Chansons populaires de la Basse-Bretagne/Le meunier, le sergent et le tailleur

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LE MEUNIER, LE SERGENT ET LE
TAILLEUR
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   Je voudrais être instruit
Sur une matière et un secret
De trois conditions au monde,
Que l’on blâme de toute façon.

   Premièrement, le meunier est blâmé
Au sujet de la farine et du blé ;
Secondement, le sergent, avec sa plume,
Met de l’encre sur du papier blanc,

   Et il va à la campagne et en ville,
Faire la chasse à Pipi-Gouer[1]
Et en troisième lieu, le tailleur
(Est blâmé) au sujet du fil et du drap.

   Entre sa chemise et son ventre,
Il emporte une pièce d’étoffe.
Que fait le Meunier,
Quand il commence son métier ?



   Il se fait garçon du cheval (du moulin), s’il n’a personne
Pour l’instruire et le conseiller,
Pour porter la farine, prendre le blé,
Et apprendre à boire du vin et à embrasser les femmes.

   — Et le Sergent, avec sa plume,
Quand il commence, fait-il autrement ?
— Oh ! à présent, vous parlez de l’homme
Qui ne respecte ni bassin, ni pot,

   Cheval, ni jument, pourceau, ni truie,
Pourpoint, ni chemise d’homme ou de femme,
Hoyau ni pelle, ni écuelle,
Ni cuillère ni couteau ;

   Le blé au champ, et les navets,
Le fumier, les fagots et le lin,
Et enfin, en général,
Tout ce qui est sous le firmament (lui est bon.)

   S’il a pouvoir d’un autre,
Tout ira avec lui (il emportera tout), bon et mauvais ;
Tout ira avec lui, il ne restera rien,
Et il dit (encore) et cœtera.

   — Et le tailleur, quand il commence,
Fait-il bien son métier ?
— Pour voler, il ne le peut guère,
Car l’on est toujours près de lui :

   On mesure les matières,
Il n’emporte que les lisières,
Et peu, de chaque couleur,
Parfois trois, parfois deux.

   — Et le meunier, quand il commence,
Fait-il bien (honnêtement) son métier,
Après avoir moulu un sac (de grain)?

   — Quand il entrera (au moulin), tout d’abord,
Il sera saint comme un saint,
Il fera vite, et de la farine menue (fine),
Et il plaira fort aux gens (aux pratiques).

   Et celui-ci, d’ailleurs,
Si l’on vient à se plaindre et à le blâmer,
Avec neuf ou dix serments,
Il contentera tout le monde,



   Et promettra à Pierre le paysan
Qu’il sera dédommagé avec le temps.
— Et y aura-t-il du changement,
Après tant de serments ?

   — Oui, pendant quinze jours,
On fera mieux, d’abord ;
Mais, quand il sentira que le bruit sera éteint
De lui (qui courait sur lui) parmi le monde,

   Il tournera un peu son évêque[2]
Et augmentera un peu son prélèvement,
Et donnera un peu de suif à son ventilateur,
Pour faire de la grosse farine à la nourrice.

   — Et quelle est la chanson que l’on chante,
Quand ces trois sortes de gens meurent ?
— Ecoutez, je vais la chanter ;
Voici le premier psaume (couplet ?)

   « Il est mort, le Sergent ; bénie soit l’heure.
« Le Meunier et le Tailleur sont partis, à sa suite ! »
— Et où sont-ils allés, tous les trois,
Qu’on ne les voit plus au cabaret ?

   — Le lendemain de leur mort,
On les vit tous les trois qui couraient, tout nus.
— Et qu’est-ce qui les effrayait si bien,
Qu’on les vit courir ainsi tout nus ?

   — Lucifer, le prince des mauvais anges,
Etait ainsi impitoyable pour eux ;
Je ne sais comment ils ne trouvèrent personne
Pour les aider ou les conseiller.

   Lève-toi, Sergent, lève-toi de là,
Personne ne veut payer tes dettes ;
Le monde est rempli de voleurs,
Dans les bois et les chemins creux.

   Et toi, Meunier, viens à sa suite
Moudre le froment et l’avoine ;
Aujourd’hui, il en est un au moulin,
Qui est un fripon et un coquin ;

   Il est ivre, sept jours la semaine,
Depuis le samedi jusqu’au (second) lundi ;
Si, autrefois, tu prélevais ton droit, (largement)
Celui-ci en prend deux fois autant.



   Et toi, Tailleur, qui es plus bas,
Lève-toi de là, promptement,
Mes habits, (aux basques ?)
Sont réduits tout en lambeaux,

   Les gens pourraient faire pis
Que de courir, tout nus.
Lève-toi de là, retourne chez toi,
Elle est ouverte, la porte du cabaret !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

   — Je suis Sergent, je ne faillirai pas
Sur ses vaches et sur ses chevaux,
S’il a des bêtes, dans son étable,
De trois, j’en aurai deux,

   Et de seize, j’en aurai neuf ;
S’il lui en reste sept, ce sera joli.
— Et moi, dit le Meunier,
Je lui ferai perdre du temps ;

   Je le ferai venir au moulin,
Le soir et le matin,
Et je l’y tiendrai jusqu’à la nuit,
Prélevant (sur son sac) bonne mesure et moulant gros.

   — Et moi, dit le Tailleur,
Quand j’irai avec lui choisir du drap,
Au lieu de sept aunes qu’il faudra,
Je lui en ferai acheter dix,

Et j’en aurai deux pour mon compte,
Souvent trois, sans peur ni frayeur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Jean Guyomar, de Duault.
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  1. Pierre le paysan.
  2. C’est ainsi qus les meuniers appellent, je crois, le modérateur du moulin, qui fait tourner plus ou moins rapidement la pierre meulière.