Chants populaires de la Basse-Bretagne/Marguerite Laurent

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Édouard Corfmat (1p. 211-217).

MARGUERITE LAURENT.
PREMIÈRE VERSION.
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I

Approchez, jeunes et vieux, tous nous sommes les obligés
De madame sainte Anne, et aussi du Folgoat,
À cause d’une jeune fille qui, ayant été trois jours à la potence,
Grâce à sainte Anne, n’a pas eu de mal !

À cause d’une jeune fille qui a été trois jours à la potence
Et, grâce à sainte Anne, n’a pas eu d’offense.
Le jeune clerc disait, en arrivant auprès de la potence :
— Comment est ton cœur, Marguerite Laurent ? —

— Tu n’as pas besoin, cher clerc, de prier pour mon âme,
Je suis aussi à l’aise ici que tu l’es là ;
Je suis ici aussi à l’aise que toi là.
Excepté, clerc chéri, que je n’ai pas ma liberté.

Mon cœur est dispos, toujours en adoration,
Grâce à sainte Anne et à la Vierge Marie :
Cependant va, cher clerc, vas au manoir,
Pour me faire détacher de la potence. —

II

Le jeune clerc disait, en arrivant au manoir :
— Je viens de faire la conversation auprès de la potence ;
Je viens de faire la conversation auprès de la potence,
Avec ma bien-aimée, Marguerite Laurent. —

— Tais-toi, tais-toi, clerc menteur.
Je ne saurais jamais te croire, oh ! non, jamais au monde !
Si chantait le chapon rôti que voilà sur ce plat,
Alors je te croirais peut-être, ô clerc menteur ! —

Il n’avait pas encore tout à fait prononcé ces mots,
Que le chapon rôti chanta, d’une voix claire, sur le plat ;
Que le chapon rôti chanta sur le plat d’une voix claire ;
Et alors on crut le clerc aux mensonges.

Le Sénéchal disait à son garçon d’écurie ;
— Selle-moi ma haquenée et donne-lui de l’avoine à manger ;
Selle-moi ma haquenée, et selle-là sur le champ.
Que j’aille chasser, faire un tour au bois ! —


III

Le Sénéchal disait, en arrivant près de la potence :
— Comment est votre cœur, Marguerite Laurent ? —
— Mon cœur à moi est dispos, toujours en adoration,
Grâce à sainte Anne et à la Vierge Marie. —

— Descendez, Marguerite, et venez avec moi dans ma maison,
Je vous ferai préparer à déjeuner par mon cuisinier ;
Pendant que vous serez en vie, je vous prie de rester avec moi.
Et je vous ferai de plus gouvernante dans ma maison. —

— Pour aujourd’hui, je ne mangerai ni ne boirai,
Jusqu’à ce que j’aie été au Folgoat et à Sainte-Anne. —
— Venez avec moi, Marguerite, sur la croupe de ma haquenée,
Je vous conduirai au Folgoat et aussi à Sainte-Anne. —

— Je n’irai ni sur haquenée, ni aussi sur mes deux pieds,
Mais sur mes genoux nus, si mon cœur peut résister. —
Aussi vite qu’une haquenée aux pieds légers,
Va Marguerite vers le Folgoat.

Et quand Marguerite arriva dans le cimetière du Folgoat,
On voyait les traces de ses genoux sur les pierres tombales et dans le bois ;
On voyait les traces de ses genoux dans le bois et sur les pierres tombales,
Heureuse la femme qui y ira après elle !

Marguerite disait, dans l’église du Folgoat :
— J’ai été à Sainte-Anne, me voici à présnt au Folgoat ;
J’ai été à Sainte-Anne, me voici à présent au Folgoat,
Ma pénitence est finie, je n’ai pas été ingrate ! —

Entre la chapelle de saint Laurent et celle de saint Nicolas,
Marguerite Laurent a terminé sa vie !


Marie-Anne Le Noan, vieille mendiante, commune de Duault.


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MARGUERITE LAURENT.
SECONDE VERSION.
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I

  Ecoutez, et vous entendrez, et vous entendrez chanter
Un gwerz nouvellement composé l’année présente,
A Marguerite Laurent, qui a été attachée à la potence,
Pour un couvert d’argent, volé au manoir.

II

  Le jeune clerc disait, en passant près de la potence :
— La bénédiction de Dieu soit sur ton âme, Marguerite Laure
La bénédiction de Dieu soit sur ton âme, Marguerite Laure
Nous avons fait ensemble bien des tours de danse ! —

  — Vous n’avez pas besoin, clerc, de prier sur mon âme,
Je suis aussi heureuse ici que vous l’êtes là ;
Voilà trois jours et trois nuits que je suis pendue ici,
Mais, grâce à sainte Anne, je n’ai pas eu de mal !

  Allez à présent, clerc, allez au manoir,
Pour me faire détacher de la potence. —

III

  Le jeune clerc disait, en arrivant au manoir :
— Je suis envoyé ici de la part de Marguerite Laurent,
Qui est depuis trois jours et trois nuits là-bas à la potence,
Mais, grâce à sainte Anne, elle n’a pas eu de mal. —

  Le Sénéchal disait au clerc, ce jour-là :
— Je ne te croirai pas, jeune clerc, quand tu parles ainsi,
Jusqu’à ce qu’ait chanté le chapon rôti que voilà sur ce plat
Non, je ne te croirai pas, je le jure, ô jeune clerc menteur !

  Il n’avait pas encore fini de parler,
Quand chanta le chapon rôti qui était là sur un plat ! —
Le Sénéchal disait à son garçon d’écurie :
— Selle moi ma haquenée, que j’aille faire un tour ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  — En vérité, Marguerite Laurent, me direz-vous
Qui vous a préservée, puisque vous n’êtes pas morte ? —
— Je m’étais vouée à Notre-Dame du Folgoat,
Et elle m’a mis un escabeau sous mes pieds !


  Je m’étais vouée à Notre-Dame de Goulven,
Et elle a préservé mon cou contre la corde.
J’ai encore promis d’aller aux pardons
Du Guéodet, du Folgoat et de Sainte-Anne ;

  J’ai promis d’aller au Guéodet, au Folgoat, à Sainte-Anne,
Et j’ai aussi promis à monsieur saint Mathurin (de Moncontour) —
— Venez avec moi, Marguerite, venez sur ma haquenée,
Je vous conduirai à ces lieux, s’il plaît à Dieu ! —

  — Oh ! je ne serai pas portée, je n’irai même à pied.
Mais sur mes genoux, si mon cœur peut résister. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré
En voyant Marguerite Laurent aller au pardon,
Sur ses genoux nus, suivant une haquenée
Oui, dur eut été, bien dur, le cœur de celui qui n’eut pleuré ! (1)
. . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par le Petit Tailleur, au bourg de Plouaret, 1863.



(1) Une autre version se termine ainsi :

  Le jeune clerc disait, en arrivant au Folgoat :
— Marguerite est arrivée, dit-il, au Folgoat ;
Marguerite est arrivée, dit-il, au Folgoat,
Je vois les traces de ses genoux sur les pierres tombales et dans le bois !

  Sans clef, ni personne pour les ouvrir, s’ouvraient les portes,
Et les cloches sonnaient d’elles-mêmes ! ~
Marguerite disait, auprès du grand autel :
— J’ai fait tous mes tours (pêlerinages), si ce n’est à Saint-Gildas ;

  J’ai fait tous mes tours, si ce n’est à Saint-Gildas,
Où j’ai promis d’aller encore avant de mourir …

NOTE.


Cette légende du chapon rôti qui chante sur la table du Sénéchal, ou à la broche, suivant d’autres leçons, est-elle d’origine bretonne ? Je ne sais, mais on la trouve aussi en Espagne, où elle passa de la légende de saint Dominique de La Calzada dans celle de saint Jacques de Compostelle. Des pèlerins bretons l’auront peut-être apportée de Santiago en Bretagne. Un poète anglais, un poète lauréat, Robert Soulhey, a trouvé dans cet épisode, puisé dans le Martyrologium Hispanicum de Tormaîo Salacar, le sujet d’un poème, qui porte dans ses œuvres le titre de The Pilgrim to Compostella, et dont voici en quelques mots la fable :

Des pèlerins de France, le père, la mère et le fils, se rendant à Saint-Jacques de Compostelle, s’arrêtent à une posada ou auberge, tenue par une femme que le poëte nous fait connaître, en disant qu’elle eut été la digne fille de lady Putiphar. Cette femme trouve dans le plus jeune des trois pèlerins la vertu de Joseph, et, furieuse de ses refus, le dénonce comme voleur a l’alcade. L’alcade le condamne à la potence ; et il est pendu, après avoir obtenu préalablement de son père et de sa mère qu’ils continueront leur pèlerinage, ce qu’ils font en effet. Mais à leur retour, ils retrouvent leur fis encore vivant, et qui les console, en leur disant, d’un air content, qu’il les attendait patiemment depuis six semaines. Quoique je ne puisse pas me plaindre, dit-il, d’être fatigué, et que mon cou ne me fasse pas le moindre mal, allez trouver l’alcade, ce juge si prompt à juger injustement, et dites-lui que saint Jacques de Compostelle m’a sauvé, et qu’il faut enfin me descendre du gibet. Or, l’alcade venait de s’asseoir à table, et commençait son dîner. Il levait déjà le couteau sur le plat de rôti. Dans ce plat étaient deux volailles, un coq et sa poule fidèle, qui le matin encore chantaient dans sa basse-cour. L’alcade refuse de croire que Santiago fasse ainsi des miracles en faveur d’un Français et d’un voleur. « Je croirais aussi aisément, dit-il, que ce coq et cette poule pourraient revenir à la vie ! » Soudain le coq se lève, et chante, et sort du plat, suivi de sa poule !

Dans le Barzaz-Breiz, cet épisode se trouve dans la pièce qui a pour titre Notre-Dame du Folgoat (p. 272, 6e édit.), et qui correspond aux trois pièces qui vont suivre, Annaik Kozik, Fransesa Kozik et Ann aotro ar Gerwenn.