I
Il s’est tu le pauvre chanteur,
Celui qui clamait la victoire
Du peuple et l’héroïque histoire
Du sacrifice expiatoire,
Et l’avenir rénovateur.
Au lit de la désespérance,
Un soir, vaincu par la souffrance,
Il s’est couché. Viens, délivrance !
Il s’est tu, le pauvre chanteur.
II
Donnez pour le pauvre chanteur,
Vous qu’il consolait, vous, les mères,
Menant loin des douleurs amères,
Au palais d’azur des chimères,
L’enfant, votre espoir enchanteur !
Femme, sois douce et sois clémente
Au poète qui se lamente
Loin de l’amour et de l’amante !
Donnez pour le pauvre chanteur !
III
Priez pour le pauvre chanteur,
Ô vous, troupeau des rabat-joies,
Chair à canon, chair qui rougeoies,
Chair à plaisir, rançon des joies,
Vous qu’il vengea de l’insulteur !
Votre douleur, toujours nouvelle,
Faucha si longtemps sa cervelle
Qu’elle gît, stérile javelle !
Priez pour le pauvre chanteur !
IV
Chantez pour le pauvre chanteur !
Et qu’à votre voix, jeunes filles,
Du bagne affreux tombent les grilles !
Que son esprit, sous les charmilles[1],
Revienne au chant libérateur !
Suffit qu’un refrain lui sourie :
L’exilé revoit sa patrie ;
Allez, ô blonde théorie !
Chantez pour le pauvre chanteur !
V
Pitié pour le pauvre chanteur !
Seigneur qui nous dictes nos rimes,
Seigneur de bonté qui n’opprimes
Que les méchants fauteurs de crimes,
Seigneur de l’esprit créateur !
Au chansonnier dans l’indigence,
Verse tes trésors d’indulgence,
Ressuscite l’intelligence !
Pitié pour le pauvre chanteur !
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