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Chansons de la roulotte/Le Paris des princes

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LE PARIS DES PRINCES















LE PARIS
DES PRINCES
Récit d’un royal visiteur à sa Cour éblouie [1]
Air : L’Enterrement.

À Mme Dariel Gentil


I

Hélas ! me voici de retour !
Ah ! Paris est un gai séjour !…
Du moins pour le prince étranger
Qui daigne s’y faire héberger.
Tandis qu’le visiteur banal
Ne voit presque rien, s’amus’ mal,
N’ayant pas le Gouvernement
Pour diriger son amus’ment,

Moi, je n’ratais pas un égout,
Trou la laïtou, trou la laïtou !
Un arsenal, une prison,
Et zon ! zon ! zon !
Et, dans mon prestige soudé,
Gai gai gai, lariradondé !
J’couchais en habit d’gala,
Larifla fla fla !

II

Tandis qu’le visiteur banal
N’a jamais un mot dans l’journal,
Moi, toujours la Presse annonçait
Dans quel sens on me déplaçait ;
Si bien que je ne sortais pas
Sans voir accourir sur mes pas
Un peuple en délir’ qui, souvent,
S’écriait en m’apercevant :

« C’est lui ! Tiens ! le v’là ce roi d’mon
Trou la laïtou, trou la laïtou !
I’va ch’Emilienn’ d’Alençon !
Et zon ! zon ! zon !
Pour sûr, i’ s’est pas ar’gardé.
Gai gai gai, lariradondé !
Pig’-moi donc c’te gueul’ qu’il a !
Larifla fla fia !

III

Mes guid’s m’ont sauvé du péril
De ce monde vain, puéril,
Où, sous couleur d’aménité,
On dîne sans solennité.
Au dessert, ce monde bavard
Parl’ de littérature et d’art.
Vous entendez à tout moment
Des mots d’esprit ; c’est assommant !

Mais moi, j’ai dîné chez Barthou,
Trou la laïtou, trou la laïtou !
À côté de monsieur Brisson,
Et zon ! zon ! zon !
Tous les deux on s’est déridé ;
Gai gai gai, lariradondé !
N’s avons causé du Concordat.
Larifla fla fla !

IV

Après, pour me montrer combien
Les femmes de Paris sont bien,
Sur les deux heur’s on m’a conduit
Dans un joyeux cabaret d’nuit.

Deux dames, au bout d’un moment,
S’assir’nt sur moi… C’était charmant !
Les Parisienn’s ont des appâts
Que, vraiment, nos femmes n’ont pas !

La plus âgée buvait comme un
Trou la laïtou, trou la laïtou !
— L’autre avait bercé Mac-Mahon,
Et zon ! zon ! zon !
Car j’avais soigneus’ment gardé
Gai gai gai, lariradondé !
Les plus chic qui s’trouvaient là.
Larifla fla fla !

V

Enfin, on m’mène à l’Opéra ;
J’entends… danser Mauri, Subra ;
Puis j’me rends, conduit par mon flair,
Dans les couliss’s prendre un peu l’air.
Là, quand un pauvr’ particulier
Pince un mollet hospitalier,
Ceux qui voient ça trouv’nt distingué
D’être discrets ; mais c’est pas gai.

Moi, tout l’monde a dit qu’étant soûl,
Trou la laïtou, trou la laïtou,
J’m’étais conduit comme un cochon.
Et zon ! zon ! zon !
Tout’ la press’ m’a vilipendé.
Gai gai gai, lariradondé !
Sûr’ment ma femme en mourra.
Larifla fla fla !


  1. Il serait, je crois, superflu de vous dissimuler que le royal visiteur dont il s’agit pourrait bien être S. M. Léopold II, roi des Belges, et que le mollet auquel il est fait allusion au 5e couplet fut attribué par la médisance internationale à Mlle Cléo de Mérode, de notre Académie Nationale de Musique (et de Danse).
    Si je n’ai pas chanté les suites de la rencontre, c’est que cette aventure, sur laquelle tout Paris se trouva à même de donner les plus croustillants détails, eut ceci de parfaitement conforme à la règle qu’elle n’était pas arrivée.
    Elle fut déduite de toutes pièces — mais avec juste raison, il faut le reconnaître, — de l’hommage publiquement rendu par le monarque à la grâce du sujet, tout acte de galanterie, voire même de simple courtoisie envers les femmes, constituant, par l’aristocratie qui court, une manifestation tellement anormale qu’elle autorise toutes les suspicions. Il y eut même, en quelque sorte, provocation, de la part d’un personnage aussi averti, à se permettre, au nez de notre haute Société parisienne — dont le raffinement a fait tant de progrès depuis l’invention du moteur à gaz, — de telles manières, qui devaient tout naturellement nous faire l’effet d’une importation du Congo. J. F.