Champs, usines et ateliers/Appendice

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APPENDICE





A. — Importations françaises.

La France importe encore environ la dixième partie des céréales qu’elle consomme. Mais, comme nous le verrons plus loin, les progrès de l’agriculture ont été si rapides depuis quelque temps que, même sans l’Algérie, la France aura bientôt un excédent de céréales. Elle importe du vin, mais elle en exporte à peu près autant. De sorte que le café et les graines oléagineuses sont, en fait d’objets d’alimentation, les seuls articles importés qui méritent d’être signalés.

Pour la houille et le coke, la France est encore tributaire de la Belgique, des Îles Britanniques et de l’Allemagne ; mais si la production nationale ne suffit pas, la principale cause en est l’infériorité de la France dans l’organisation de l’extraction de la houille.

Les autres principaux articles d’importation furent, en 1903-08, le coton brut (de 311 à 429 millions de francs), la laine brute (de 379 à 580 millions) et la soie (de 267 à 441 millions), ainsi que les peaux et les fourrures, le caoutchouc et la gutta-percha.

Les exportations de produits manufacturés s’élevaient à deux milliards en 1890, et de 1.407 à 1.920 millions en 1903-1908 ; les exportations de textiles, à l’exclusion des filés et de la toile, à 750 millions en 1890, et à 831 millions, en moyenne, en 1903-08. Les importations de textiles de toute espèce se chiffraient par 17 millions et demi en 1890 et par 51 millions, en moyenne, de 1903 à 1908.


B. — Développement de l’industrie en Russie.

Le développement de l’industrie en Russie est mis en lumière par le tableau suivant de la production annuelle :


1880-81 1906
Fonte 4.520.000 quintaux 23.500.000 quintaux
Fer 2.930.000 » 3.100.000 »
Acier 3.063.000 » 17.630.000 »
Rails 2.012.000 » 3.150.000 »
Houille 32.900.000 » 169.900.000 »
Naphte 3.500.000 » 72.490.000 »
Sucre 2.555.000 » 18.175.000 »
Cotonnades et filés
de coton
591.000.000 francs 1.301.136.000 francs
Autres textiles 732.827.000 »
Métaux 927.957.000 »
Produits chimiques 231.185.000 »
Cotonnades imprimées
ou teintes
154.000.000 » 183.000.000 »


C. — L’industrie du fer en Allemagne.

Les tableaux suivants donneront une idée des progrès des industries minières et métallurgiques en Allemagne.


1883 1907
Houille 55.943.000 tonnes 143.146.000 tonnes
Lignite 14.481.000 — 62.547.000 —
Minerai de fer 8.616.000 — 27.697.000 —
Minerai de zinc 678.000 — 698.000 —
Sels minéraux (surtout
de la potasse)
1.526.000 — 5.749.000 —


1874 1906
Fonte 1.906.260 tonnes 10.369.000 tonnes
Fers et acier
demi-ouvrés et ouvrés
489.000 — 11.750.000 —
Importations de fer
et d’aciers
757.700 — 881.300 —
Exportations de fers
et d’aciers
546.900 — 5.080.600 —
Consommation totale
indigène de fonte,
fers et aciers
2.117.080 — 8.278.800 —
Consommation par tête 52 kgs. 203 kgs.
Production par tête 46 kgs. 135 kgs.


Pour le Grand-Duché de Luxembourg, la progression est encore plus frappante.


D. — Le machinisme en Allemagne.

Ce qui montre le mieux l’accroissement de la puissance productive de l’Allemagne, c’est le développement du machinisme.

En 1879, la Prusse comptait 29.985 machines fixes (887.780 chevaux-vapeurs), 5.442 locomotives et locomobiles (47.100 HP) et 623 machines à bord des navires (50.310 HP). Total : 35.969 machines (985.190 HP).

Quinze ans plus tard, ces chiffres étaient devenus respectivement : 57.224 machines fixes (2.172.500 HP), 14.425 machines mobiles (147.130 HP) et 1.726 machines navales (219.770 HP). Total : 73.375 machines (2.539.150 HP).

Mêmes progrès en Bavière. En 1879, 2.411 machines fixes (70.680 HP), 892 locomotives et locomobiles (5.520 HP) et 98 machines sur les navires (2.860 HP). Total : 3.401 machines (79.060 HP). En 1889, il y avait 3.819 machines fixes (124.680 HP), 2.021 locomotives et locomobiles (13.730 HP) et 38 sur les navires (4.370 HP). Total : 5.868 machines (142.780 HP).

Pour l’Empire allemand, le Prof. Lexis estimait le nombre total des machines en 1879 à 65.170 (4.510.640 HP). En 1892, la force totale des machines se chiffrait par 7.200.000 chevaux-vapeur, se répartissant ainsi : 2.500.000 pour les machines fixes, 4.200.000 pour les machines mobiles et 500.000 pour les machines de la marine. (Schmoller’s Jahrbuch, XIX, I, p. 275).

On voit encore mieux les rapides progrès dans la fabrication des machines en Allemagne par le tableau suivant qui montre l’augmentation des exportations allemandes :


1890 1907
Machines et pièces de machines. 61.700.000 fr. 439.562.000 fr.
Machines à coudre et pièces
de machines à coudre
7.940.000 fr. 30.063.000 fr.
Locomotives et locomobiles 7.056.000 fr. 45.500.000 fr.

C’est un fait bien connu que des quantités de machines à coudre, fabriquées en Allemagne, et un nombre considérable d’outils ont pénétré jusqu’en Angleterre ; les outils allemands sont même ouvertement recommandés dans les ouvrages anglais.


E. — L’Industrie du Coton en Allemagne.

Dans son excellent livre sur l’industrie cotonnière en Angleterre et sur le continent le Dr G. Schulze-Gaewernitz appelait l’attention sur le fait que l’Allemagne n’avait pas encore atteint dans son industrie cotonnière le haut niveau de développement technique que l’on trouve en Angleterre, mais il montrait aussi les progrès récemment accomplis. Le prix de revient du mètre de coton ordinaire, en dépit des bas salaires et des longues journées, restait cependant plus élevé en Allemagne qu’en Angleterre, comme on peut le voir par le tableau ci-dessous.

Considérant une qualité déterminée de coton ordinaire dans les deux pays, l’auteur donnait (p. 151) les chiffres comparatifs suivants :


Angleterre Allemagne
Heures de travail 9 12
Salaire hebdomadaire moyen
des ouvriers
20 fr. 45 14 fr. 80
Mètres tissés chaque semaine
par ouvrier
645 426
Prix de revient du mètre 0 fr. 0314 0 fr. 0342

Mais il faisait aussi observer que pour toutes sortes de cotonnades imprimées, où la fantaisie, le coloris et l’invention jouent un rôle prédominant, les avantages étaient entièrement du côté des petites industries allemandes.

Dans les filatures, au contraire, l’avantage restait entièrement à l’Angleterre, ainsi que le prouve le tableau suivant indiquant le nombre d’ouvriers par millier de broches dans différents pays :


Pays
Bombay 25 ouvriers par millier de broches.
Italie 13 —
Alsace 9, 5 —
Mulhouse 7, 5 —
Allemagne (1861) 20 —
Allemagne (1881) de 8 à 9 —
Angleterre (1837) 7 —
Angleterre (1887) 3 —


Pendant les vingt dernières années des perfectionnements considérables ont eu lieu. « L’Inde a fait depuis 1884 des progrès extraordinaires, » remarquait Schulze-Gaewernitz, et « il n’est pas douteux que l’Allemagne ait également réduit le nombre des ouvriers par millier de broches depuis la dernière enquête. » « Parmi les très nombreux documents que j’ai à ma disposition, » écrivait-il, « je cueille les chiffres suivants qui ne se rapportent d’ailleurs qu’à des filatures très perfectionnées au point de vue technique :


Pays
Suisse 6,2 ouvriers
Mulhouse 5,8 »
Bade et Wurtemberg 6,2 »
Bavière 6,8 »
Saxe (filatures toutes neuves
et magnifiques)
7,2 »
Vosges, France (vieilles filatures) 8,9 »
Russie 16,6 »

Le numéro des fils dans tous ces cas était toujours compris entre 20 et 30.

Les progrès accomplis à Augsbourg entre 1875 et 1891 sont mis en relief par le tableau ci-dessous


1875 1891
Production du fil par broche 14 kg. 8 46 kg. 3
Numéro des fils 34 34
Production du coton
par broche
17 kg. 8 19 kg. 25
Ouvriers par millier
de broches
9,7 7,8
Heures de travail
par semaine
12 66

Partout les salaires ont été augmentés.

Il est évident que depuis que Schulze-Gaewernitz écrivit ces lignes, de nouveaux progrès, très sérieux, ont été accomplis.


F. — Les industries minières et textiles en Autriche.

Pour donner une idée du développement des industries en Autriche-Hongrie, il suffit de mentionner les progrès des industries extractives et la situation actuelle des industries textiles.

Le tableau ci-dessous donne la valeur de la houille et du minerai de fer extraits annuellement :

1880
1907
Houille (Autriche)
40.600.000 fr.
134.860.000 fr.
Lignite (Autriche)
32.500.000 fr.
130.760.000 fr.
Fer brut (Autriche-Hongrie)
44.000.000 fr.
152.110.000 fr.

Les importations de coton brut en Autriche-Hongrie atteignaient en 1907 le chiffre respectable de 301.335.000 fr. Pour la laine elles s’élevaient à 151.390.000 fr. ; pour la soie à 39.300.000 fr. ; alors que les exportations de lainages montaient à 78.906.000 fr.

En 1902. selon le Statistisches Jahrbuch officiel de 1908, l’industrie proprement dite comptait 1.009.443 établissements, occupant 3.333, 020 ouvriers et possédant plus de 1.860.000 chevaux-vapeur. Les industries textiles, à elles seules, avaient 251.500 chevaux-vapeur (113.280 seulement, en 1890).

La petite industrie dominait évidemment, puisqu’on trouvait 2.066.120 ouvriers travaillant dans 901.202 établissements ayant de 1 à 20 travailleurs chacun, et 443.235 ouvriers dans 10.661 établissements moyens (de 21 à 100 travailleurs.) Cependant la grande industrie a déjà fait son apparition, puisqu’en 1908, 1.053.790 ouvriers travaillaient dans 3.021 établissements ayant plus de 100 ouvriers chacun. Là-dessus, 105 établissements avaient chacun plus de 1.000 ouvriers.

En Hongrie, la population industrielle comptait déjà, en 1900, près de 300.000 ouvriers répartis dans 2.500 établissements.


G. — Les statistiques de MM. Giffen et Flux relatives à la situation du Royaume-Uni dans le commerce international.

Quelques remarques à propos de ces statistiques ne sont pas inutiles.

Lorsqu’une subite diminution des exportations anglaises et irlandaises se produisit dans les années 1882-86, et que les alarmistes profitèrent de cette crise pour implorer la protection, insistant surtout sur les dommages causés au commerce britannique par la « concurrence allemande », M. Giffen analysa les statistiques du commerce international dans ses « Finance Essays » et dans un rapport lu en 1888 devant la Commission de l’Office supérieur du commerce. Postérieurement, M. A. W. Flux reprit cette analyse en l’étendant à une période ultérieure. Il confirma les conclusions de M. Giffen et montra que la fameuse « concurrence allemande » n’est qu’une illusion.

Les conclusions de M. Giffen, citées par M. A. W. Flux (« La suprématie commerciale de la Grande-Bretagne » dans l’Economical Journal, 1894, IV, p. 457), étaient les suivantes :

« Dans leur ensemble, les statistiques ne sont pas de nature à indiquer un progrès écrasant dans les exportations allemandes, comparées aux exportations du Royaume-Uni. Sous certains rapports l’Allemagne a fait des progrès plus considérables, mais il n’y a pas somme toute, d’avance disproportionnée, et sur beaucoup de marchés importants pour le Royaume-Uni c’est à peine si l’Allemagne paraît. »

Dans ces limites restreintes, si l’on ne considère que la concurrence allemande, et si l’on n’oublie pas que ces statistiques n’indiquent aucunement quelles espèces ni quelles quantités de marchandises représente une valeur déterminée d’exportations, on peut accepter les chiffres de M. Giffen. Mais c’est tout.

Cependant si nous prenons les chiffres de M. Giffen, tels qu’ils ont été donnés dans ses tableaux détaillés (pp. 461-467 du journal sus-mentionné), et qu’il a tabulés avec beaucoup de soin, de façon à prouver que la part de l’Allemagne dans les importations de plusieurs régions européennes, telles que la Russie, l’Italie, la Serbie, etc., a diminué, aussi bien que la part du Royaume-Uni, tout ce que nous pouvons conclure de ces statistiques, c’est qu’il y a d’autres pays, en dehors de l’Allemagne, à savoir les États-Unis et la Belgique, qui font une concurrence très effective à l’Angleterre, la France et l’Allemagne, quand il s’agit de fournir les produits manufacturés que la Russie, l’Italie, la Serbie, etc., demandent encore à l’étranger.

En même temps, ces chiffres ne donnent aucune idée du fait que là où l’on fournissait autrefois des objets en métaux manufacturés, c’est aujourd’hui de la houille et des métaux bruts qui sont importés pour la fabrication de ces objets dans les pays consommateurs eux-mêmes, et que là où l’on importait des cotonnades de couleurs et imprimées, on ne demande plus que des filés.

Ce sujet est infiniment plus complexe qu’il n’apparaît dans les calculs de M. Giffen ; et, quelle qu’ait été la valeur de ses chiffres quand il s’agissait d’apaiser des craintes exagérées, ils ne répondent aucunement aux nombreuses questions économiques renfermées dans la matière traitée par M. Giffen.


H. — L’industrie du coton dans l’Inde.

Les idées exprimées ci-dessus sur le développement industriel de l’Inde peuvent être confirmées par un très grand nombre de preuves. L’une d’elles, provenant de sources autorisées, mérite une attention toute spéciale. Dans un article sur les progrès de l’industrie cotonnière dans l’Inde, le Textile Recorder (15 octobre 1888) écrivait :

« Parmi les personnes qui touchent à l’industrie du coton il n’en est point qui ignorent les rapides progrès de la fabrication des cotonnades dans l’Inde. Des statistiques de toute espèce ont été récemment présentées au public pour montrer l’accroissement de la production dans ce pays. Cependant il ne semble pas qu’on ait clairement compris que cette production toujours croissante aura pour résultat inévitable de restreindre la demande faite aux filatures du Lancashire ; et il est fort possible que d’ici peu l’Hindoustan ne soit pas pour nous un meilleur client que ne le sont actuellement les États-Unis.

« Autrefois, on trouvait les cotonnades de Manchester dans les villages les plus retirés des bords du Gange et du Brahmapoutra et jusque dans les lointains bazars d’Assam, de Sylhet et de Kachar. Mais aujourd’hui, ajoutait le Recorder, un changement se produit. Les cotonnades hindoues font leur apparition sur ces marchés et en chassent les produits de Manchester.

« Les personnes non prévenues qui connaissent bien les ressources de l’Inde et qui ont observé le développement de l’industrie du coton au cours des dix dernières années, n’hésitent pas à dire que d’ici peu la production locale des articles de toutes les catégories ordinaires suffira pour répondre à la demande de l’Inde, sans qu’on ait besoin de recourir aux articles du Lancashire ».

Il est presque superflu d’ajouter à quel prix les industriels hindous obtiennent des cotonnades à bon marché. Le rapport de la Commission industrielle de Bombay, qui fut présenté au Parlement anglais en août 1888, contenait des faits témoignant d’une cruauté si horrible et d’une telle cupidité, que ceux qui ont oublié les révélations de l’enquête faite en Angleterre en 1840-42 n’auraient jamais pu les imaginer. Les machines des fabriques travaillent, en règle générale, de cinq heures du matin à sept, huit, ou neuf heures du soir, et les ouvriers restent au travail pendant douze, treize, quatorze heures, ne se relevant les uns les autres que pour les repas. Dans les moments de presse il arrive que la même équipe d’ouvriers reste nuit et jour aux machines qui égrènent ou qui emballent le coton, avec une demi-heure de repos dans la soirée. Dans quelques fabriques, les ouvriers prennent leurs repas devant leurs machines et sont si épuisés après huit ou dix jours de labeur ininterrompu qu’ils ne travaillent plus que machinalement, « aux trois quarts endormis. »

« Ce sont là des faits bien attristants, conclut le rapport officiel, qui témoignent d’une profonde misère d’une part, et de l’autre d’une cruelle cupidité. » Mais ce serait une erreur absolue de conclure que les manufactures hindoues ne peuvent concurrencer les manufactures anglaises qu’en continuant cette affreuse exploitation de labeur humain dont nous sommes aujourd’hui témoins. De 1840 à 1848 les usines anglaises offraient absolument le même tableau de cruelle cupidité. Espérons que les temps viendront où les ouvriers hindous sauront mettre un frein à cette cupidité des capitalistes ; et les manufactures de Bombay n’en seront pas pour cela dans une situation plus difficile pour disputer les marchés aux manufactures britanniques.


I. — Les prairies irriguées d’Italie.

Du Journal de l’Agriculture (2 février 1889) nous extrayons le passage suivant sur les marcites de Milan :

« Sur une partie de ces prairies l’eau coule constamment ; sur d’autres on ne la laisse courir que dix heures par semaine. Les premières donnent six récoltes par an à partir de février, et l’hectare produit de 80 à 100 tonnes d’herbe, ce qui correspond à 20 ou 25 tonnes de foin sec. Dans des parties plus basses, la récolte moyenne est de 34 tonnes de foin sec par hectare. Si nous prenons les terrains placés dans des conditions moyennes, nous trouvons qu’ils donneront l’un dans l’autre 56 tonnes de fourrage vert à l’hectare, soit 14 tonnes de foin, c’est-à-dire la nourriture de trois vaches laitières. Le loyer de ces prairies varie entre cinq cents et six cents francs par hectare. »

Pour le maïs les avantages de l’irrigation sont tout aussi évidents. Sur les terres irriguées on obtient des récoltes de 70 à 80 hectolitres à l’hectare, contre cinquante à soixante hectolitres sur des terrains non irrigués, en Italie également, et vingt-cinq à trente en France (Garola, Les Céréales).

L’ouvrage de M. Beauclerck (Rural Italy, Londres, 1888) nous fait parfaitement comprendre comment l’agriculture est ruinée en Italie. À propos de la province de Milan, il fait remarquer que nous y trouvons « une des populations agricoles les plus denses du monde, concentrée dans une contrée dont la moitié est occupée par des montagnes arides » (cent soixante habitants par kilomètre carré). « La Flandre seule peut se comparer au Milanais en ce qui concerne la densité de la population. Le sol n’est pas naturellement fertile, et seule une immense dépense de capital et de travail a fait la richesse de cette terre. » Mais « les impôts sont fabuleusement élevés », car ils atteignent 2.620 francs par kilomètre carré de terrain cultivé. En tout, M. Beauclerk considère que l’Italie rurale paye 300 millions d’impôts directs sur un revenu qui n’excède pas un milliard, sans compter l’impôt sur le sel, l’impôt personnel et les contributions indirectes.


J. — Les îles Anglo-Normandes.

Il est souvent question en Angleterre de l’excellent état de l’agriculture à Jersey et à Guernesey, et le lecteur peut trouver sur ce sujet des renseignements de première main dans les ouvrages de M. W. E. Bear (Journal of the Agricultural Society, 1888 ; Quarterly Review, 1888 ; British Farmer, etc.) et dans le travail si complet de D. H. Ansted et R. G. Latham, The Channel Islands, 3e édition, revisé par E. Toulmin Nicolle, Londres, 1893 (chez Allen, éditeur).

On essaie souvent, dans la presse anglaise, — mais certainement pas dans les ouvrages que je viens de nommer, — d’expliquer les succès obtenus à Jersey et Guernesey par le merveilleux climat des îles et la fertilité du sol. Quant au climat, il est incontestable qu’à Jersey le nombre des jours ensoleillés est plus grand que dans n’importe quelle station anglaise. Le soleil y brille chaque année de 1.842 heures (1890) à 2.300 heures (1873), et ces chiffres, — si on écarte le maximum de 1894 — dépassent de 168 à 336 heures par an les chiffres correspondants les plus élevés des autres stations anglaises. Les mois les plus favorisés semblent être mai et août[1].

Mais, pour citer l’ouvrage ci-dessus mentionné d’Ansted et Latham, voici ce qu’il dit du climat.

« Il y a, à n’en pas douter, dans toutes les îles, et en particulier à Guernesey, une absence de chaleur solaire et d’action directe des rayons solaires en été, qui doit produire ses effets, ainsi que, à la fin du printemps, une prédominance remarquable des vents d’Est, froids et secs, qui retardent la végétation » (p. 407). Tous ceux qui ont passé, ne fût-ce que deux ou trois semaines, vers la fin du printemps, à Jersey doivent savoir par expérience combien cette remarque est juste. En outre, il y a les brouillards bien connus de Guernesey, et « à cause également de la pluie et de l’humidité les arbres souffrent du mildew et de la rouille, ainsi que de différentes espèces d’insectes ». Les mêmes auteurs font observer que le brugnon ne réussit pas en plein air à Jersey « à cause de l’absence de chaleurs automnales », que « les automnes humides et les étés froids ne conviennent pas à l’abricot », etc.

Si les pommes de terre de Jersey sont, bon an mal an, de trois semaines en avance sur celles de la Cornouaille, la chose s’explique parfaitement par les améliorations continuelles qu’on apporte à Jersey à cette culture, afin d’obtenir une certaine quantité, si petite soit-elle, de pommes de terre avec quelques jours d’avance : et ce résultat on l’obtient, soit en ayant soin de déplanter le plus tôt possible et de protéger les plantes des vents froids, soit en choisissant de petites pièces de terre, naturellement abritées ou mieux exposées. La différence de prix entre les primeurs et les pommes de terre tardives étant considérable, on fait à Jersey les plus grands efforts pour obtenir une récolte hâtive, et il faut conclure, à ce qu’il paraît, des données qui ont été publiées, que, grâce à l’amélioration de la culture, la récolte arrive de plus en plus tôt. Le tableau suivant donne la date du commencement de la saison d’exportation et les prix réalisés par cabot (13 kilogrammes) le premier jour de l’exportation :

1883 22 mai de fr. 15 à fr. 17,50
1884 6 » » 8,15 » 10,00
1885 19 » » » 7,50
1886 2 juin » 7,50 » 8,75
1887 24 mai » 10 » 12,50
1888 29 » » 10 » 12,50
1889 14 » » 10 » 12,50
1890 6 » » 11,25 » 12,50,
1891 1er  » » 15 » 18,75
1892 17 » » 15 » 17,50
1893 24 avril » 10,30 » 10,60
1894 26 » » » 14,37
1909 du 5 » au 8 mai, moyenne » 13,30

La diminution de prix par tonne ressortira mieux du tableau ci-dessous :


1888 1889 1894 1909
Semaine finissant le fr. c. fr. c. fr. c. fr. c.
5-8 mai[2] ....... ...... 456.70 747.50
12-15 » ...... ...... 288.65 509.40
19.22 » ...... ..... 23.0.95 363.60
26-29 » 519.60 436.70 162.65 271.00
2.5 juin ..... ..... 178.70 184.25
9.12 » 270.20 169.10 167.85 103.00
16-19 » ..... ..... 170.45 111.05
23-26 » ..... ..... 209.90 84.00
2-3 juillet 110.15 147.25 173.05 92.25
7.10 » ..... ..... 230.95 76.00
14-17 » 62.90 72.50 173.05 70.50
21-24 » 61.50 65.40 ....... 65.00
28-31 » 62.90 65.40 ..... 65.00

Quant à la fertilité du sol, c’est là un argument pire encore, parce qu’il n’y a pas dans toute l’Angleterre une région de même superficie qui soit engraissée au moyen d’engrais artificiels dans une aussi forte proportion que Jersey et Guernesey.

Au dix-septième siècle, comme on peut le voir dans la première édition du Jersey de Falle, publiée en 1694, « l’île ne produisait pas assez pour les besoins de ses habitants, qui devaient faire venir des vivres d’Angleterre en temps de paix, ou même de Danzig en Pologne ». Dans « The Groans of the Inhabitants of Jersey », ouvrage publié à Londres en 1709, nous trouvons la même plainte. Et Quayle, qui écrivit en 1812 et cita les deux ouvrages que l’on vient de mentionner, se plaignait à son tour en ces termes : « La quantité produite à ce jour est tout à fait insuffisante pour leur subsistance, la garnison mise à part ». (General View of the Agriculture and the present State of the Islands on the Coast of Normandy, Londres, 1814, p. 77). Et il ajoutait : « Tout compte fait, il faut dire la vérité. Les récoltes de céréales sont mauvaises, et dans certains cas exécrablement mauvaises ». Et quand nous consultons les écrivains contemporains, Ansted, Latham et Nicolle, nous apprenons que le sol n’est nullement riche. C’est du granit décomposé, et il est facile à cultiver ; mais « il ne contient pas d’autres matières organiques que celle qu’on y a mises ».

C’est là certainement l’opinion à laquelle arriveront tous ceux qui examineront attentivement le sol de Jersey. Et nous ne parlons pas de cette portion de l’île, le Quenvais, où, à l’époque de Quayle, on voyait « une Arabie pétrée », — un désert de sables et de monticules qui couvrait plus d’une trentaine d’hectares (p. 24), avec un sol un peu meilleur mais encore très médiocre au nord et à l’ouest. La fertilité du sol est tout artificielle. Elle est entièrement due, d’abord au vraic (varech, goëmon), sur lequel les habitants ont conservé des droits communaux, et ensuite aux quantités considérables d’engrais apportés par bateaux et mélangés au fumier des très nombreux bestiaux qu’on entretient dans l’île, et finalement à une admirable culture du sol[3].

Plus encore que le soleil et le sol, ce furent le mode de propriété foncière et le taux très bas des impôts qui contribuèrent au remarquable développement de l’agriculture à Jersey. Tout d’abord, le peuple des îles n’a presque pas affaire au percepteur. Alors que les Anglais acquittent plus de 60 francs d’impôts par tête, alors que le paysan français est écrasé de taxes de toute nature, et que le cultivateur milanais doit donner au Trésor 30 % de son revenu, — les contributions payées dans les Îles Anglo-Normandes ne s’élèvent en tout qu’à 12 fr. 50 par tête dans les paroisses urbaines et restent fort au-dessous de ce chiffre dans les paroisses rurales. D’autre part, en fait d’impôts indirects on ne connaît que les 68 fr. par hectolitre d’alcools importés et les 20 fr. par hectolitre de vin.

Quant au mode de propriété du sol, les habitants ont heureusement échappé à l’action de la loi romaine, et ils continuent à être régis par le Coutumier de Normandie. En conséquence, plus de la moitié du territoire est possédée par ceux-là mêmes qui cultivent le sol ; il n’y a pas de propriétaire qui surveille les récoltes et augmente toujours les fermages, avant même que le fermier ait pu recueillir le fruit de ses améliorations ; il n’y a personne qui impose une taxe par charrette de sable ou de varech conduite au champ ; chacun prend la quantité qui lui convient, pourvu qu’il coupe le goëmon à une certaine époque de l’année et qu’il prenne le sable à une distance de cinquante-cinq mètres de l’étiage des hautes marées. Ceux qui achètent de la terre pour la cultiver peuvent le faire sans tomber sous les griffes de l’usurier. Le quart seulement de la redevance permanente que l’acheteur s’engage à payer — souvent même une fraction moins élevée — est capitalisé et doit être payé lors de l’achat, le reste constituant une redevance perpétuelle payée en froment, évalué à Jersey à 50 ou 54 sous de France par cabot (le cabot de froment pèse 13 kilos). La saisie de la propriété pour dettes est accompagnée de telles formalités qu’on y a rarement recours. (Quayle, General View, pp. 41-46). Les mutations de propriétés foncières se font simplement par voie de serment prêté par les deux parties et ne coûtent à peu près rien. Et les lois sur les héritages sont comprises de façon à conserver le bien de famille (homestead) malgré les dettes que le père a pu contracter (ibid. pp. 35-41).

Après avoir montré combien les fermes sont petites dans les îles (de 8 à 2 hectares, et, pour beaucoup, moins encore) — car il y a « moins de cent fermes dans chaque île qui excèdent 10 hectares », — MM. Ansted, Latham et Nicolle font la remarque suivante :

« Nulle part nous ne trouvons un pays plus heureux et plus satisfait que ces îles… Le mode de propriété foncière a aussi contribué à un haut degré à leur prospérité… L’acheteur devient le propriétaire absolu de son bien et sa situation est inattaquable, tant que les intérêts de sa redevance sont payés [en froment]. Il ne peut être forcé, comme dans le cas de biens hypothéqués, à rembourser le capital. Les avantages d’un tel système sont trop évidents pour qu’il soit nécessaire d’insister ». (The Channel Islands. 3e édition, revisée par E. Toulmin Nicolle, p. 401 ; voir aussi p. 443).

Le tableau ci-dessous mettra en évidence la manière dont la surface cultivable est utilisée à Jersey :

1909
Hectares
Céréales Froment 288
Avoine 499
Pommes de terre 3.545
Racines fourragères Navets et rutabagas 129
Bettes
Trèfle, sainfoin en assolement 1.255
Herbages et prairies Foin 1.043
Pacages 836
Jachères 115
Petits fruits 53
Jardins fruitiers 490
Rochers et broussailles 487
Maisons, routes, serres chaudes, potagers, etc. 2.985
Superficie totale de l’île 11.621

Il y avait, en 1909, 604 fermes de 25 à 200 ares, 1.274 de 200 ares à 20 hectares, et cinq seulement de 20 à 120 hectares. La population était de 52.636 personnes.

Bétail.

1893 1909
Chevaux employés aux
travaux agricoles seulement
2.300 2.287
Chevaux non dressés 103 —  
Juments poulinières réservées
à la reproduction.
14 —  
______ ______
Chevaux 2.417 —  
Génisses, Vaches pleines et
Vaches à lait.
7.004 —  
Autres bestiaux :
De deux ans ou plus 700 —  
D’un an à deux ans 2.397 —  
De moins d’un an 2.489 —  
______ ______
Nombre total des bêtes à cornes 12.650 12.179
Moutons de tout âge 335 167
Porcs, y compris
les truies reproductrices
5.587 5.668
Exportations
1887 1907 1908
Taureaux 102 127 112
Vaches et Génisses 1.395 1.902 1.689

Pommes de terre exportées :

Tonnes Francs
1887-1890 moyenne 54.467 7.448.950
1891-1900 » 59.922 9.666.125
1901-1905 » 54.191 9.115.475
1906 51.932 7.705.725
1907 77.800 9.431.475
1908 53.100 8.907.625
1909 62.690 8.310.100

En ce qui concerne la culture en serres, un de mes amis, Bernard Kampffmeyer, qui a travaillé comme jardinier à Jersey, a recueilli pour moi différents renseignements relatifs à la productivité de la culture sous verre. J’en extrais les détails qui suivent, pour ajouter un document absolument certain à ceux qui ont été donnés dans le texte.

La serre de M. B. a 90 mètres de long sur 5 m. 50 de large, ce qui fait une surface de 500 mq. environ, sur lesquels 80 sont occupés par le passage du milieu. La surface cultivable est donc de 415 mq. Il n’y a pas de murs de brique, mais pour les murs de la façade on a des piliers de brique et des planches. On peut chauffer la serre à l’eau chaude, mais on ne le fait qu'occasionnellement pour combattre les gelées d'hiver. La culture consiste, en effet, en pommes de terre primes, qui n'exigent aucun chauffage, et auxquelles succèdent des tomates. Les tomates, c'est la spécialité de M. B. Il fait aussi des cultures dérobées de radis, etc. Le prix de revient de la serre, l'appareil de chauffage non compris, est d'environ sept francs cinquante par mètre carré sous verre.

On récolte des pommes de terre à raison de 3 hectolitres et demi par are, ce qui fait environ 750 kg de pommes de terre primes pour la serre ; on récolte d'autre part des tomates, dans la culture desquelles M. B. obtient des résultats extraordinaires. Il ne pique qu'un millier de plants et leur laisse ainsi plus d'espace qu'on ne le fait ordinairement : et il cultive une variété « corrugated » (à surface rugueuse) qui donne des récoltes d'un poids considérable, mais n'atteint pas les mêmes prix que les variétés lisses. En 1896, il récolta 4 tonnes de tomates, et il en aura été de même en 1897. Les bons plants avaient donné jusqu'à 9 kg de fruit, alors que la récolte ordinaire des tomates est de 3 kg 5 à 5 kg 5 par plant.

La récolte totale s'élevait donc à 4 tonnes trois quarts de légumes, auxquels il faut ajouter les récoltes intercalaires. C'est un rendement de 950 kg par are (plus de 1.075 kg si l'on y comprend les récoltes intercalaires). Je n'indiquerai pas les gains en argent ; je me contenterai d'ajouter que la dépense pour le combustible et les engrais était d'environ 250 francs par an, et que, à Jersey, il faut en moyenne 7 hommes travaillant chacun 55 heures par semaine (10 heures par jour et 5 heures le samedi) par hectare cultivé sous verre.

Dans ces conditions on comprend que les exportations des îles normandes pour les produits de l'horticulture et ceux de la culture potagère, sous verre et à l'air libre, soient toujours allées en croissant. Voici les chiffres pour 1908 :

Quintaux Francs
Fleurs fraîches 2.815.400
Raisins 9.234 2.209.300
Pommes, poires, etc. 10.810 1.022.375
Plantes d'ornement 395.100
Légumes (pommes de terre, etc.) 600.326 14.103.125
Tomates 125.140 7.353.750
Légumes divers 43.660 254.775



Total 28.153.825
Colis postaux divers 95.607 colis 2.227.600


K. — Blé piqué.

Le défi de Rothamsted.

Sir A. Cotton fit en 1893, devant la Balloon Society, une conférence sur l’agriculture, où il préconisa chaleureusement le labour profond et l’ensemencement très espacé des grains de blé. Il publia plus tard cette conférence sous forme de brochure (Lecture on Agriculture, 2e édition, avec appendice. Dorking, 1893). Pour ses meilleures variétés de blé il obtenait une moyenne de « cinquante-cinq épis par plant, donnant 95ngrammes de grain de belle qualité — peut-êtren82 kg à l'hectolitre » (p. 10). Cela correspondaitnà 80 hectolitres à l'hectare, — c'est-à-dire que les résultats obtenus par lui ressemblaient beaucoup à ceux qu'avaient obtenus MM. Grandeau et F. Dessprèz aux stations agronomiques de Tomblaine et Capelle, — essais qui semblent avoir été ignorés de Sir A. Cotton. Il est vrai que les expériences de Sir A. Cotton n'étaient pas conduites, ou plutôt n'étaient pas exposées d'une façon scientifique. Mais il n'en aurait été que plus désirable que l'on contredît ou que l'on confirmât ses affirmations par des expériences soigneusement conduites, faites dans une station agronomique expérimentale.

C'est bien là ce qu'on attendait du directeur très connu de la ferme-école de Rothamsted, Sir John Lawes, encore que l'auteur de la brochure eût été assez sévère dans son jugement sur la façon générale dont on dirige les expériences de Rothamsted. Cependant Sir John Lawes prit une autre voie et inséra dans l’Echo une lettre — reproduite dans un appendice à la conférence de Sir A. Cotton — et dans laquelle nous lisons :

» Il y a évidemment deux questions importantes à considérer : à savoir, la première, si dans un sol arable ordinaire on peut faire pousser de 89 à 107 hectolitres par hectare ; et la seconde, si, dans le cas où il serait possible d'obtenir une récolte aussi abondante, le prix de revient laisserait une marge de bénéfice au cultivateur.

» Si Sir A. Cotton, ou n'importe quelle autre personne, réussit à produire 360 hectolitres sur quatre hectares de terre à blé de bonne qualité, en dépensant autant qu'il voudra pour la culture, je lui donnerai 6.250 francs.

» D'autre part, afin d'acquérir la certitude que notre pays peut produire assez de froment pour nourrir notre population et même, peut-être, pour en exporter au dehors, en consacrant à cette culture de 800.000 à 1.200.000 hectares, je donnerai 25.000 francs à Sir A. Cotton, ou à toute autre personne qui produira 35 hectolitres de blé par acre[4], sur dix acres séparés de terre à blé, à raison d'un acre dans chacun des dix comtés anglais qui consacrent à l'heure actuelle la plus grande superficie à la culture du blé. Le coût de la production devra être inférieur à la valeur de la récolte, de façon à pro1uver qu'une telle culture serait une source de bénéfices pour nos fermiers ».

Je reproduis cette lettre presque intégralement (c'est moi qui souligne), parce que j'ai reçu de différents correspondants des lettres, et j'ai entendu certaines déclarations publiques, affirmant que Sir John Lawes avait offert 25.000 francs à qui ferait produire 35 hectolitres à un acre de terre, et que personne n'avait relevé le défi. Chacun peut voir maintenant que, en réalité, jamais un tel défi n'a été lancé.

La vérité sur ce sujet consiste en ceci. On avait fait à la ferme expérimentale de Sir John Lawes à Rothamsted des expériences concernant la culture du blé, sur des parcelles de deux tiers et d'un tiers d'acre (27 ares et 13 ares et demi). Et, en se basant sur des expériences faites à cette petite échelle, on était arrivé à Rothamsted à une conclusion, d'une vaste portée pour l'agriculture, sur les limites à ne pas dépasser pour que la fumure de la terre reste avantageuse.

La récolte moyenne la plus abondante qu'on ait obtenue à Rothamsted sur ces parcelles, quelle que fût la quantité d'engrais employée, — a été de 32 hl, 3, et la récolte maxima, obtenue pendant une année de très bonnes récoltes, fut de 49 hl, 9. Or, Sir A. Cotton prétendait qu'on pourrait obtenir de 71 à 89 hectolitres à l'hectare en recourant à un labour profond et en plantant les semences à une grande distance les unes des autres, tout en fumant convenablement. De cette façon il avait obtenu lui-même des récoltes trois fois plus élevées que la moyenne atteinte à Rothamsted pour les parcelles les mieux fumées.

Le seul défi qui, à mon avis, pouvait être loyalement lancé par Sir John Lawes au sujet de cette assertion eût été de proposer à Sir A. Cotton de produire une moyenne de 70 à 90 hectolitres à l'hectare (au lieu des 32 hl, 3 de Rothamsted) pendant plusieurs années de suite (bonnes et mauvaises saisons) sur des parcelles de même surface que celles de Rothamsted, c'est-à-dire mesurant de 13 à 27 ares, — à la condition, bien entendu, qu'on tienne compte, comme à Rothamsted, des engrais employés et du travail nécessaire. Or un pareil défi n'a point été lancé ; on a proposé, par contre, dans la seconde partie du défi, de faire pousser 360 hectolitres sur quatre hectares répartis dans dix comtés différents.

Lancer un défi dans de telles conditions — Sir John Lawes devait bien s'en rendre compte lui-même — revient à n'en pas lancer du tout. Espérons cependant qu'un jour viendra où les expériences de Hallett, Cotton, Grandeau et Dessprèz seront aussi répétées à Rothamsted, et que Sir John Lawes leur apportera une confirmation aussi brillante que celle qu'il apporta, il y a quelque temps, aux travaux de Hellriegel sur la nitrification de la terre par les légumineuses, après avoir nié pendant longtemps la possibilité d'enrichir le sol par l'azote de l'air.

(Depuis que ces lignes furent écrites, Sir John Lawes est mort. Je ne sais pas si la vérification des expériences de Cotton ou de Hallet a jamais été faite à Rothamsted.)

L. — Blé repiqué.

Il ne sera peut-être pas inutile de dire quelques mots de cette méthode qui réclame l’attention des stations agronomiques expérimentales.

Au Japon, on traite toujours le riz de cette façon, c’est-à-dire comme nos jardiniers traitent les laitues et les choux : on le laisse d’abord germer, puis il est semé dans certains endroits bien chauds, bien irrigués et protégés contre les oiseaux par des cordes tendues au-dessus du sol. De trente-cinq à cinquante-cinq jours plus tard, les jeunes plants, alors complètement développés et bien pourvus de radicelles, sont repiqués en pleine terre. De cette façon les Japonais obtiennent de 20 à 30 hectolitres de riz mondé à l’hectare dans les provinces pauvres, 35 hectolitres dans les terres assez bonnes, et de 53 à 60 hectolitres dans les sols les meilleurs. La moyenne dans six États des États-Unis où l’on cultive le riz ne s’élevait à la même époque qu’à 8 hectolitres et demi[5].

En Chine, le repiquage est également d’un usage général, et c’est pourquoi M. Eugène Simon et M. Toubeau lancèrent en France l'idée que le repiquage du froment serait un moyen d'augmenter considérablement les récoltes de l'Europe occidentale[6].

Autant que je sache l'idée n'a pas encore été soumise à l'épreuve de l'expérience ; mais quand on pense aux résultats remarquables obtenus par la méthode de piquage de Hallett, à ce que les maraîchers obtiennent en repiquant une fois ou même deux fois leurs plants, et à la rapidité avec laquelle les jardiniers de Jersey savent planter et replanter, il faut reconnaître que, avec le repiquage du blé. apparaît pour l'agriculture une méthode nouvelle qui mérite le plus vif intérêt. On n'a pas encore fait d'expériences dans cette direction ; mais le professeur Grandeau, à qui j'ai demandé son opinion sur la matière, m'a écrit qu'il pense que la méthode a un grand avenir. Des maraîchers parisiens à qui j'ai également demandé leur avis, ne voient naturellement rien d'extravagant dans cette idée.

Avec des plants produisant mille grains chacun — et dans l'expérience de Capelle ils fournissaient déjà une moyenne de 600 grains — la quantité annuelle nécessaire à la nourriture d'une personne (205 litres ou 170 kilogrammes), ce qui représente de 5.000.000 à 5.500.000 grains, pourrait être produite sur un espace de 210 mètres carrés, soit 21 mètres sur dix. Et un ouvrier expérimenté pourrait faire le travail de repiquage correspondant en moins de dix ou douze heures. Avec une machine-outil convenable, le travail pourrait probablement être considérablement réduit. Au Japon, deux hommes et deux femmes plantent en riz trente ares par jour (Ronna, Les Irrigations, vol. III, 1890, pp. 67 et suiv.), ce qui fait (Fesca, Japanesische Landwirtschaft, p. 33) de 33.000 à 66.000 plants, soit un minimum de 8.250 plants par jour et par personne. Les jardiniers de Jersey piquent, par heure, de 600 plants, s'ils sont inexpérimentés, à 1.000 plants, s'ils en ont acquis l'habitude[7].


M. — Importations de légumes en Angleterre.

On n’a pas cessé de répéter au cours des dernières années qu’en Angleterre on ne consacre pas assez de terres à la culture potagère.

Il est certain que des progrès considérables ont eu lieu récemment, car la surface occupée par les potagers, et surtout la surface mise sous verre pour la production des fruits et des légumes, ont été largement augmentées. C’est ainsi que, au lieu des 15.765 hectares occupés en 1875 par les potagers en Grande-Bretagne, il y en avait 36.460 en 1894, sans compter les légumes récoltés dans les fermes (The Gardener's Chronicle, 20 avril, 1895, p. 483)[8]. Mais ce progrès n'est presque rien, comparé aux progrès faits par la même culture en France, en Belgique et aux État-Unis. En France, la surface consacrée à la culture potagère était estimée en 1892 par M. Baltet (L' Horticulture dans les cinq Parties du Monde, Paris, Hachette, 1895) à 435.000 hectares — quatre fois plus que dans le Royaume-Uni, par rapport aux surfaces cultivables dans les deux pays. Et le plus remarquable, c'est que de vastes étendues de terre, considérées autrefois comme incultes, ont été mises en valeur par les cultivateurs s'occupant de culture potagère ou fruitière.

Dans l'état de choses actuel, nous voyons que de très grandes quantités des légumes les plus communs sont importés en Angleterre, alors qu'on pourrait tous les produire dans le pays même.

Non seulement on importe les laitues des Açores ou du midi de la France, mais encore on continue jusqu'en juin à en importer du centre et du nord de la France, où on les fait venir sous des châssis. Les concombres hâtifs, qu'on fait venir également sous châssis, sont importés en très grandes quantités de Hollande, et ils sont vendus si bon marché que beaucoup de jardiniers anglais ont cessé d'en produire[9].

Même la betterave et les choux pour conserves sont importés de Hollande et de Bretagne, des environs de Saint-Malo ; et, alors que les oignons étaient autrefois cultivés en grand en Angleterre, nous voyons que, en 1894, on importa, de Belgique surtout, mais aussi d'Allemagne, de Hollande, de France, etc., 2.914.000 hectolitres d'oignons valant plus de 20.000.000 de francs.

D'autre part, il est tout naturel que l'Angleterre importe des Açores et du midi de la France des pommes de terre hâtives. Mais il n'est plus aussi naturel que plus de 50.000 tonnes de pommes de terre, valant de 7.000.000 à 13.133.000 francs (moyenne des dernières années) soient importées des Îles Anglo-Normandes, car il y a des centaines, sinon des milliers d'hectares, dans le Devonshire méridional, et très probablement sur d'autres points de la côte sud, où l'on pourrait tout aussi bien cultiver les pommes de terre hâtives. Mais outre les 90.000 tonnes environ de pommes de terre hâtives qu'on importe en Angleterre, on importe encore des quantités énormes de pommes de terre tardives de Hollande, d'Allemagne et de Belgique, si bien que l'importation totale de pommes de terre s'élevait à 412.500 tonnes en 1907 et 352.000 tonnes en 1908.

Chacun sait comme les pommes de terre réussissent bien en Angleterre, et quelles admirables espèces ont été créées par les jardiniers anglais. Mais le loyer de la terre et les intermédiaires dans la vente absorbent le plus clair des profits du producteur. Je pourrais citer des faits frappants pour prouver le bien-fondé de cette dernière assertion concernant les intermédiaires ; mais de tels faits ayant déjà été signalés en très grande abondance, il serait inutile d'ajouter de nouveaux chiffres pour compléter une démonstration écrasante[10].

De cet état de choses il résulte que les Îles Britanniques importent chaque année pour 100.000.000 fr. de légumes et pour 125.000.000 fr. environ de fruits (sans compter les fruits exotiques), alors que des milliers d'hectares restent en jachère et que la population des campagnes émigre vers les villes en quête d'un travail qu'elle ne trouve pas.


N. — La culture maraîchère en Belgique. — Augmentation de productivité agricole.

En 1885 la superficie consacrée à la culture maraîchère en Belgique était de 40.335 hectares. Aujourd'hui, un professeur d'agriculture, qui a bien voulu me fournir des notes sur ce sujet, écrit :

« La surface a considérablement augmenté, et je crois qu'on peut l'estimer à 45.325 hectares, si ce n'est même davantage ». Et plus loin : « Le loyer de la terre aux environs des grandes villes, Anvers, Liège, Gand et Bruxelles, atteint jusqu'à 360 et 500 francs par hectare ; les frais d'installation sont de 800 à 1.500 francs par hectare ; la dépense pour les engrais, qui est la grosse dépense, est de 500 à 1.000 francs pour la première année, et ensuite de 300 à 500 francs par an ». Les exploitations ont une surface moyenne d'un hectare, et on emploie dans chacune de 200 à 400 châssis. Il faut faire à propos des maraîchers belges la même remarque qu'au sujet des maraîchers français. Ils travaillent très dur, car ils ont à payer des fermages exorbitants ; ils dépensent fort peu pour eux-mêmes, afin de pouvoir un jour acheter une pièce de terre et se débarrasser de l'exploiteur qui accapare une si grande partie de leurs gains ; et ils ont d'autre part à acheter chaque année de nouveaux châssis pour obtenir leurs produits de plus en plus tôt, afin de pouvoir les vendre à un prix élevé. Aussi travaillent-ils comme des nègres. Mais on doit se rappeler que pour obtenir la même production, sous verre, dans des serres, le travail de sept hommes seulement, travaillant 55 heures par semaine, est nécessaire à Jersey pour cultiver un hectare de terre sous verre.

Augmentation de productivité. — Il est intéressant de constater qu'en 39 ans, de 1860 à 1899, la population de la Belgique ayant passé de 4.550.000 à 6.480.000, ce qui fait une augmentation de 41 pour cent, la productivité industrielle du pays s'est accrue, pendant ce même temps dans des proportions beaucoup plus considérables. Mais ce qui est encore plus important, c'est que la production agricole, contrairement aux prévisions des malthusiens, n'est pas restée en arrière de l'accroissement de la population. Ainsi, la productivité moyenne de chaque hectare a grandi comme suit :

Froment 19 hl. en 1860 25 hl. en 1899
Avoine 31 44
Orge 29 36
Seigle 20 23

Si l'on prend donc les deux cultures, principales, froment et avoine (celle du seigle tombe en décadence), on voit que la productivité de la terre a augmenté de 31 % pour le froment et de 42 % pour l'avoine. Et, à côté de cela, elle s'est considérablement accrue pour les fourrages et les légumes de toute sorte. La proportion serait encore plus forte si l'on comparait les récoltes de 1905-1907 à celles de 1871-1880.

Pendant que je lis les épreuves de ces pages je reçois l'excellent ouvrage de B. Seebohm Rowntree, Land and Labour : Lessons front Belgium (Terre et travail : Leçons de Belgique), un fort volume de 633 pages, Londres, 1910. C'est le résultat de plusieurs années d'études laborieuses ; il est plein de chiffres et d'observations personnelles, que l'on consultera avec avantage pour toutes les questions se rattachant à la vie économique de la Belgique.


O. — Culture sous verre en Hollande.

La Hollande, à son tour, introduit chez elle la culture sous verre en grand. Pendant que je lisais les épreuves de ce livre, je recevais la lettre suivante :

« Voici une carte-vue que J. (professeur de botanique en Belgique) a rapportée de Hollande et qu’il me prie de vous envoyer, parce que vous y verrez représentée la culture intensive sous verre des légumes et des fruits. (La carte-vue reproduit un immense espace couvert de châssis). Des établissements semblables couvrent de nombreux kilomètres carrés entre Rotterdam et la mer, au nord de Heuve. Au moment où J. était là (le 10 juin) il y avait des concombres, des melons mûrs, gros comme la tête, en nombre déjà considérable, qu’on expédiait à l’étranger. Les cultures se font en grande partie sans chauffage. La plupart des produits ne coûtent donc pas un centime de charbon. Les jardiniers sèment aussi des radis, des carottes, de la laitue, etc., ensemble sous le même verre. Les divers produits viennent les uns après les autres. On cultive encore de grandes quantités de fraises sous ces châssis.

» Les appareils employés sont transportables à volonté, de manière à mettre sous verre pendant quelques jours ou quelques semaines des plantes quelconques, n'importe où elles se trouvent. J. est plein d'admiration pour le savoir des jardiniers. Au lieu de routine, c'est l'application des derniers progrès de la science. On lui a dit que l'on ne casse presque jamais de verres. Ils ont acquis l'art de les manier facilement et avec adresse.

» Outre les châssis représentés sur la photographie, la région comprise entre Rotterdam et la mer, laquelle s'appelle le Westland, compte encore d'innombrables serres où l'on cultive (avec ou sans chauffage) des raisins, des pêches, des cerises du Nord, des haricots, des tomates, et d'autres fruits et légumes. Ces cultures sont arrivées à un degré de perfection incomparable. On s'applique avec le plus grand soin à combattre les maladies des plantes. On cultive également des fruits (pommes, poires, groseilles, fraises, etc.) et des légumes en plein air. Ce qui frappe entre autres choses dans ces cultures, c'est la disparition presque complète des mauvaises herbes et la santé irréprochable de toutes les plantes. Comme le Westland est fort exposé aux tempêtes, on a construit de nombreux murs qui brisent le vent et servent en outre à la culture des fruits en espalier.

» Cette région, en réalité peu favorisée de la nature, est devenue une source de richesse merveilleuse. Les fermes, l'une après l'autre, sont transformées en vastes jardins maraîchers et fruitiers, ce qui permet de donner de l'ouvrage à un nombre d'habitants de plus en plus grand.

» Toute cette région subit l'influence bienfaisante de l'école d'horticulture de Naaldwijk, qui est située à peu près au centre du Westland. »


P. — Prix obtenus à Londres pour les raisins de table cultivés en serres chaudes.

Le journal hebdomadaire, The Fruit Grower and Market Gardener, donne tous les huit jours les prix auxquels toute sorte de produits de l’horticulture et de la culture maraîchère, ainsi que les fleurs, ont été vendus au grand marché de Londres, à Covent Garden. Les prix obtenus pour les raisins de table (Colmar et Hambourg) sont très instructifs.

Je prends deux années, 1907 et 1908, qui ne diffèrent des années ordinaires que par des hivers brumeux, — ce qui cause un retard pour les produits de printemps.

Aux premiers jours de janvier, les raisins Colmar, arrivant des serres chaudes belges, se vendent encore à des prix assez bas : de 1 fr. 37 à 2 fr. 35 le kilo. Mais les prix montent lentement en janvier et en février. Les raisins Hambourg sont en retard cette année, et par suite, vers le 15 mars et puis en avril, les Colmar se vendent de 4 fr. 14 c. jusqu'à 6 fr. 87 c. le kilo.

Les raisins de provenance anglaise (Worthing, etc.) sont certainement préférés, et on les cote de 50 c. à 1 fr. 50 plus haut que ceux de Belgique ou des Îles Normandes. À la fin d'avril 1907 et au commencement de mai, ils se vendent même de 5 fr. 50 à 11 fr. le kilo. Les grosses et belles grappes, pour les beaux dîners, sont payées évidemment des prix de fantaisie.

Mais enfin les raisins Hambourg, qui se sont fait attendre en 1907 et 1908, commencent à arriver de Belgique, de Guernesey et d'Angleterre, et les prix tombent soudain. Fin mai, les Hambourg belges ne se vendent plus que 2 fr. 30 à 3 fr. 65 le kilo, et les prix baissent toujours.

En juin et en juillet les jardiniers n'obtiennent plus que de 1 fr. 15 c. à 1 fr. 60 par kilo, et en septembre, octobre et jusqu'en novembre 1908 les plus beaux raisins de Guernesey ne se cotaient qu'à 1 fr. 37 le kilo ; de très beaux raisins se vendaient jusqu'à 4 francs la livre anglaise, — soit 93 c. le kilo.

Ce n'est que dans les premiers jours de novembre que les prix montaient jusqu'à 2 fr. 30 c. et 3 fr. Mais dès la seconde moitié de décembre commençait déjà à arriver de Belgique la nouvelle récolte des Colmar, qui fit baisser les prix jusqu'à 2 fr. 30 c, et même jusqu'à 1 fr. 37 le kilo pour les fêtes de Noël.

Ainsi, malgré une forte demande pour les beaux raisins à gros grains, bien frais, coupés la veille dans les serres, ces raisins se vendent en automne presque au prix que ceux qui ont poussé sous le beau soleil du Midi.


Quant aux quantités de raisins importées en Angleterre, les chiffres sont encore des plus instructifs. La moyenne pour les trois années, 1905-1907, fut de 37.056.000 kilogrammes, représentant une valeur de 55.612.000 fr.


Q. — Emploi de l’électricité en agriculture.

Dans les premières éditions de cet ouvrage j’avais évité de parler des améliorations agricoles obtenues à l’aide de l’électricité et des arrosages de la terre avec des cultures de certains microbes bienfaisants. Je tenais à me borner aux faits bien établis dans la culture intensive. Aujourd’hui, une mention des progrès accomplis dans ces deux directions s’impose.

Il y a plus de 25 ans, je signalais dans la Nature de Londres l’augmentation des récoltes obtenue par un propriétaire russe, qui tendait au-dessus de son champ de culture des fils télégraphiques, par lesquels on lançait des courants électriques. Dernièrement, le physicien anglais bien connu, Oliver Lodge, a donné dans un quotidien (Daily Chronicle du 15 juillet 1908) les résultats d'expériences analogues faites dans une ferme anglaise, près d'Evesham, par MM. Newmari et Bomford, avec l'aide du fils d'Oliver Lodge, M. Lionel Lodge.

Au-dessus du champ d'expérience furent tendus des fils de fer fins, en lignes parallèles, distantes de 10 mètres les unes des autres. Ces fils étaient posés sur des poteaux télégraphiques, assez hauts pour ne pas empêcher la circulation des chariots chargés de blé. Un champ témoin était réservé à côté, pour connaître les récoltes obtenues sans électricité.

Les poteaux, de 5 mètres de hauteur, étaient très éloignés les uns des autres : les fils n'étaient tendus que très faiblement.

Les isolateurs des poteaux étaient très puissants, vu la haute tension des courants lancés le long des fils. Ces courants étaient positifs et avaient un très haut potentiel, de 100.000 volts environ. L'échappement de l'électricité était si fort dans ces conditions qu'il s'apercevait dans l'obscurité. On la sentait aussi s'écouler lorsqu'on passait sous les fils. Les cheveux, le visage en ressentaient l'effet.

Cependant la dépense de force électrique était minime, dit Oliver Lodge ; car si le potentiel était très haut, la quantité d'énergie consommée était néanmoins très faible. C'est aussi le cas, on le sait, pour les décharges d'électricité atmosphérique, terribles par leur forte tension, mais minimes comme quantité d'énergie. Aussi un moteur à pétrole de deux chevaux-vapeur suffisait-il.

Les résultats furent très satisfaisants. La récolte de blé dans le champ électrisé fut, en 1906 et 1907, de 29 à 40 pour cent plus forte (et aussi de meilleure qualité) que dans le champ témoin non électrisé. La paille était de 10 à 20 centimètres plus haute.

Pour les fraises, l'augmentation de la récolte fut de 35 %, et de 25 % pour les bettes.

Des résultats aussi satisfaisants furent obtenus en 1904 par M. Newman à Bitton (près de Gloucester), en tendant des fils de fer à 40 centimètres au-dessus des plantes, dans une serre chaude, et en lançant un courant électrique le long de ces fils. Les fraises surtout accusaient des augmentations de récoltes de 36 à 80 pour cent. C'est le succès de cette expérience en petit qui suggéra à M. Newman l'idée de faire l'expérience en grand, avec l'aide d'Oliver Lodge.

Quant à l'inoculation des microbes bienfaisants au moyen d'arrosages contenant des cultures de bactéries nitrifiantes, des expériences en grand furent faites en Prusse sur des terrains de tourbières. Les journaux agricoles parlent de ces expériences, comme ayant donné des résultats très satisfaisants.

D'autre part, des résultats fort intéressants semblent avoir été obtenus en Allemagne au moyen du chauffage du sol par un mélange d'air et de vapeur d'eau lancé le long de tubes ordinaires de drainage. Une société s'est formée pour propager ce système, et les photographies reproduites dans une brochure publiée par cette société (Gartenkultur, Bodenheizung, Klimaverbesserung, Berlin, 1906), semblent prouver qu'avec un sol chauffé d'après ce système on accélère notablement la végétation des légumes-primeurs.


R. — Les petites industries dans la région lyonnaise en 1885.

Les environs de Saint-Étienne sont un grand centre pour toutes sortes d’industries, parmi lesquelles les petits métiers occupent une place importante. Les usines métallurgiques et les mines de houille avec leurs hautes cheminées vomissant la fumée, les manufactures bruyantes, les routes noircies par le charbon, une végétation pauvre, tout donne à cette région l’aspect bien connu du « Pays noir ». Dans certaines villes, comme à Saint-Chamond, on trouve un bon nombre de grandes manufactures, où des milliers de femmes sont employées à la fabrication de la passementerie. Mais à côté de la grande industrie les petites industries conservent une très grande importance. C'est ainsi que l'on avait d'abord la fabrication des rubans de soie qui en 1885 n'employait pas moins de 50.000 ouvriers, hommes et femmes. Dans les fabriques on ne comptait guère que trois ou quatre mille métiers. Les autres, dont le nombre s'élevait à douze ou quatorze cents, appartenaient aux ouvriers eux-mêmes de Saint-Étienne et des environs[11].

En général les femmes et les filles filent la soie ou la dévident, pendant que le père et ses fils tissent les rubans. J'ai vu dans les faubourgs de Saint-Étienne les petits ateliers où l'on fabriquait sur trois ou quatre métiers ces rubans compliqués où est tissée l'adresse de la manufacture, ainsi que des rubans d'un fini artistique remarquable, tandis que dans la pièce contiguë la femme préparait le dîner et s'occupait des soins du ménage.

Il fut un temps où les salaires furent élevés dans l'industrie du ruban : ils dépassaient dix francs par jour, et M. Euvert m'écrivait que la moitié des maisons des faubourgs de Saint-Étienne furent bâties par les passementiers. Mais les affaires prirent une très mauvaise tournure lorsqu'éclata la crise de 1884. On ne recevait plus aucune commande, et les rubaniers ne vivaient plus que de gains occasionnels. Bientôt toutes leurs économies furent épuisées. « Combien », écrit M. Euvert, « ne furent pas forcés de vendre pour quelques centaines de francs le métier qu'ils avaient payé plusieurs milliers de francs ! » Je ne saurais dire quel effet cette crise eut sur l'industrie, parce que je n'ai pas de renseignements récents sur cette région. Un grand nombre de rubaniers ont très probablement émigré vers Saint-Étienne, où l'on continue à s'occuper de tissage artistique, alors que les rubans bon marché sont faits en fabrique.

La fabrication des armes occupait en 1885 de 5.000 à 6.000 ouvriers, dont la moitié à Saint-Étienne et le reste dans la région avoisinante. Tout le travail était fait dans de petits ateliers, si l'on fait abstraction de la grande manufacture d'armes de l'État qui parfois emploie de dix à quinze mille personnes et parfois n'en occupe qu'un ou deux mille.

Une autre industrie importante de la même région est la fabrication des articles de quincaillerie et ferronnerie qui tous sont confectionnés dans de petits ateliers des environs de Saint-Étienne, Le Chambon, Firminy, Rive-de-Gier et Saint-Bonnet-le-Château. Le travail est assez régulier, mais les salaires sont en général peu élevés. Et cependant les cultivateurs restent attachés à ces métiers, parce qu'ils ne peuvent se passer d'une occupation industrielle pendant une partie de l'année.

La production annuelle des étoffes de soie en France n'atteignait pas moins de 7.558.000 kilog. en 1881[12] ; et la plus grande partie des cinq à six millions de kilogrammes de soie grège qui étaient transformés en étoffes dans la région lyonnaise l'était à la main[13].

Vers 1865, il y avait déjà dans la soierie lyonnaise de six à huit mille métiers mécaniques, et quand nous considérons la période de prospérité de l'industrie lyonnaise de la soie vers 1876 et la crise qu'elle subit dans les années 1880-86, nous ne pouvons qu'être surpris de la lenteur de la transformation de cette industrie. Telle est aussi l'opinion du Président de la Chambre de Commerce de Lyon qui m'écrivait que le domaine du métier mécanique s'accroît chaque année « en s'étendant à de nouveaux genres de tissus, qui autrefois passaient pour ne pouvoir être fabriqués sur des métiers mécaniques ; mais, ajoutait-il, la transformation des petits ateliers en fabriques s'opère si lentement que le nombre des métiers mécaniques ne s'élève qu'à vingt ou vingt-cinq mille sur un total de cent à cent dix mille ».

Les traits caractéristiques de l'industrie de la soie à Lyon étaient alors les suivants :

Le travail préparatoire — dévidage, ourdissage, etc. — était généralement fait dans de petits ateliers, principalement à Lyon : dans les villages on ne trouvait que quelques rares ateliers. La teinturerie et le finissage étaient naturellement réservés aux grands établissements industriels, et c'est surtout dans la teinturerie, qui occupait de quatre à cinq mille ouvriers, que les manufactures lyonnaises ont acquis leur plus grande réputation. On y teint non seulement les soies, mais encore les cotons et les laines, et non seulement pour la France, mais aussi, jusqu'à un certain point, pour Londres, Manchester, Vienne et même Moscou. C'est également dans cette branche d'industrie que l'on peut signaler les meilleures machines[14].

Quant au tissage, il était exécuté à l'époque dont nous parlons sur 20 à 25.000 métiers mécaniques et sur 75 à 90.000 métiers à main, qui étaient en partie à Lyon (de 15 à 18.000 métiers à main en 1885), mais dont le plus grand nombre se trouvaient dans les villages.

Depuis cette époque le tissage mécanique s'est répandu encore plus, mais le tissage à la main, pour les étoffes de meilleure qualité, subsiste encore dans une forte proportion. Les ateliers où autrefois on pouvait trouver plusieurs compagnons employés par un patron tendent déjà à disparaître : les ateliers ne comptent le plus souvent que deux ou trois métiers, sur lesquels travaillent le père, la mère et les enfants. Mais ces petits ateliers sont encore très nombreux. À la Croix-Rousse, vous les trouvez dans chaque maison et à chaque étage. Le fabricant donne les indications générales sur le genre d'étoffe qu'il désire faire tisser, et ses dessinateurs tracent le modèle : mais c'est l'ouvrier lui-même qui doit trouver le moyen de tisser en fils de toutes nuances le modèle esquissé sur papier. Il crée ainsi continuellement quelque chose de nouveau ; et bien des perfectionnements et des découvertes sont dus à des ouvriers dont les noms mêmes resteront inconnus. On pense généralement que l'électricité, employée comme force motrice, aura pour résultat de donner une force nouvelle à cette industrie.

Les tisserands de Lyon ont conservé jusqu'aujourd'hui la réputation d'être l'élite de leur corps de métier en ce qui concerne le travail artistique des étoffes de soie. Les brocarts, les satins et les velours de première qualité ayant un cachet vraiment artistique sont tissés dans les tout petits ateliers qui ne possèdent qu'un ou deux métiers. Malheureusement le caractère irrégulier de la demande pour ce travail de haut style est souvent une cause de misère. Autrefois, quand les commandes se faisaient rares pour les soieries de luxe, les canuts de Lyon recouraient à la fabrication de tissus de qualité inférieure : foulards, crêpes, tulles, dont Lyon avait le monopole en Europe. Mais aujourd'hui les articles ordinaires sont produits en très grande quantité, d'une part par les fabriques de Lyon, de Saxe, de Russie et de Grande-Bretagne, et d'autre part par les paysans des départements français voisins, ainsi que dans les villages suisses des cantons de Bâle et de Zurich et dans les villages des provinces rhénanes, d'Italie et de Russie.

Quant aux villages de la région lyonnaise, l'émigration de l'industrie de la soie des villes vers ces villages y a commencé il y a longtemps déjà, puisqu'elle remonte à 1817 ; mais ce fut surtout dans les années soixante et soixante- dix que ce mouvement prit une grande extension. Vers 1872, près de 90.000 métiers à main furent disséminés, non seulement dans le département du Rhône, mais aussi dans ceux de l'Ain, de l'Isère, de la Loire, de Saône-et-Loire, et même dans ceux de la Drôme, de l'Ardèche et de la Savoie. Parfois les métiers étaient fournis par les marchands, mais la plupart furent achetés par les tisserands eux-mêmes ; et c'étaient surtout les femmes et les jeunes filles qui travaillaient sur ces métiers aux heures de loisir que leur laissaient les travaux agricoles. Mais dès 1835 l'émigration de l'industrie de la soie vers les villages s'accéléra : de grandes fabriques y furent érigées, et ces fabriques continuèrent à se répandre dans la région, en faisant de terribles ravages parmi les populations rurales.

Quand une nouvelle fabrique s'installe dans la campagne elle attire d'abord les jeunes paysannes et aussi une partie des jeunes paysans du voisinage. Garçons et filles sont toujours heureux de trouver un gagne-pain indépendant, qui les émancipe de la surveillance de la famille. Il en résulte que les salaires des ouvrières de fabrique sont extrêmement bas. D'autre part, la distance du village à la fabrique étant généralement très grande, les jeunes filles ne peuvent rentrer à la maison chaque soir, d'autant moins que la journée de travail est généralement longue. Elles restent donc toute la semaine à la fabrique, logent dans des casernes et ne retournent dans leurs familles que le samedi soir. Le lundi matin, dès le lever du soleil, une voiture fait le tour des villages et les ramène à la fabrique. Cette vie de caserne a tôt fait de rendre les jeunes filles inaptes au travail des champs. Et lorsqu'elles sont devenues des femmes, elles découvrent qu'elles ne peuvent subvenir à leurs besoins avec les salaires de famine payés par la fabrique. Mais elles ne peuvent plus revenir à la vie paysanne. Il est facile de voir quels ravages la fabrique exerce ainsi dans les villages et combien précaire est son existence même, basée qu'elle est sur les salaires très bas offerts aux jeunes villageoises. Elle détruit la famille paysanne, elle rend la vie du travailleur des villes encore plus précaire à cause de la concurrence qui lui est ainsi faite ; et l'industrie même est dans un état perpétuel d'instabilité.

C'est probablement pour cette raison que le tissage à la main se maintient si courageusement jusqu'aujourd'hui dans des villages, où la terre, remarquons-le en passant, est généralement bien cultivée. Ainsi Panissières est un centre pour le tissage à la main du linge de table et du linge de toilette. On y tisse aussi de la soie ; d'ailleurs, « toute la montagne, dit M. Ardouin-Dumazet. dans cette partie des monts du Lyonnais, compte bien peu de maisons sans atelier ; le propriétaire rural qui fait construire une ferme, le débitant qui choisit une croisée de route pour y bâtir son auberge, le charron ou le maréchal qui installe un atelier prévoient toujours une partie à louer à un ouvrier tisseur. En outre, la plupart des petits propriétaires ont un métier chez eux… Cette association de l'agriculture et du métier vaut au pays son aspect heureux » (t. VII, p. 220). Sur la route de Panissières à Tarare, dans toutes les maisons battent les métiers. « Les maisons ouvrières sont bien tenues, le jardinet est soigneusement cultivé, très souvent le ménage possède une ou deux vaches. Ces maisons sont semées partout dans les campagnes ». (p. 221). « A Saint-Forgeux, tout le monde est tisseur… Par les fenêtres ouvertes, on aperçoit dans chaque appartement un métier à soierie… Pontcharra est encore un centre de canuts » (p. 223).


S. — Les petites industries à Paris.

Il serait impossible d’énumérer ici toutes les variétés des petites industries exercées à Paris ; et une telle énumération ne saurait être complète parce que chaque année appelle à la vie de nouvelles industries. Je me contenterai donc de citer quelques-unes des plus importantes.

Un grand nombre d’entre elles se rattachent naturellement à la confection pour dames. La confection des différentes parties du vêtement de la femme occupe à Paris jusqu'à 22.000 ouvrières et ouvriers, dont la production atteint 75 millions de francs par an, et la robe fournit de l'occupation à 15.000 femmes, dont la production annuelle est évaluée à 60 millions de francs. La lingerie, la chaussure, la ganterie, etc., sont autant de branches importantes des petits métiers et des industries domestiques de Paris. En outre, le quart des corsets qui sont confectionnés en France (12 millions et demi de francs sur cinquante millions) sont de fabrication parisienne.

La gravure, la reliure et toutes sortes de papeterie-fantaisie, ainsi que la fabrication des instruments de musique et de mathématiques sont autant de branches d'industrie où excellent les ouvriers parisiens. La vannerie est une autre branche très importante : les articles de luxe sont seuls confectionnés à Paris, la vannerie commune se faisant dans les centres déjà mentionnés (Haute-Marne, Aisne, etc.). Les brosses se fabriquent aussi dans de petits ateliers. La production dans cette branche est évaluée à 20 millions de francs pour Paris et le département de l'Oise.

Pour l'ameublement, Paris ne compte pas moins de 4.340 ateliers, dans chacun desquels on emploie en moyenne de trois à quatre ouvriers.

Dans l'horlogerie nous trouvons 2.000 ateliers avec 6.000 ouvriers seulement, et leur production, 25 millions de francs environ, n'en constitue pas moins le tiers de la production totale de l'horlogerie française.

La maroquinerie donne le chiffre de 12 millions et demi, bien qu'elle n'occupe que 1.000 personnes réparties entre 280 ateliers, et ce chiffre élevé témoigne de la haute valeur artistique des articles parisiens en cuir-fantaisie.

La bijouterie, y compris les articles de luxe ainsi que les articles bon marché, est encore une des principales spécialités de la petite industrie parisienne. Une autre spécialité bien connue est la fabrication des fleurs artificielles.

Pour finir, nous mentionnerons la carrosserie et la sellerie, industries qui s'exercent dans les petites villes des environs de Paris ; la fabrication des beaux chapeaux de paille ; la taille du cristal et du verre, la peinture sur verre et sur porcelaine, et de nombreux ateliers pour la fabrication des boutons-fantaisie, des parures de nacre et des petits objets en corne et en os.


T. — Les petites industries en Allemagne.

La littérature des petites industries en Allemagne est très volumineuse. On trouvera les principaux travaux sur ce sujet, in-extenso ou analysés, dans les Jahrbücher de Schmoller et dans la Sammlung nationalökonomischer und statistischer Abhandlungen. Pour avoir une vue générale et d'abondantes indications bibliographiques, on consultera avec beaucoup de profit la Volkswirtschaftstehre de Schönberg, vol. II, qui renferme d'excellentes remarques sur le domaine propre des petites industries (p. 401 et suiv.), ainsi que la publication de K. Bücher, mentionnée plus haut (Untersuchungen über die Lage des Handwerks in Deutschland). L'ouvrage de O. Schwarz, Die Betriebsformen der modernen Grossindustrie (dans la Zeitschrift für Staatswissenschaft, vol. XXV, p. 535) est intéressant par son analyse des avantages respectifs de la grande et de la petite industrie, qui amène l'auteur à formuler en faveur de la première les trois avantages suivants : 1° Économie dans le prix de revient de la force motrice ; 2° division du travail et son organisation harmonieuse ; 3° avantages offerts pour la vente des produits. De ces trois facteurs le premier est de plus en plus éliminé chaque année par les progrès réalisés dans la transmission de la force. Le second existe tout aussi bien dans les petites industries et au même degré que dans les grandes (horlogers, fabricants de jouets, etc.) De sorte que seul le troisième conserve toute sa force. Mais ce facteur, comme il a déjà été dit dans le corps de cet ouvrage, est un facteur social, qui dépend entièrement du développement de l'esprit d'association parmi les producteurs. Quant aux chiffres de Schwarz relatifs à la productivité plus élevée des grandes filatures, comparées aux petites, il reste à savoir si les grandes fabriques qu'il cite ne sont pas plus modernes que les petites et ne sont pas, en conséquence, pourvues de meilleures machines. L'une des conclusions de Schwarz est cependant absolument exacte : les petites industries, à moins qu'elles ne se consacrent à la production d'articles artistiques, comme c'est le cas pour celles de Paris, Lyon, Varsovie, Vienne, etc., ne peuvent prospérer que si elles restent unies étroitement à l'agriculture.


Le Statistisches Jahrbuch du Dr Reich pour 1906 nous permet de jeter un coup d'oeil général sula répartition des travailleurs dans les différentes industries de l'Empire allemand, en 1882 et en 1895. Laissant de côté les 42.321 exploitations d'horticulture, d'élevage et de pèche (103.128 travailleurs en 1895), ainsi que le commerce et les débits de nourriture et de vin (955.680 établissements, 2.165.638 travailleurs), nous avons pour toute l'industrie, y compris les mines, 2.146.972 établissements, avec 8.000.503 travailleurs en 1895, et 2.270.339 établissements, avec 5.933.663 travailleurs en 1882. Ce dernier chiffre cependant a dû être incomplet.

La répartition des industries d'après leur importance était la suivante en 1895 :

1895
Établissements Travailleurs Moyenne
par établt.
Petite industrie (de 1 à 5 trav.). 1.989.372 3.191.125 1 ½
Moyenne (de 6 à 50) 139.459 1.902.049 13
Grande (plus de 50) 17.941 2.907.329 162



Total 2.146.972 8.000.503 4

La petite industrie comprend dans cette table 1.237.000 artisans travaillant seuls.

Un nouveau recensement ayant été fait en 1907, on peut juger des changements survenus dans la répartition des industries depuis 25 ans. Voici le nombre d'établissements (en chiffres ronds) pour trois différentes périodes :

1882 1895 1907
Artisans travaillant seuls 1.430.000 1.237.000 995.000
Petite industrie (de 1 à 5 trav.). 746.000 753.000 875.000
Moyenne (de 6 à 50) 85.000 139.000 187.000
Grande (plus de 50) 9.000 18.000 29.000



Total 2.270.000 2.147.000 2.086.000

Ce qui nous frappe surtout dans ces chiffres c'est que côte à côte avec l'accroissement considérable de ce que les statisticiens allemands appellent la « grande » industrie (plus de 50 ouvriers par usine), il s'est produit, un si fort accroissement du nombre d'établissements classés sous la rubrique d'industrie moyenne (de 6 à 50 ouvriers), mais qui devraient être classés plutôt comme petite industrie, puisqu'on n'y trouve que 13 ouvriers, en moyenne, par établissement.

On voit aussi qu'une très grande partie des établissements classés en Allemagne comme grande industrie auraient dû entrer dans la classe de la moyenne industrie, puisque l'immense majorité de ces établissements n'a que de 50 à 100, ou bien de 100 à 150 ouvriers, — classe si nombreuse en Angleterre et en Belgique. Ne serait-il pas plus juste de réserver le nom de « moyenne » industrie aux établissements de 51 à 150 ouvriers, le nom de « grande » à ceux de 151 à 1.000, et celui de « très grande » aux établissements comprenant plus de 1.000 personnes ?

Notons que la fabrication des machines et outils offre le même caractère que l'industrie en général : —

1882 1895 1907
Artisans seuls 45.000 45.000 38.000
De 1 à 5 ouv. 33.000 34.000 41.000
De 6 à 50 ouv. 4.000 7.000 12.000
Plus de 50 1.000 2.000 3.000



Total 83.000 88.000 94.000

Dans les textiles les établissements se répartissaient comme suit :

1882 1895 1907
Artisans seuls 264.000 149.000 83.000
De 1 à 5 ouv 70.000 44.009 39.000
De 6 à 50 ouv 8.000 9.000 10.000
Plus de 50 2.000 3.000 4.000



Total 344.000 205.000 136.000

Les artisans travaillant seuls ou avec quelques membres de la famille diminuent, mais la petite industrie tient bon ou augmente.

Une forme d'association agricole, nouvelle en Allemagne, et qui profitera sans doute aux petits cultivateurs et aux petites industries, c'est l'élévateur coopératif. On sait qu'un « élévateur » (le mot vient des États-Unis) c'est un grenier à blé pourvu d'une machine pour vanner le blé et le tamiser. En Amérique il appartient généralement à une compagnie d'actionnaires. En Allemagne on essaye avec raison de le faire sur une base coopérative. La coopérative des paysans bâtit l'élévateur ; alors, ou bien elle achète au paysan le blé, dès qu'il est battu, au prix du jour, ou bien elle le reçoit en dépôt pour le vendre plus tard à un plus haut prix. Les premiers essais, faits en 1899 dans le royaume de Saxe, ont donné des résultats satisfaisants (Jühlings Landwirtscha ftliche Zeitung, 1900).






  1. Ten Years of Sunshine in the British Isles, 1881-1890.
  2. Moyenne pour le mois, du 5 avril au 8 mai, en 1909.
  3. En 1908 l’île de Jersey importait 9.460 tonnes d’engrais artificiels ; pour les îles Normandes, (Jersey, Guernesey, Alderney et Sark) l’importation était de 10.332 tonnes (valeur, 1.547.075 francs).
  4. 40 ares ; soit 89 hectolitres à l'hectare.
  5. Docteur M. Fesca, Beiträge zur Kenntnis der Japanesischen Landwirtschaft, 2e partie, p. 33 (Berlin 1893). L’économie de semence est également considérable. Tandis qu’en Italie on sème 250 kil. à l’hectare, et 160 kil. dans la Caroline du Sud, les Japonais n’emploient que 60 kil. pour la même surface. (Semler, Tropische Agricultur, Bd. III, pp. 20-28).
  6. Eugène Simon, La Cité chinoise ; Toubeau, La répartition métrique des impôts, 2 volumes, Paris (Guillaumin), 1880.
  7. Des expériences dans cette direction furent faites dernièrement en Russie par M. Demtchinsky. À mon regret, je n'en connais pas les résultats.
  8. D'après l’Agricultural Statistics de 1910, la surface occupée par les « petits fruits » (fraises, serres chaudes, etc.), en Grande-Bretagne était en 1909 de 35.250 hectares ; 6.000 hectares étaient pris par les carottes et les oignons.
  9. The Gardener's Chronicle, 20 avril 1895, p. 483.
  10. Cf. W. Bear, British Farmer and his Competitors, p. 151.
  11. Je suis redevable des chiffres et des renseignements qui suivent à M. V. Euvert, Président de la Chambre de Commerce de Saint-Étienne, qui m'envoya, alors que j'étais à la prison de Clairvaux, en avril 1885, une excellente esquisse des différentes industries de la région, en réponse à une lettre que je lui avais adressée. Je profite de l'occasion pour exprimer à M. Euvert mes meilleurs remerciements pour son amabilité.
  12. 7.558.000 kil. en 1881, contre 5.134.000 kil. en 1872. Journal de la Société de Statistique de Paris, septembre 1883.
  13. J'emprunte ces chiffres à une lettre très détaillée que le Président de la Chambre de Commerce de Lyon voulut bien m'adresser en avril 1885, à Clairvaux, en réponse à mes questions sur ce sujet. Je profite de cette occasion pour lui renouveler mes remerciements pour son intéressante communication.
  14. La fabrique lyonnaise de soieries, son passé, son présent. Imprimé par ordre de la Chambre de Commerce de Lyon, 1873. (Publié à l'occasion de l'Exposition de Vienne).