Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Géant Les Aubrays (Appendice)

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LE GÉANT LES AUBRAYS


Seigneur de la Noë-verte, en Lanloup
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  Entre Coat-ar-Skinn et Les Aubrays[1]
A été convenue une assemblée (rendez-vous) ;

  A été convenu un combat,
Que Dieu leur accorde bon voyage ;

  Que Dieu leur accorde bon voyage,
Et aux leurs, à la maison, bonne nouvelle !

  Le seigneur de Coat-ar-Skinn disait
Au seigneur Les Aubrays, en le saluant :

  — J’ai reçu lettre du roi
(Commandant) d’avoir guerre contre toi, Les Aubrays.

  — Si tu as lettre (commandant) d’avoir guerre contre moi,
Montre ta lettre, que je la lise.

  — Le moindre papier qui est dans ma valise,
Je ne le donnerais pas à lire à un âne (comme toi.)

  — Si je suis âne, sûrement,
Je ne suis pas âne de nature ;

  Mon père était général d’armée,
Et son fils Les Aubrays le sera aussi.

  Seigneur de Coat-ar-Skinn,
(Je désire) aller à Sainte Anne de Vannes ;

  (Je désire) aller à Sainte Anne de Vannes,
J’ai promis d’y aller encore une fois.

  — Bonjour à vous, Sainte Anne de Vannes,
Je suis venu vous voir une fois encore :

  J’ai combattu dix-huit combats,
Et j’en ai gagné dix-huit ;

  Je les ai gagnés tous les dix-huit,
Grâce à vous, Sainte Anne de Vannes.

  Je vais, à présent, au dix-neuvième,
Faites encore un miracle à mon endroit ;

  Et je vous ferai un présent
Qui sera agréable, le jour de votre pardon ;

  Je vous donnerai et calice
Et habillements (parements) pour vos sept autels.

  Le seigneur Les Aubrays disait
À son petit page, ce jour-là :

  — Mon petit page, préparez-vous,
Il nous faut aller au combat :

  Si je manque au rendez-vous,
On me prendra pour un poltron.

  — Mon maître, si vous m’obéissez,
Nous n’irons pas à ce combat-là.

  Il y a dix-huit cents soldats,
Et autant de dragons ;

  Et autant de dragons,
Nous sommes bien sûrs d’étre tués.

  — En dépit de la langue de celui qui parlera,
Nous irons à ce combat.

  Le seigneur Les Aubrays disait
À son jeune page, là, en ce moment :

  — Aiguisez votre épée contre la mienne.
Puis, venez avec moi au combat ;

  Tenons-nous tous les deux l’un contre l’autre,
Nous couperons du fer comme le vent.

  Et au bout d’une heure de là,
Les Aubrays en avait tué cinquante ;

  Et son jeune page, de l’autre côté,
En a tué tout autant.

  L’armée du roi a été tuée (détruite),
Et c’est le seigneur Les Aubrays qui en est cause.

  Le roi, quand il a appris (cela),
A dit à son jeune page :

  — Mon petit page, préparez-vous
À aller, à présent, à Saint-Brieuc ;


  Afin que vous alliez à Saint-Brieuc, aujourd’hui,
Pour parler au seigneur Les Aubrays ;

  Pour parler au seigneur Les Aubrays,
Et lui dire de venir jusqu’à moi.

  Le page du roi disait,
En arrivant à Saint-Brieuc :

  — Je dis bonjour à cette ville,
Le seigneur Les Aubrays où est-il ?

  Quand le seigneur Les Aubrays a entendu (cela),
Il a mis la tête à la fenêtre ;

  Il a mis la tête à la fenêtre.
Et il a dit au page du roi :

  — Salut à vous, page du roi,
Pourquoi avez-vous besoin de Les Aubrays ?

  — Je suis venu de la part du roi
Pour vous dire de venir jusqu’à lui ;

  Pour vous dire de venir jusqu’à lui,
Pour combattre contre son maure sauvage.

  — Page du roi, dites-moi,
Qu’est-ce que ce maure dont vous parlez ?

  — Si vous promettez de ne pas me dénoncer,
Je vous ferai connaître son secret :

  Ce maure-là, mon pauvre homme,
A sûrement de la magie du Diable.

  Quand il jettera ses habits par terre,
Vous jetterez les vôtres dessus ;

  Et quand il vous visera,
Lancez-lui de l’eau bénite.

  Quand le maure ira (sautera) en l’air,
Présentez votre épée pour le recevoir.

  — Tenez, petit page, voilà cent écus,
Puisque vous m’avez averti ;

  Puisque vous m’avez averti,
Sans vous, j’aurais été tué.

  Le seigneur Les Aubrays disait,
En arrivant dans le palais du roi :


  — Bonjour à toi, dit-il, sire,
Qu’as-tu besoin de Les Aubrays ?

  — Je t’ai fait dire de venir jusqu’à moi,
Pour combattre contre mon maure sauvage.

  Quand le maure arrive dans la salle,
Il jette ses habits à terre :

  Il jette ses habits à terre,
Les Aubrays jette les siens pardessus.

  Quand il vient à le viser,
Il lui lance de l’eau bénite ;

  Quand le maure sautait en l’air,
Il présentait son épée pour le recevoir.

  Le maure du roi est tué,
Et c’est Les Aubrays qui en est cause.

  Quand le roi a vu (cela),
Il a dit à Les Aubrays :

  — Hâte-toi, dit-il, Les Aubrays,
De retirer ton épée de mon maure sauvage.

  — Je ne daignerais pas porter une épée
Qui a été dans (le corps) du maure du roi.

  Quand le roi a entendu (cela),
Il a dit à ses courtisans :

  — Mes courtisans, préparez-vous,
Car il faut que Les Aubrays soit tué !

  Quand Les Aubrays a entendu (cela),
Il a fait un saut par la fenêtre ;

  Il est monté sur son cheval,
Et a pris le grand chemin.

  Comme il s’en retournait, sur la route,
Il rencontra des gens qui charroyaient du foin ;

  Il rencontra des gens qui charroyaient du foin,
Et il demanda au maître :

  — Mettez mon cheval au timon (de la charrette),
Et jetez-moi sur le foin.

  Les gens du roi demandaient.
En passant (par là), tôt après :

  — Maître des faneurs, dites-nous,
N’avez-vous pas vu Les Aubrays ?

  — Nous n’avons pas vu Les Aubrays,
Nous ne connaissons pas cet homme-là.

  Quand ces gens-là furent passés,
Les Aubrays leur a dit (aux faneurs) :

  — Si j’arrive encore à la Noë-Verte,
J’ai là quatre grands canons ;

  Avec l’aide de Dieu et de mes deux bras,
Je soulèverai les troupes du roi en l’air.

  Quand il arriva à Saint-Brieuc,
Il écrivit lettre au roi :

  — Vous ne trouverez personne dans le pays
Pour parler contre Les Aubrays ;

  Pour parler contre Les Aubrays,
Pour faire plaisir au fripon de roi ![2]






  1. Selon M. Pol De Courcy, si compétent en tout ce qui concerne les anciennes familles bretonnes, « Coat-ar-Skinn » serait une altération pour « Coat-ar-Sant. »
  2. Cette version a été recueillie dans la commune de Lanloup, où se trouve le château de la Noë-Verte qui appartenait au seigneur Des Aubrays.

    J’ai cru utile de reproduire littéralement ces deux versions, non recueillies par moi, mais qui concordent parfaitement avec celles du même gwerz que j’ai données dans le premier volume des « Gwerziou », pages 287, 91 et 97, — afin que l’on puisse faire plus facilement la part de ce qui appartient à la tradition populaire, dans le beau poëme de « Lez-Breiz », du « Barzaz-Breiz », et celle qui appartient à l’auteur de ce recueil célèbre.