis, I, 421.
  19. Liste des Almanachs nouveaux, chantants et lyriques, qui se trouvent, pour cette année 1778, chez Valade, libraire, rue Saint-Jacques, vis-à-vis celle des Mathurius :

    Les Étrennes de l’Amour, almanach chantant et lyrique.

    Les Bouquets de l’Amour, au beau sexe, almanach lyrique, dédié aux amants par M. Gal.

    Les caprices, ou l’aimable fantaisie du beau sexe, étrennes amusantes sur des airs connus et choisis exprès.

    Étrennes à ma maîtresse, ou code de l’amour, almanach chantant.

    Le messager d’amour, almanach chantant et lyrique.

    Les folies amoureuses, ou le précepteur d’amour, almanach chantant.

    Tablettes de Flore, ou les étrennes de l’amour et de l’amitié.

    Passe-temps des jolies femmes, ou almanach des Lises et des Suzons.

    La rosée de Cythère, almanach lyrique, par M. ***.

    Le présent sans prétention, ou l’amusement de la jeunesse.

    L’Amusement des coquettes, ou l’emploi d’un quart d’heure, almanach chantant.

    Les charmes de la Volupté, almanach dansant, par M. Guillaume maître le danse.

  20. Ed. Auguis, II, 69.
  21. Ed. Auguis, II, 24.
  22. Ed. Auguis, II, 64.
  23. Ed. Auguis, II, 107.
  24. Ed. Auguis, V, 273.
  25. Ed. Auguis, I, 365.
  26. Ed. Auguis, I, 427.
  27. Ed. Auguis, I, 427.
  28. Ed. Auguis, I, 336.
  29. Ed. Auguis, I, 392.
  30. Ed. Auguis, V, 236.
  31. Ed. Auguis, I, 425.
  32. Ed. Auguis, V, 292.
  33. Ed. Auguis, V, 276.
  34. Ed. Auguis, I, 379.
  35. Ed. Auguis, I. 321.
  36. Ed. Auguis. II. 15.
  37. Ed. Auguis, II. 39.
  38. Dr Roussel, Notice sur Mme Helvetius (à la suite de Système physique et moral de la femme. — Paris, 1813, in-8°).
  39. Mémoires de Morellet, tome II, chap. ii (Paris, Ladvocat, 1821).
  40. Ginguené ne désigne l’amie de Chamfort que par son initiale (Mme B…). Les biographes de notre temps, qui n’avaient plus de raisons pour être discrets, ne l’ont pas nommée, sans doute parce qu’ils ne savaient pas son nom. En allant visiter Vaudouleurs (cominune de Morigny-Champigny), nous avons, grâce à l’obligeance de l’instituteur, M. Brizemure, trouvé dans les registres de Saint-Germain-lès-Estampes (aujourd’hui Morigny), l’acte de décès suivant : « L’an mil sept cent quatre-vingt-trois, le vingt-neuf août, dame Marthe-Anne Buffon, veuve de M. Buffon, premier médecin de Mgr le comte d’Artois, de Madame la comtesse et des princes leurs enfants, âgée d’environ cinquante-cinq ans, décédée du jour d’hier, a été inhumée… etc. ». Outre qu’elle révèle le nom de l’inconnue de Chamfort, cette pièce offre cet intérêt qu’elle détruit la légende d’après laquelle il se serait marié avec cette rare amie ; on a vu qu’elle est qualifiée de veuve.
  41. Aubin, dans le Chamfortiana, XVI.
  42. Ed. Auguis, V, 275.
  43. Ed. Auguis, I, 405.
  44. Correspondance littéraire secrète, tome XI, p. 379 sqq.
  45. Correspondance littéraire secrète, tome XI. p. 379 sqq.
  46. Le discours de réception de Chamfort à l’Académie française se trouve au tome I de l’édition Auguis.
  47. Ed. Auguis, V, 288 sq.
  48. Ed. Auguis, V, 274 sq.
  49. Chamfortiana, XVII.
  50. Ed. Auguis, V. 289.
  51. Ed. Auguis, V. 304.
  52. Ed. Auguis, V, 234.
  53. Ed. Auguis, II, 1.
  54. Ed. Auguis, II, 150.
  55. Ed. Auguis, II, 140.
  56. Ed. Auguis, I, 357.
  57. Ed. Auguis, I, 352.
  58. Ed. Auguis, I. 344.
  59. Ed. Auguis, I, 424.
  60. Ed. Auguis, II, 137.
  61. Ed. Auguis, 410.
  62. Ed. Auguis, V, 289.
  63. Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun, tome I, p. 222 (Paris, 1835, 3 vol.  in-8°).
  64. Ed. Auguis, V, 289.
  65. Ed. Auguis, V, 281.
  66. Note de l’éditeur des Mémoires de Mme Campan, I. 145 (Paris, 1823, in-8°).
  67. Ed. Auguis, V, 287.
  68. Ed. Auguis, V, 430.
  69. Œuvres du comte Rœderer (tome IV). — L’attitude de Chamfort devant Vaudreuil ressemblait si peu à celle d’un subalterne, que, d’après certain témoignage, il aurait imposé une sorte de sujétion à son protecteur. « J’ai ri, dit un rédacteur anonyme du Journal de Paris, de l’humilité où il tenait l’élégant Vaudreuil, son patron. » (Cité dans Auguis, V, 349.)
  70. Ed. Auguis, II. 157.
  71. Ed. Auguis, II, 41.
  72. Voir toute cette lettre dans l’édition Auguis, V, 293 sqq.
  73. On ne saurait douter que Chamfort et Franklin se soient rencontrés et connus chez Mme Helvetius. On sait que Franklin, en 1781, écrivit à Mme Helvétius une lettre badine, où il contait avoir vu, aux enfers, Helvétius marié avec Mme Franklin. « Vengeons-nous », disait-il, en terminant. Or. un contemporain (Castéra) nous dit que la copie qu’il a de cette lettre intime est de la main de Chamfort.
  74. Mémoires de Mirabeau, par Lucas Montigny, tome V, p. 140 sqq. (Paris, 1834-1863, 8 vol.  in-8°.)
  75. Ed. Auguis, V, 371.
  76. Ed. Auguis, V, 384.
  77. Ed. Auguis, V, 325.
  78. Ed. Auguis, V, 367.
  79. Ed. Auguis, V. 395.
  80. L’ouvrage qui occupait alors Mirabeau était celui sur l’Ordre de Cincinnatus, dont on craignait en Amérique les conséquences fâcheuses pour la liberté. Franklin lui avait communiqué un petit pamphlet, dont il désirait une traduction. Au lieu d’une traduction, Mirabeau en fit une imitation ; il y ajouta ses propres idées sur la noblesse héréditaire, sur les Ordres en général, et fit de cette bagatelle un livre excellent. » (Notice sur Mirabeau, par Mme de Nehra, citée par Loménie, Revue des Deux-Mondes, 1er juin 1858.) — L’édition originale des Cincinnati a paru à Londres chez Johnson, MDCCLXXXV.
  81. Ed. Auguis, V, 354.
  82. Ed. Auguis, V, 354.
  83. Ed. Auguis, V, 406.
  84. Ed. Auguis, V, 418.
  85. Ed. Auguis, V. 388.
  86. Ed. Auguis, V, 377.
  87. Ed. Auguis, V, 398.
  88. En l’absence de documents iconographiques très sûrs, nous donnerons au moins le signalement de Chamfort : Taille de cinq pieds quatre pouces ; cheveux et sourcils châtains ; front découvert ; nez court ; yeux bleux (sic) ; bouche moyenne ; menton ordinaire ; visage allongé. Ce signalement fut délivré à Chamfort qui avait demandé une carte civique, le 18 avril 1793 (Archives nationales). — Citons aussi le portrait à la plume que Châteaubriand a tracé de Chamfort dans son Essai sur les Révolutions : « Chamfort était d’une taille au-dessus de la médiocre, un peu courbé, d’une figure pâle, d’un teint maladif. Son œil bleu, souvent froid et couvert dans le repos, lançait l’éclair quand il venait à s’animer. Des narines un peu ouvertes donnaient à sa physionomie l’expression de la sensibilité et de l’énergie. » (Cité par Sainte-beuve dans Châteaubriand et son groupe littéraire I, 120).
  89. Ed. Anguis, V. 399.
  90. Ed. Anguis, V, 371.