Chants populaires de la Basse-Bretagne/Iannik le bon-garçon

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IANNIK LE BON-GARÇON.
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I

  Marchands de Paris, marchands de Rouen,
Quand vous irez à Carhaix, à la foire de la Toussaint,
N’allez pas loger dans la grande maison de Rohan. (1)[1]

  Iannik le Bon-Garçon n’a pas suivi ce conseil,
A la grande maison de Rohan il est allé loger.

  — Dites-moi, hôtesse, serai-je logé,
Et (trouverai-je) une belle écurie pour mettre mes chevaux ? —

  — Descendez, marchand, descendez et entrez dans la maison,
  Et mettez vos chevaux à l’écurie ;

  Mettez vos chevaux à l’écurie,
Mon premier valet va les abreuver.

  Approchez, marchand, approchez du feu,
Pour prendre une goutte, en attendant votre souper.

  Vous aurez à souper des poissons d’eau douce,
Quand mon mari sera revenu de la foire de la Toussaint,

  Petite servante Marguerite, dépêchez-vous vite
D’allumer la chandelle et de souffler le feu ;

  D’allumer la chandelle et de souffler le feu,
Et d’aller faire le lit du petit marchand. —

II

  Quand entra le marchand, quand il entra dans sa chambre,
Il tirait des sons clairs de son fifre d’argent ;

  Il tirait des sons clairs de son fifre d’argent,
Et réjouissait le cœur de la jeune fille.

  Quand la servante Marguerite alla faire le lit,
Iannik le Bon-Garçon badinait avec elle ;

  Iannik le Bon-Garçon badinait avec elle,
La servante Marguerite soupirait en le regardant.


  — Petite servante Marguerite, dites-moi,
Quand vous me regardez, pourquoi soupirez-vous ? —

  — Monsieur le marchand, dites-moi,
Avez-vous fait promesse à quelque jeune fille ? —

  — Petite servante Marguerite, je ne vous tromperai pas,
Il y a aujourd’hui trois semaines que c’était le jour de ma noce. —

  — Que Dieu vous console, vous et votre femme,
Car vous êtes ici dans le lieu où vous serez tué ! (1)[2]

  Regardez sous votre lit, vous verrez une épée nue,
Depuis qu’elle a tué trois autres, elle n’a pas encore été lavée ;

  Il y a là trois corps morts qui attendent l’occasion (pour être enlevés),
Vous Iannik le Bon-Garçon, vous serez le quatrième. —

  — Quand ma haquenée et ma selle dorée,
Et ma valise pleine d’argent seraient perdues,

  Et moi (si j’étais) dans la ville de Rouen auprès de mon épouse Marie,
Petite servante Marguerite, je n’en aurais nul souci.

  Petite servante Marguerite, sauve-moi la vie,
Tu auras, petite Marguerite, le choix de mes frères ;

  Tu auras, petite Marguerite, le choix de mes frères,
Garçons des mieux bâtis, et marchands comme moi —

  Et quand sonna l’heure, l’heure de minuit,
La servante Marguerite ne pouvait plus reposer :

  — Petit marchand, lève-toi de là,
Si tu veux sauver ta vie ! —

  Et ils se sont échappés par la porte du jardin ;
Le beau-frère de l’hôtesse les a entendus.

III

  Et quand le coq chanta, au point du jour,
L’hôtesse n’avait pas de repos dans son lit :

  — Petite servante Marguerite, levez-vous, levez-vous vite,
Pour allumer la chandelle et souffler le feu ;

  Pour allumer la chandelle et souffler le feu,
Pour que nous tuions toutes les deux le petit marchand ! —

  Le beau-frère de l’hotesse lui disait :
— Votre servante, la petite Marguerite, sur ma foi, n’est pas là :

  Votre servante la petite Marguerite, sur ma foi, n’est pas là,
Elle est partie avec le marchand, en croupe sur sa haquenée ! —


  — Sur ma foi, j’ai tué dix-huit marchands,
Et si j’avais su, il eut fait le dix-neuvième ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IV

  Il fallait voir la petite Marguerite sur le pavé de Rouen,
Aux pieds des souliers légers, avec des bas de laine ;

  Aux pieds des souliers légers, avec des bas de laine,
Et mariée à un petit marchand !


Chanté par Marie-Josèphe Kado.
Plouaret, 1845.


Dans une autre version le dénouement est tout différent :

  Arrivé dans la grande lande, oh ! oui, bien loin de là,
Il jeta la petite Marguerite de dessus son cheval !


Voir dans le Barzaz-Breiz, page 221, la pièce qui correspond à celle-ci, sous le titre de : le Vassal de Duguesclin.

Voir aussi dans la Revue critique d’histoire et de littérature, année 1867, livraison du 23 novembre, page 321, un article de M. D’Arbois de Jubainville où il est question de cette chanson.


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  1. (1) Une autre version connue sous le titre de : Ar Marc’hadour bihan, Le petit Marchand, débute ainsi :

      Un petit marchand de la ville de Rouen
    Est allé à Carhaix, à la foire de la Toussaint,

      Pour acheter deux couples de vaches et une couple de bœufs,
    Et gagner dessus à la foire neuve.
  2. (1) Variante :

    Iannik le Bon-Garçon, que tu es un bel homme,
    Et avant qu’il soit jour, tu auras perdu la vie !