Écoutez tous, écoutez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz nouvellement composé
Au sujet du vieux Le Gardien et de ses filles.
Le vieux Le Gardien disait,
En coupant du pain à ses enfants :
— Mes filles, si vous m’obéissez,
Vous n’irez pas à l’aire-neuve,
Car là sera le seigneur de Mezobran,[1]
Et Mezomeur et Mezomorvan,
Et aussi le seigneur de Runangoff,
Le plus grand coureur de filles du pays.
— S’en fâche qui voudra,
Pour moi, j’irai à l’aire-neuve.
Et s’il y a des sonneurs, je danserai,
Et s’il n’y en a pas, je chanterai !
Le seigneur de Mezomeur demandait
À son petit page, ce jour-là :
— Mon petit page, dites-moi
Qui sont ces jolies filles qui viennent d’arriver ?
— Ce sont les filles de Le Gardien,
Qui ont approché aujourd’hui de la table de Dieu.
— Si elles avaient approché de la table de Dieu,
Elles n’auraient pas dû venir à l’aire-Neuve ;
Elles devraient être à faire le tour des chapelles,
Et à réciter leurs prières.
Mon petit page, dites-moi,
Quels noms ont ces jeunes filles ?
— La fille ainée s’appelle Anne,
Et la plus jeune, Marianne.
— Viens avec moi, et viens sur-le-champ,
Que j’aille les demander pour la danse.
— Mon pauvre maître, si vous m’aimez,
Vous respecterez ma sœur de lait ;
Respectez ma sœur de lait,
Et je resterai un an à votre service.
— Montre-moi ta sœur de lait,
Et si elle n’est pas jolie, je la respecterai.
— (Voici) ma sœur de lait Anne Le Gardien,
La plus belle jeune fille qui soit dans ce lieu !
— Bonjour à vous, Marianne Le Gardien,
Combien vous a coûté l’aune ;
Combien vous a coûté l’aune
De votre robe de camelot blanc ?
— Monseigneur De Mezomeur, excusez-moi,
Je ne sais pas combien elle a coûté ;
Je ne sais pas combien elle a coûté,
Vous l’entendrez de ma sœur Anne.
— Dites-Moi, Anne Le Gardien,
Combien vous a coûté l’aune ;
Combien vous a coûté l’aune
De votre robe de camelot bleu ?
— Ce n’est pas votre affaire, monseigneur,
Votre bourse était fermée quand elle fut payée ;
Votre bourse était fermée quand elle fut payée
Et celle de mon père était ouverte ;
Et celle de mon père était ouverte,
Peut-être pensez-vous que je l’ai volée ?
— Avant que tu sortes de cette aire,
Je t’aurai payée de cette parole-là ![2]
Marianne Le Gardien disait
Au seigneur de Mezomeur, là, en ce moment :
— Monseigneur de Mezomeur, si vous m’en croyez,
Ne vous fâchez pas contre ma sœur Anne,
Car entre sa robe et son jupon,
Celle-là porte un bâton à deux bouts ;
Celle-là porte un bâton à deux bouts,
Capable, monseigneur, de vous casser la tête.
Mais il avait un sifflet d’argent,
Et il en siffla trois fois ;
Il en a sifflé trois fois,
Et dix-sept gentilshommes sont arrivés.
Cruel eût été le cœur de celui qui n’eût pleuré,
Dans l’aire-neuve s’il eût été,
En voyant l’aire-neuve rougir
Par le sang des gentilshommes qui coulait ;
Par le sang des gentilshommes qui coulait,
Et Anne Le Gardien qui les tuait ;
Elle en tuait sept d’un coup de bâton.
Et défendait encore sa sœur sous son aisselle !
Anne Le Gardien disait
En arrivant au seuil de la porte de son père :
— Mon pauvre père, ouvrez votre porte,
À votre fille, qui est mouillée comme la mer.
— Qu’as tu donc fait de nouveau,
Pour avoir tes vêtements en désordre de cette façon ?
— J’ai fait du nouveau assez,
J’ai tué dix-huit gentilshommes ;
J’ai tué le seigneur de Mezobran,
Et Mezomeur et Mezomorvan ;
J’ai tué le seigneur de Runangoff,
le plus grand coureur de filles du pays.
— Si tu as tué tous ces gens-là,
Toi, tu mourras aussi dans trois jours.
— Oh ! Je ne mourrai pas même dans trois mois,
Car j’irai jusqu’à Paris.
Anne Le Gardien disait,
En arrivant dans la ville de Guingamp :
— Où est la prison dans cette ville,
Afin qu’Anne Le Gardien aille dedans ?
— Anne, vous n’irez pas dans la prison.
Demain, à dix heures, vous serez pendue !
— Oh ! Je vais au palais du roi,
Pour demander sûreté pour ma vie.
Anne Le Gardien disait,
En arrivant dans le palais du roi :
— Bonjour à vous, roi et reine,
Je suis venue bien jeune à votre palais[3]
— Quel crime avez-vous donc commis,
Pour être venue si tôt nous voir ?
— J’ai commis un crime assez grand,
J’ai tué dix-huit gentilshommes ;
J’ai tué dix-huit gentilshommes,
En cherchant à défendre contr’eux ma virginité.
— Anne Le Gardien, dites-moi,
De quelles armes jouez-vous ?
— Ils avaient chacun une épée nue,
Et moi, je n’avais qu’un penn-baz ;
Moi je n’avais qu’un gourdin de coudrier.
Garni de fer au milieu et aux deux bouts ;
Garni de fer au milieu et aux deux bouts,
Capable, sire, de vous casser la tête.
— Pour moi, je ne jugerai pas les femmes,
Jugez-la, Madame, si vous le voulez.
— Si je la juge, et je le ferai,
Je ne le condamnerai pas à mort :
Je lui écrirai sur du papier bleu
(Qu’elle peut) se défendre hardiment avec son penn-baz ;
Je lui écrirai sur du papier blanc
(Qu’elle peut) se défendre hardiment en tout lieu ;
Je lui écrirai sur du papier rouge
(Qu’elle peut) marcher hardiment de tout côté (partout).
Anne Le Gardien disait,
De retour dans la ville de Guingamp :
— Ma malédiction sur vous, meurtriers de puces,
Vous (qui) m’aviez condamnée à la corde !
de la paroisse de Duault.
- ↑ Le manoir de Mezobran est en la commune de Minihi-Tréguier, celui de Mézomeur, en Penvénan, et celui de Runangoff, en Pédernec.
- ↑ Variante :
Quand Anne Le Gardien entendit (cela),
Elle courut à son frère nourricier :
— Dites-moi, mon frère nourricier,
M’aideriez-vous si j’avais affaire ?
— Si c’est contre mon maître que vous avez affaire,
Je ne vous aiderai point, ma sœur nourricière ;
Si c’était contre quelqu’autre,
Ma sœur nourricière, je vous aiderais.
Dès qu’Anne Le Gardien entendit (cela)
Elle saisit un « penn-baz » ;
Elle saisit un « penn-baz »,
Et cassa le bras à son frère nourricier.
Puis, elle tua le seigneur le comte,
Et aussi le seigneur le vicomte ;
Elle tua le seigneur de Mézobre [Les Aubrays],
Et aussi le seigneur de Mésonévé.
Elle tua le seigneur de Penanger,
Aussi bien que son palefrenier ;
Elle tua le seigneur de Mésobran,
Aussi bien que le seigneur de Mésomorvan. - ↑ Dans une autre version, il y a « le roi Louis. »