Chants et chansons politiques/Émile au cabinet

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G. Guérin, libraire (p. 41-43).


ÉMILE AU CABINET


Air : Muse des bois et des plaisirs champêtres.


Sire, autrefois, j’étais de la montagne,
Un des vrais cinq de l’opposition ![1]
Mais aujourd’hui, moderne Charlemagne,
Je viens à vous, mû par l’ambition.
Je suis sans peur et surtout sans reproche.
Je tends la main à monsieur Guilloutet,
J’ai dans le cœur les vertus de Baroche :
Je suis donc bon à mettre au cabinet.

Jeune, j’aimais le vieux Caton d’Utique,
Je me croyais l’étoffe d’un tribun ;
J’ai renié pour vous la République :
Rester Gros-Jean n’a pas le sens commun !
Du ciel, Morny m’inspire et me protège,
Je me suis fait l’ami de Belmontet
Et de messieurs Dugué, David et Mège,
Je suis donc bon à mettre au cabinet.

Paris, un jour, eut foi dans mes paroles,
Il me nomma pour vous admonester ;
J’ai pris sur moi de renverser les rôles
Sans m’abaisser même à le consulter.
Je suis plus fort que monsieur La Roquette ;[2]
Accordez-moi sa place s’il vous plaît !
À temps pour ça j’ai fait la girouette,
Je suis donc bon à mettre au cabinet.

Je ne suis plus le fils de Démosthènes,[3]
Car mon vieux père est un républicain,
Il était né pour vivre dans Athènes,
Moi, je suis né pour faire le Pasquin,

Et dans vos eaux je nage en écrevisse !
Pour arriver, qui donc aurait mieux fait ?
J’étais tribun et me voilà Jocrisse !
Je suis donc bon à mettre au cabinet.

Alors Émile étala son programme :
L’empire fort avec la liberté.
Puis il jura sur son cœur, sur son âme,
Sur son portier, ample fidélité.
— L’Empereur dit : soit ! mais soyez sincère,
Vous avez l’âme et l’habit d’un valet.
Formons ensemble un nouveau ministère ;
Vous êtes bon à mettre au cabinet.[4]



  1. Les cinq étaient : Jules Favre, Hénon, Ernest Picard, Émile Ollivier et Alfred Darimon.
  2. M. Jean-Louis-Victor-Adolphe Forcade Laroquette, frère utérin du maréchal de Saint-Arnaud, était alors ministre de l’intérieur. (Décembre 1869.)
  3. Démosthènes Ollivier était représentant du peuple en 1848. Il appartenait à la gauche. — Aristide Ollivier, frère d’Émile, fut tué en duel par un légitimiste, à Montpellier, à la suite d’une altercation politique. Il était républicain.
  4. Le Cabinet Ollivier fut constitué le 2 janvier 1870. Il se composait de MM. Émile Ollivier, Napoléon Daru, de Parieu, de Talhouët, Chevandier de Valdrôme, Ségris, Buffet, Louvet, Lebœuf, Rigault de Genouilly et Maurice Richard aux Beaux-Arts.