Chansons du Chat noir/Préface

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Mac-Nab ()
Henri Heugel (p. 7-10).


MAURICE MAC-NAB


Né à Vierzon le 4 janvier 1856, Mac-Nab est mort à l’âge de trente-deux ans.


C’était un poète masculin singulier. On l’a défini aussi : un binocle dans de la barbe, et enfin : un gentilhomme écossais qui a une figure en bois, une voix en bois et qui se moque du clan dira-t-on.

Mac-Nab n’avait que trois gestes, de même qu’il n’avait que trois notes dans la voix ; mais quels gestes ! mais quelles notes ! l’effet était irrésistible, sans qu’il se déridât lui-même. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche pour réciter ses vers, il avait l’air de prononcer une oraison funèbre.



Mac-Nab a fait ses premières armes aux réunions des Hydropathes qui prirent plus tard le nom d’Hirsutes. C’est là qu’il débita pour la première fois sa fameuse ballade des Poêles mobiles qui est bien le plus beau monument d’incohérence ahurissante qu’on ait jamais entendu.

Qu’on se figure une façon de poème dithyrambique pur, soigné, littéraire, classique, sur les frimas, le printemps, les pervenches, le souffle printanier, la pâle froidure, les Parisiennes, le gazon vert, les lèvres roses et l’amour, aux quatre coins duquel revient, avec la persistance d’un refrain de ballade, cet avis qui vous tombe lourdement sur la tête comme une tuile glissée d’un toit :


Le Poêle mobile se distingue de tous les autres en ce que, muni de roues, il peut se déplacer comme un meuble, etc.


Qu’est-ce que cela veut dire ? Mystère !

D’où cela sort-il ? Sphinx et rébus. Pourquoi est-ce drôle ? On n’a jamais pu le savoir, on ne le saura jamais. Pourtant personne n’a entendu cette fantaisie sans rire aux larmes.

Quand les Hirsutes eurent cessé de se réunir, Mac-Nab se dirigea sur Montmartre, cette butte sacrée qui est, comme chacun sait, le paratonnerre des idées bourgeoises.

Mac-Nab fut la pointe du paratonnerre dont la tige est le Chat-Noir.

Quelquefois au cœur des tumultueuses soirées de l’institut du Chat-Noir, Mac-Nab, long, maigre, étriqué, porteur du faciès tragique de ceux-là qui ont reçu du ciel la haute mission de venir jeter un peu de joie en ce siècle d’habits noirs et de chapeaux funèbres, Mac-Nab prenait place devant le piano et, avec ce zézaiement qui n’était pas un des moindres charmes de son talent déclamatoire, il annonçait solennellement :

« L’Expulsion ! »

Aussitôt une clameur d’enthousiasme emplissait la salle, cassait les vitres, couvrait le brouhaha des échanges de bocks et l’organe tonitruant de Salis.

Mac-Nab possédait la voix la plus rauque et la plus fausse qu’il soit possible d’imaginer ; on croyait entendre un phoque enrhumé. Mais cela l’inquiétait peu. Il chantait tout de même, sans se préoccuper des gestes désespérés d’Albert Tinchant, son accompagnateur ordinaire.

Ainsi chantée, l’Expulsion était une véritable source de joie.

Il en était de même de la complainte du Bienheureux Labre.



Mac-Nab a publié chez le bibliopole Léon Vanier un très joli et très coquet volume pour lequel Coquelin cadet a écrit six pages de préface, et qui porte ce titre étrange : Poèmes mobiles.

Les trouvailles et les fantaisies y pullulent, et l’on n’y compte pas moins de trente-sept pièces, presque toutes heureuses, réussies, débordantes de la gaieté et de l’originalité les plus pures, lesquelles sont fort spirituellement illustrées par l’auteur.



Parlons un peu du caractère de Mac-Nab.

C’était un rêveur, très distrait, qui joignait à l’horreur des mathématiques une grande affection pour les animaux. Il recueillait les chiens errants qui le comblaient d’ingratitude.

Très observateur, il découvrait un côté gai aux choses les plus banales de la vie.

Enfin, c’était une physionomie et une personnalité très originales, à qui la postérité sera reconnaissante d’avoir cultivé le rire.

Nous ne pouvons mieux terminer qu’en citant l’axiome déjà célèbre formulé par Coquelin Cadet dans la préface des Poèmes mobiles : « Les hommes bons seuls sont joyeux ; les méchants ne rient pas, c’est leur punition ! »


Extrait des « Hommes d’Aujourd’hui. »