Chants populaires de la Basse-Bretagne/Jean L’Arc’hantec

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JEAN L’ARC’HANTEC
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I

  La petite Jeanne Hélary, la fille de sa mère,
Est la plus jolie fille qui marche sans tache ;

  Et elle n’ose pas lever la tête,
À cause des gentilshommes qui la convoitent ;

  À cause des gentilshommes, des barons,
Qui convoitent Jeanne pour leur épouse.

  Ô la belle fortune qu’elle a faite !
C’est un homme de mer qu’elle a pris ;

  C’est un homme de mer qu’elle a pris,
Et son nom est Jean L’Arc’hantec.

II

  Jean L’Arc’hantec disait
À sa femme Jeanne, un jour :

  — Ma femme Jeanne, je vous prie,
Il sera construit un navire nouveau ;

  Je ferai construire un navire nouveau,
Pour le donner en présent au roi ;

  Son nom sera Marie,
Et il ira combattre sur la mer :

  Je serai capitaine dessus,
Jean L’Arc’hantec sera avec lui (le navire).

  Quand je serai contre le quai à Lannion,
Je tirerai trois coups de canon ;

  Je tirerai trois coups de canon dans la mer,
Si bien que la ville de Roscoff en tremblera ;

  Et je mettrai mon navire en blanc,
Pour que vous le voyiez de loin.

III

Jean L’Arc’hantec disait,
En se promenant sur la mer ;

— Petit page, petit page, mon petit page,
Toi qui es diligent et leste,

Monte en haut du grand mât,
Pour voir où nous sommes ici.

Le page, en montant, chantait,
Et en descendant, il pleurait :

— Je suis monté aussi haut que j’ai pu,
Et J je n’ai vu aucune terre ;

Je n’ai vu aucune terre ;
(Je n’ai vu) que quatre navires espagnols ;

Leurs vergues sont au ras de la mer,
Mon pauvre maître, signe de mauvais augure ;

Leurs vergues sont couleur de sang,
Mon pauvre maître, signe de combat !

Quand Jean L’Arc’hantec entendit (cela),
Il dit à ses matelots :

Mes matelots, je vous en prie,
Ne soyez pas traîtres à mon endroit :

Ne soyez pas traîtres à mon endroit,
En mettant du papier au lieu de boulets (dans les canons).

— Taisez-vous, (rassurez-vous) maître, ne soyez pas inquiet,
Nous ne serons pas traîtres à votre endroit :

Nous ne serons pas traîtres à votre endroit,
(Au point) de mettre du papier au lieu de boulets ;

Aussi longtemps que durera la vie dans ce corps-ci,
Jamais trahison je ne fais (ferai) !

Quand Jean L’Arc’hantec entendit cela,
Il se déshabilla en corps de chemise ;

Sur le pont il est monté,
Et il a tiré trois coups de canon :

Le quatrième coup a raté,
On avait mis du papier au lieu de boulet !

IV

Le grand espagnol demandait
À Jean L’Arc’hantec en le prenant :

— Dis-moi, Breton enragé,
De quoi es-tu chargé ?

Jean L’Arc’hantec répondit
Au grand espagnol, quand il l’entendit.

— Je suis chargé de figues et de noix
Et d’amandes, jusqu’à la cale ;

Je suis chargé du vin d’Espagne du meilleur,
Venez avec moi pour le goûter.

Le grand espagnol disait
À Jean L’Arc’hantec, en ce moment :

— Si tu me donnes ta fille ainée,
Je te laisserai la vie ;

Je te laisserai ta Marie (le navire),
Pour aller combattre sur la mer.

L’Arc’hantec avait une fille
Dont les mains étaient blanches comme la neige ;

Ses deux petites mains et ses joues,
Étaient aussi belles que le lait dans le pot.[1]

Jean L’Arc’hantec répondit :
Au grand espagnol, là, en ce moment :

— Jamais je ne livrerai ma fille,
Il faut que je la perde ou que tu la gagnes !….

……………………………………………………………

— De la tête aux pieds,
Tu souilles ma chemise de sang !

Si elle était entre les mains de Jeanne Hélary,
Celle-là en retirerait le sang.

Jean L’Arc’hantec disait
À ses matelots, là, en ce moment ;

— Mes pauvres matelots, je vous en prie,
Vous allez à la maison, moi, je n’irai pas ;

Vous allez à la maison, moi, je n’irai pas,
Donnez de mes nouvelles à ma femme :

Dites-lui que si elle reprend mari,
Elle prenne un laboureur de terre ;

Elle prenne un laboureur de terre,
Avec un homme de mer elle est peu sûre ;

(Dites-lui) d’envoyer son fils à l’école
Et de prendre garde qu’il soit homme de mer ;

Et d’envoyer sa fille au couvent,
Il lui restera assez de bien.[2]

V

Jeanne Hélary pleurait,
Et ne trouvait personne pour la consoler ;

Et ne trouvait personne pour la consoler,
Si ce n’est ses matelots, qui le faisaient :

— Consolez-vous, Jeanne, ne pleurez pas,
Je vois votre mari qui revient ;

Je vois venir un navire neuf,
Et Jean L’Arc’hantec est dessus !….


Chanté par une Servante d’Auberge,
au bourg de Plestin. — 1864.




  1. Le lait blanc dans le pot noir.
  2. Variante :

    Jean L’Arc’hantec disait
    À son petit page là, en ce moment :

    — Petit page, si tu m’aimes,
    Toi tu vas à la maison, moi je n’y vais pas ;

    Toi tu vas à la maison, moi je n’y vais pas,
    Fais mes compliments à ma femme.

    Porte-lui ma chemise toute sanglante
    Et dis-lui de la bien laver ;

    Et dis-lui de la bien laver,
    Avec les larmes de ses yeux.

    Et dis-lui, si elle prend mari,
    De prendre un laboureur de terre ;

    De prendre un laboureur de terre,
    Avec un homme de mer elle serait peu sûre :

    Dis-lui de donner sa fille aînée
    Au premier qui la lui demandera ;

    Qu’elle ne fasse pas trésor [provision] de filles,
    Elles ne sont pas bonnes pour se conserver :

    Et qu’elle envoie son jeune fils à l’école,
    Pour qu’il n’apprenne pas à être homme de mer :

    Mais son fils aîné, je le sais bien,
    Sera homme de mer comme son père :

    Et (qu’elle envoie) sa jeune fille au couvent,
    Il y a du bien assez à donner avec elle ;

    Il y a du bien assez à donner avec elle,
    Il y a dix-huit cents francs de rentes dans ma maison.
    ……………………………………………………………………


    Chanté par Marguerite Philippe
    de la commune de Pluzunet — 1873.