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Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Clerc de Laoudour

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LE CLERC DE LAOUDOUR
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I

  Le clerc de Laoudour disait
À sa pauvre petite mère, un jour :
— Faites-moi, ma mère, de la soupe au lait,
Afin que j’aille à l’aire-neuve, avec ma maitresse.

II

  Le clerc de Laoudour disait
En arrivant à Kermarzin :
— Bonjour et joie dans cette maison,
Ma douce héritière où est-elle ?

  — Elle est là-bas, au bas de la maison,
Clerc de Laoudour, allez auprès d’elle ;
Clerc de Laoudour, allez auprès d’elle,
Et, au nom de Dieu, consolez-là.

  — Bonjour à vous, ma douce héritière,
Votre petit cœur est-il bien aise ?
— Mon petit cœur est gai ;
Et le vôtre, mon serviteur ?

  Prenez un siège et asseyez-vous,
Venez près du feu, et vous vous chaufferez.
— Je ne m’assiérai, ni ne me chaufferai,
Je veux aller à l’aire-neuve.

  — Quant à l’aire-neuve, je n’y irai pas,
Car on ne me laissera pas y aller ;
Le chevalier de Lampaul est à l’aire-neuve,
Qui dit avoir aujourd’hui votre vie.

  Sitôt que le clerc de Laoudour entendit (cela).
Il dégaina son épée nue :
— Est-il possible qu’il y ait quelqu’un dans cette maison
Qui nous empêche d’aller à l’aire-neuve ?

  Sa mère et son père, quand ils entendirent,
Dirent à leur fille l’héritière :
— Ma fille, ôtez votre jupon rouge,
Et mettez votre jupon violet ;


  Et mettez votre jupon violet,
Et prenez la main du clerc,
Afin que tous les gens du pays disent :
— Voilà le clerc de Laoudour qui marche à la mort !

III

  Le chevalier de Lampaul disait
En arrivant à l’aire-neuve, ce jour-là :
— Je vois le clerc de Laoudour qui vient à l’aire-neuve,
Avec l’héritière de Kermarzin, à son côté ;

  À son côté est l’héritière de Kermarzin,
Qui couchera cette nuit avec moi !
Le clerc de Laoudour disait,
En arrivant à l’aire-neuve :

  — Où sont les sonneurs,
Afin qu’ils me sonnent une aubade ;
Afin qu’ils sonnent une contredanse ou un bal.
Pour que j’aille danser avec ma petite douce ?

  Le chevalier de Lampaul répondit
Au clerc de Laoudour, quand il l’entendit :
~ Vous n’irez pas danser.
Vous viendrez jouter contre moi ;

  Et le premier de nous qui perdra,
Jamais en vie il ne se relèvera !
Le clerc de Laoudour répondit
Au chevalier de Lampaul, quand il l’entendit :

  — Puisque vous m’avez demandé (défié),
Vous n’êtes pas pour être refusé ;
Vous n’êtes pas pour être refusé…
Héritière tirez-moi ma manche (de veste).

  Quand le chevalier de Lampaul entendit (cela),
Il souffla dans un sifflet d’argent ;
Il souffla dans un sifflet d’argent,
Et dix-huit gentilhommes se trouvèrent là ;

  Dix-huit épées nues dégainées,
Celle du chevalier de Lampaul la dix-neuvième ;
Celle du chevalier de Lampaul la dix-neuvième,
Pour combattre contre le clerc.

  L’héritière de Kermarzin pleurait,
Et ne trouvait personne pour la consoler ;
Elle ne trouvait personne pour la consoler.
Si ce n’est son doux clerc, celui-là le faisait :

— Consolez-vous, héritière, ne pleurez pas,
Car vous n’aurez pas de mal,
Ni davantage votre doux clerc :
Petite héritière, ne pleures pas.

Le clerc de Laoudour est un bon gars
Pour conduire sa douce à la danse !
…………………………………………………

Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il tua le chevalier de Lampaul !
Quo’il tua le chevalier de Lampaul
Avec dix-sept de ses consorts !

IV

Le clerc de Laoudour disait,
En arrivant à Kermarzin :
— Voici votre fille, bien portante et sans reproche,
Comme quand sa mère la mit au monde.

Je vais, à présent, faire un voyage
Vers le palais du roi ;
Vers le palais du roi,
Pour demander sûreté pour ma vie.

V

Le clerc de Laoudour disait,
En arrivant dans le palais du roi :
Bonjour, roi et reine,
Je suis venu jeune à votre palais.

— Quel crime as-tu donc commis,
Pour venir, si jeune, nous voir ?
— J’ai tué le chevalier de Lampaul,
Avec dix-sept de ses consorts ;

Avec dix-sept de ses consorts,
En protégeant l’honneur de ma femme.
Elle n’est pas encore ma femme,
Mais elle est sur le point de le devenir.

— Il est bien vrai que tu l’as tué,
Car il m’est arrivé une lettre contre toi,
Et avant de quitter ce lieu,
Tu perdras la vie sur la place !…


  Clerc de Laoudour, dites-moi,
Voudriez-vous jouter contre mes soldats ?
— Faites-les venir ici dans la cour,
Quand ils seraient cinquante, je ne m’en soucie !

  Cruel eût été le cœur de celui qui n’eût pleuré,
S’il eût été dans la cour du roi,
En voyant la cour rougir
Par le sang des soldats, qui coulait.

  Le roi de France disait
À son petit page, ce jour-là :
— Écrivez à cet homme sur du papier bleu
(Qu’il peut) voyager hardiment comme un homme ;

  Écrivez-lui sur du papier blanc
(Qu’il peut voyager) hardiment en tout lieu ;
(Qu’il peut voyager) hardiment en tout lieu.
Jusqu’à ce que le roi vienne à l’appeler ![1]


Chanté par Garandel,
Plouaret, — 1844.








  1. Il a été souvent question « d’aires-neuves » dans ce recueil, et je ne crois pas avoir encore expliqué ce que c’est qu’une aire-neuve.

    Avant la moisson, en juin ordinairement, on défonçait le sol de l’aire, dans les fermes, puis on le nivelait, on l’arrosait à grande eau, et, pour tasser la terre et la rendre compacte, on la faisait piétiner par les bœufs et les chevaux. Enfin, la journée se terminait par des luttes et des danses, toujours sur le sol humide de l’aire neuve. Une aire neuve était un jour de fête dans tout le quartier où elle avait lieu, on l’annonçait, le dimanche précédent, dans les communes voisines, et l’on y venait de tous côtés, comme à un pardon. L’usage des aires neuves a aujourd’hui presqu’entièrement disparu par l’introduction des machines à battre.