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Chants populaires de la Basse-Bretagne/Les Rannou

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LES RANNOU
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I

  Marguerite Charlès, la fille du grand chemin,
A nourri les grands voleurs ;
Elle a nourri les fils Rannou,
Les plus méchants voleurs du pays.

  Marguerite Charlès disait
À Yves Rannou un jour :
— Un lièvre va par le grand chemin
Qui vaut la peine qu’on le suive ;

  Il y a devant lui deux chevaux chargés
Qui valent bien quatre mille écus !
Quand Yves Rannou entendit (cela),
Il prit son penn-baz ;

  Il a pris son penn-baz,
Et a couru à travers champs ;
Il a couru à travers champs
Et a atteint le marchand.

  Il a atteint le marchand
Qui s’était assis sur le gazon :
— Marchand, dis-moi,
Qu’attends-tu là ?

  — J’attends mon frère ainé,
Qui est resté à boire à Saint-Michel.
— S’il est resté à Saint-Michel,
Il ne viendra pas par ce chemin-ci ;

  Car il en sera dissuadé,
À cause de la peur qu’on a des Rannou ;
À cause de la peur qu’on a des Rannou,
Les plus méchants voleurs du pays.

  Yves Rannou disait
Au pauvre marchand ce jour là,
— Donne-moi ton or et ton argent,
Ou je te tuerai à l’instant !

Le pauvre marchand répondait
À Yves Rannou, en ce moment :
— Voilà deux chevaux chargés,
Choisissez-en un ;

Choisissez-en un
Et laissez-moi l’autre ;
Et laissez-moi l’autre,
Pour faire vivre ma femme et mes enfants.

Quand Yves Rannou entendit (cela),
Il saisit son penn-baz ;
Il saisit son penn-baz,
Et lui en porta un coup ;

Il lui donna un coup de bâton,
Et le noya dans son sang ;
Et dans son sang il le noya…
Des hommes arrivèrent sur le coup ;

Des hommes arrivèrent sur le coup,
Le seigneur de Kerninon et ses soldats….
Yves Rannou disait
À sa mère, en arrivant à la maison :

— J’ai tué un marchand,
Et je voudrais ne l’avoir pas fait ;
Des hommes sont arrivés sur le coup,
Kerninon et ses soldats.

II

Le seigneur de Kerninon disait
En arrivant à la porte d’Yves Rannou :
— Yves, ouvre-moi ta porte,
Tu n’auras ni honte, ni déshonneur.

— Ma femme est en peine
D’un fils ou d’une petite fille…
Si j’avais mon fusil ici,
Seigneur, je vous ferais déguerpir de là !

Quand le seigneur de Kerninon entendit (cela),
Il brisa la porte devant lui ;
Il brisa la porte devant lui,
Et mit la main au collier d’Yves :

— De par le Roi, assassin.
Je te mets la main au collier ;
De par le roi général,
Je jette la main sur toi, criminel !


Yves Rannou disait
Au seigneur de Kerninon, en ce moment :
— Si j’avais du vin rouge ou de l’eau-de-vie,
Seigneurs, je vous rendrais contents ;

Mais vous ne serez pas longtemps en peine,
J’irai en chercher à Goënezan[1].
— Nous ne demandons ni vin rouge, ni vin blanc.
Mais ton corps, Yves, pour le garrotter… —[2]


Chanté par Jeanne Le Gall,
Servante à Keramborgne. — 1848.




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  1. Goenesan doit être une erreur de la chanteuse, car cette commune est auprès de Bégard, à six ou sept lieues de Saint-Michel-en-Grève ; c’est sans doute, une altération du nom de quelque localité voisine de la Lieue-de-Grève.
  2. La Lieue-de-Grève, à Saint-Michel-en-Grève, (LOK MIKÊL-ANN-TRABAZ) entre Lannion et Plestin, fut de tout temps un passage dangereux. Sous la Ligue, une bande de voleurs commandée par une femme, nommée Marguerite Charlès, y détroussait les passants et les assassinait au besoin. Les cadavres étaient enfouis dans le sable, et l’on n’en trouvait plus de trace. Les exploits de la Charlès et des Rannou, ses lieutenants, défraient encore les récits de veillées, dans ces parages. —