Près de la Saône aux bords fleuris,
Pierre Dupont chantait sa vigne ;
Et les bons bourgeois de Paris
Vont célébrant la vigne insigne.
Je songe, en écoutant l’un d’eux :
Sauront-ils jamais, ô ma treille,
Que c’est notre sang à tous deux
Qui rougit leur « dive bouteille » ?
Vigne, dis-leur ce que tu sais !
Dis aux buveurs, de groupe en groupe,
Que chacun s’enivre à ta coupe
Hormis le vigneron français !
II
La vigne n’avait d’ennemis
Jadis que le gel et la grêle.
Aujourd’hui l’ennemi s’est mis
Sous la feuille et l’écorce frêle.
Les microbes sont légion,
Les invisibles sont les pires ;
Et c’est toute une région
Que saccagent tous ces vampires.
Vigne, dis-leur ce que tu sais !
Dis aux buveurs, de groupe en groupe,
Que chacun s’enivre à ta coupe
Hormis le vigneron français !
III
La feuille est rouge sans raisin.
La vigne a l’air d’une lépreuse,
Plus rouge que du sarrasin,
Tant que la grive en est peureuse.
Et voici tous les noirs corbeaux
Du fisc et tous les rats de cave,
Qui se disputent les lambeaux
De ma vigne, sanglante épave.
Vigne, dis-leur ce que tu sais !
Dis aux buveurs de groupe en groupe
Que chacun s’enivre à ta coupe
Hormis le vigneron français !
IV
La rage eut son Pasteur. Le vin
Trouvera-t-il qui le protège ?
Savants, chercherez-vous en vain
Remède au sinistre cortège ?
Par le poison, par un ciron
Songez que notre pays crève !
Songez au pauvre vigneron
Qui ne boit de bon vin qu’en rêve !
Vigne, dis-leur ce que tu sais !
Dis aux buveurs de groupe en groupe
Que chacun s’enivre à ta coupe
Hormis le vigneron français !