Chants et chansons politiques/Martin-Bidauré

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G. Guérin, libraire (p. 10-12).


MARTIN - BIDAURÉ

COMPLAINTE[1]



Air : de Fualdès.

Écoutez peuples de France
Ainsi que les habitants
Des pays environnants,
Comment dedans la Provence,
L’honorable Pastoureau
De préfet devint bourreau.

Pour fonder l’second empire
Dans l’département du Var,
Monsieur Pastoureau-z-eut l’art
De s’conduir’ comme un vampire,
En tuant les habitants
Qu’il appelait des brigands.

Sur le bord de la lisière
Des confins d’une forêt,
Cet astucieux préfet
Tendit une souricière :
Qu’est-ce qui s’y est fourré ?
C’est Martin-dit-Bidauré.

Martin était honnête homme
À Barjols il habitait,
Aussi Monsieur le préfet
L’envoya fusiller comme,
On fusille un insurgé,
Avec un fusil chargé.

Mais Dieu protégeait son âme :
Le Martin’ne passa pas
Alors de vie à trépas,
Mais il était dans l’programme
Que ce pauvre malheureux
Malgré lui mont’rait aux cieux.


Martin veut revoir son chaume :
Il se relèv’ tout sanglant,
Et s’en va clopin-clopant
Au beau château de la Beaume ;
Mais le fermier du château,
Le relivre à Pastoureau,

Ce protecteur d’ la famille
Voyant cet homme meurtri,
Dit : de quoi est-il pétri ?
Vite, qu’on le refusille !
— Cassagnac est spadassin,[2]
Mais c’préfet est assassin.

Pour ce fait si plein de gloire,
On donna d’l’avancement[3]
À ce Pastoureau charmant,
Il règne dans l’Indre-et-Loire…
Moins généreux que l’destin
Cet homm’-là f’ra son chemin.

  1. Nous donnons cette complainte, uniquement à cause de la popularité qu’elle obtint, lorsqu’elle courut manuscrite à Paris.
    (Note de l’Éditeur).
  2. M. Paul de Cassagnac, faisait, sous Napoléon III, un argument de sa force à l’épée pour défendre l’empire.
  3. Du Var, M. Pastoureau fut nommé préfet, dans l’Indre-et-Loire. Et lorsqu’il fut révoqué en février 1870, le quatrain suivant parut dans plusieurs journaux.
    Du préfet quittant l’uniforme,
    Dont il fut si longtemps paré,
    Pastoureau, pense-t-il, sous l’orme,
    Ne plus rêver habit doré.