S’il vous plait, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;
Un gwerz nouvellement composé,
C’est au clerc Lammour qu’il a été fait.
Le clerc Lammour disait,
En arrivant chez le vieux Le Calvez :
— Je suis venu ici exprès
Pour vous demander votre fille Fiecca ;
Pour demander votre fille Fiecca Le Calvez,
Pour venir avec moi à l’aire neuve.
— Ma fille n’ira pas à l’aire neuve,
Elle est menacée par le marquis de Guerrand.
— Laissez-la venir à l’aire-neuve,
Je lui défendrai la vie.
— Habillez-vous, Fiecca Le Calvez,
Pour aller avec le clerc à l’aire neuve.
Quand Fiecca Le Calvez va s’habiller.
Le clerc se met à chanter ;
Le clerc se met à chanter,
Pour attendre sa douce Fiecca.
Le marquis de Guerrand demandait
Aux hommes, aux femmes, quand il les dépassait :
— Compagnie, dites-moi,
N’avez-vous pas vu le clerc ?
N’avez-vous pas vu, aujourd’hui,
Le jeune clerc passer par ici ?
— Seigneur marquis, excusez-nous,
Nous ne savons pas qui vous demandez.
— Je vous excuse pour la première foi !
C’est le clerc Lammour que je demande.
— Si c’est le clerc Lammour que vous demandez,
Vous le verrez non loin d’ici ;
Il vient d’aller à l’aire-neuve,
Avec Fiecca Le Calvez à son côté ;
Ils ont chacun un habit neuf,
C’est le plus beau couple qui marche (qui existe !)
Le marquis de Guerrand disait
Au clerc Lammour, en le saluant :
— Clerc, ôtons nos pourpoints,
Afin de commencer les luttes.
— Sauf votre grâce, je ne suis pas lutteur,
Jouer de l’épée, si vous le voulez.
— Moi, j’ai joué de l’épée
Devant le roi, dans son palais ;
Devant le roi, dans son palais,
Ou n’ira personne de ta famille.
Ton habit est plus beau, mon hôte,
Que le mien à moi, qui suis marquis !….
— Sauf votre grâce, je ne suis pas tailleur,[2]
C’est à Paris qu’il a été fait ;
C’est à Paris qu’il a été fait,
Et votre bourse était close quand il fut payé.
— Si ma bourse était close quand il fut payé,
Je l’ouvrirai quand il sera déchiré.
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Cruel eût été le cœur de celui qui n’eût pleuré,
S’il eût été à l’aire-neuve.
En voyant dix-huit jeunes gentilshommes
Dégainant leurs épées contre un paysan.
Ils avaient chacun une épée nue,
Et lui, il n’avait qu’un penn-baz,
Et il les abattait tous,
En tenant sa douce à son côté.
N’eût été le traître Locmaria
Qui lui présenta son épée ;
Il lui présenta son épée,
Reconnaissant ainsi que c’était lui qui gagnait.
Le clerc est un homme tiède (sans méchanceté),
Et il jeta son penn-baz à terre ;
Son penn-baz à terre il a jeté,
Dix-huit épées nues l’ont transpercé !
Le marquis de Guerrand disait
À Fiecca Le Calvez, là, en ce moment :
— Petite Fiecca, si vous m’aimez,
Allez à Guerrand avec mes gens.
— Je n’irai pas à Guerrand avec vos gens,
Ni avec eux, ni avec des fripons de leur sorte ;
Ni avec eux, ni avec des fripons de leur sorte,
Je resterai avec mon doux clerc.
Fiecca Le Calvez disait
À son père, en arrivant à la maison :
— Attelez les chevaux à votre charrette,
Pour porter mon doux clerc en terre ;
Mettez-le dans un tombeau.
Où j’irai le rejoindre, dans trois jours ![3]
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- ↑ « Ann Ammour » est peut-être une corruption de « Ann Armour, » pour Armor. Burns, le poëte écossais, parle d’une jeune fille qu’il aima et qui s’appelait Jane Armour.
- ↑ Il me semble qu’il doit y avoir ici une lacune de deux ou de quatre vers, qui motivaient cette réponse et où le marquis demandait au clerc ce que coûtait l’aune du drap de son habit.
- ↑ C’est du père de ce marquis de Locmaria, que Madame de Sévigné écrivait : « Je voudrais que vous eussiez son bel air, et de quelle manière il ôte et remet son chapeau. Quelle légèreté ! Quelle justesse ! Il peut défier tous les courtisans et les confondre, sur une parole ! »