Chants de l’Atlantique suivis de Le ciel des Antilles/02/03

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III

LE CHARME DE LA DOMINIQUE


I

L’ÎLE DU DIMANCHE


Île du Lac Bouillant, île des perroquets,
Éden aux fraîches eaux, paradis des lianes,
Tes grands bois parfumés où vivent les iguanes,
Sont le jour, pleins d’oiseaux, la nuit, pleins de criquets.

Le Caraïbe encor, sous de sombres bosquets
Au bord du Pégoua dispose ses cabanes ;
Et les cochons marrons labourent tes savanes
Lorsque des flamboyants saignent les grands bouquets.


Alors les colibris frôlent tes fleurs légères,
Les agoutis s’en vont vers tes trois cents rivières,[1]
Et l’on se croit aux jours du bel âge lointain.

Colomb te décerna le nom de Dominique,
Pour t’avoir découverte un dimanche matin ;
Et ce doux nom te sied, île mélancolique.


II

À L’AURORE


Quand après de longs jours d’orage une aube luit,
Illuminant de splendeurs roses les nuages,
J’admire les manguiers pourpres des paysages,
Alors que rêve encor la lune au fond du puits.

Les hiboux ont gagné les grands arbres, sans bruit.
Les cris frais des gros-becs traversent les feuillages,
Et les bambous lavés par les derniers orages
Ont encor les odeurs sauvages de la nuit.

Par ces vastes matins où des senteurs lointaines
M’arrivent dans le vent et dans l’eau des fontaines,
Miroite le beau golfe ignoré des requins.

L’esprit plein de silence et le cœur plein d’extases,
Je vais voir le soleil ourler de ses topazes
Les pitons de saphir des monts Dominicains.


III

AUX PERROQUETS DE LA DOMINIQUE


Splendides perroquets de l’île la plus belle,
Vous qui reverdissez parfois un arbre mort
Et le rendez soudain plus éclatant encor
Qu’aux jours où l’air chantait sur sa feuille mortelle.

Perroquets des grands bois, lorsque la tourterelle
D’un sourd roucoulement berce le mont qui dort,
La lune au ciel dessine une gondole d’or
Et vous vous blottissez dans l’arbre à large ombelle.

Mais dès le frais matin se raniment vos voix ;
Et vous menez de grands tapages dans les bois,
Autour du balata géant aux graines mûres.

Alors plus éclatant que le cacatoès,
Le Cicérou dominicain, roi des verdures,
Grimpe, sultan de feu, dans un grand aloès.


IV

LE RUCHER EN VILLE



Je n’ai pas un carré de terre et cependant
D’une haute terrasse où vibrent mes abeilles,
— Au mois où ton balcon se couvre de corbeilles, —
Je récolte le miel du trèfle et du chiendent.

Par les jours de chaleur où s’énerve le vent,
Mes beaux essaims s’en vont, alors que tu sommeilles,
Visiter les vergers, les jardins et les treilles
Et piller le nectar des palmiers du couvent.

Lorsque le temps est tiède elles vont aux montagnes
Et portent à la ruche à travers les campagnes,
Le pollen du manguier et du poisdoux marron.

Grâce au père François, j’assiste à ces merveilles,
Et bientôt je pourrai t’envoyer un rayon
Du miel que chez autrui récoltent mes abeilles.


V

L’AJOUPA


Je voudrais loin d’ici, cher compagnon fidèle,
Dormir près des pitons, sous un ajoupa frais,
Dans la mélancolie immense des forêts,
Par le mois de parfums où la lune est si belle.

Pendant toute la nuit vibreraient la crécelle
Des cabris-bois[2] et les violons des criquets.
J’aime le tintement triste des massoquets[3]
Et le roucoulement sourd de la tourterelle.

Viens avec moi. Je sais les détours des sentiers
Où le manicou[4] grimpe aux arbres forestiers.
Nous verrons le grand bois où sont les Diablesses.

Tu sais l’art d’attacher aux poutres le hamac ;
Et pour mieux éloigner tête-chiens et couresses[5],
J’allumerai de grands feux d’herbe au bord du lac.


VI

À L’AMI LOINTAIN


Quand tu seras lassé des veilles de Paris,
Des théâtres, des bars et des amours faciles ;
Dis-toi que ma maison rêve au soleil des îles,
Compagnon d’autrefois que toujours je chéris.

Viens me voir. L’île vaut Longchamp et ses paris.
Le voyage est aisé, les flots seront dociles.
Loin du brouillard d’hiver qui désole les villes,
L’alizé chantera dans les palmiers fleuris.

Qu’il sera doux de vivre ensemble des semaines
D’azur et de clarté sur les hauteurs sereines,
Près des bois traversés de lumineuses eaux.

Tu pourras te plonger dans le bleu des fontaines.
Aux forêts siffleront pour toi tous nos oiseaux ;
Et la mer chaque nuit parlera des Sirènes.


VII

LE CHANT DE L’ÎLE



Je suis belle ; je suis le royaume des palmes.
Des oiseaux merveilleux exaltent mes forêts ;
Et la nuit sur mes monts aux pitons violets,
Des constellations scintillent les feux calmes.

Je suis fraîche ; je suis l’éden aux vertes eaux.
Mille torrents sur moi déroulent leurs cascades
Et les vents alizés, troubadours de mes rades,
De leur souffle embaumé caressent les vaisseaux.

Mes vergers sont remplis des fruits lourds du tropique,
Sur la mer Caraïbe et le vert Atlantique,
Mes frégates s’en vont planer dans l’azur clair.

Je suis un paradis de verdure sur l’onde,
Les grands poissons autour de moi mènent leur ronde.
Comme Vénus, je suis la fille de la mer !


Roseau Dominique,
1923-1924.
  1. L’Île a exactement 365 rivières.
  2. Criquets de la forêt tropicale.
  3. Criquets de la forêt tropicale.
  4. Sarigue antillaise.
  5. Tête-chiens et couresses : couleuvres inoffensives.