Chants et chansons politiques/Les Casses-têtes

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G. Guérin, libraire (p. 39-41).


LES CASSE-TÊTES


Peuple français, peuple de braves,
Sous le sabre courbe le front,
Tes enfants seront des esclaves,
Tu ne comprends pas un affront ;
Malgré ta force et ta vaillance
Pauvre peuple déshérité,

Tu ne sais pas encore en France

Acclimater la liberté.

Bis

Un aigle avait laissé sur terre
Un vautour parmi ses neveux,
Ce carnassier-là sous sa serre
Tient la France par les cheveux.
Et tes députés de la Chambre
Ont reconnu sa majesté ;
Depuis son crime de Décembre
Il soufflète la liberté.

Pour improviser une émeute
On lance argousins et mouchards,
Comme on lancerait une meute,
Sur les passants des boulevards.[1]
Sang et punch sont de la fête
Pour messieurs de l’autorité ;
Et c’est à coups de casse-tête
Qu’ils protègent la liberté.

Partout on tue, on emprisonne :
Bicêtre est plein, Mazas s’emplit,[2]
Dans son frac Piétri frisonne,
Et sous son froc Veuilliot pâlit.[3]
Les ratapoils du chauvinisme
Ont bâillonné la vérité,
Et les geôliers du despotisme
Ont mis sous clé la liberté.

Le savoir est un diadême
Dont s’enorgueillit le savant ;
Pour devenir grand par toi-même
Peuple instruis-toi, marche en avant !
Par tes labeurs tu verras naître
L’ère de la prospérité,
Pouvant alors parler en maître,
Tu garderas la liberté.



  1. On donnait du punch aux agents de police à la Préfecture et dans les mairies. Puis, ils se ruaient sur les promeneurs et les assommaient à coups de casse-tête.
  2. La plupart des Parisiens arrêtés sur le boulevard Montmartre furent enfermés dans ces prisons. (Juin 1869).
  3. Piétri, corse et préfet de police. — Le célèbre critique Sainte-Beuve a dit de M. Louis Veuillot, rédacteur de l’Univers : « On ne réfute pas un écrivain aussi voué, à l’avance, au mépris de l’avenir. »