Chants populaires de la Basse-Bretagne/Saint Jorand

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LE GWERZ DE SAINT JORAND
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I

  Ecoutez tous habitants de la Belle-Eglise,
La vie du saint patron de votre église,
La vie de saint Jorand, votre patron ;
Priez-le avec dévotion.

  Jorand n’était pas (natif) de Plouëc,
Il fut baptisé à Gommenec’h ;[1]
Il fut baptisé à Gommenec’h,
Comprenez bien ceci, je vous prie.

  Mais au moment où il fut baptisé,
Il fut prédestiné par Dieu,
Pour venir dans la paroisse de Plouëc,
Et il fut conduit à Kergrist.

  Il resta à Kergrist
Jusqu’à ce qu’y arrivèrent des gens de désordre ;
Jusqu’à ce qu’y arrivèrent des gens de désordre,
Qui le poursuivirent à coups de pierres.

  Il fut inspiré par Dieu
De venir de là à la Trinité ;
De venir de là à la Trinité,
Et de demeurer encore en Plouëc.

  Il demeura à la Trinité,
Jusqu’à ce qu’arrivèrent les gens de désordre ;
Jusqu’à ce qu’arrivèrent les gens de désordre.
Et ils le poursuivirent encore à coups de pierres.

  Il fut inspiré par Dieu
D’aller de là à Saint Jude,[2]
Où il y avait un couvent neuf
Pour les moines, pour prier Dieu.

  Quand il arriva à Saint Jude,
Il entra dans le couvent ;
Il demanda, au nom de Dieu,
À entrer dans la communauté.


  Ils gardèrent Jorand
Et lui désignèrent son travail :
Fournir de l’eau à la cuisine,
Et travailler dans le jardin.

  Jorand leur répondit :
— Je ne refuse pas mon travail,
Si vous me donnez une heure par jour,
Pour adorer le vrai Dieu.

  — Au lieu d’une heure que vous avez demandée,
Vous en aurez trois, Jorand, si vous voulez,
Et même davantage, si vous le désirez,
Sur cela vous ne serez pas commandé.

  À mesure que croit son autorité,
Il priait Dieu davantage ;
Il priait davantage,
À mesure que la communauté augmentait.

  Sept ans entiers fut la paroisse de Plouëc
Sans une goutte d’eau ;
(Fut) la paroisse de Plouëc sans une goutte d’eau,
Depuis que Jorand était parti.

  Mais quand les habitants de Plouëc apprirent
Où était allé Jorand, le saint homme ;
Où était allé Jorand, le saint homme.
Et qu’il était prédestiné

  Par Dieu à la paroisse de Plouëc,
Ils levèrent leur procession ;
Ils levèrent leur procession,
Pour aller le voir à Saint Jude.

  La procession et la croix vont,
Avec les habitants de la paroisse, petits et grands,
Vieux et jeunes, tous ceux qui peuvent marcher,
Vont le voir à Saint Jude.

  Quand ils furent avancés dans la route,
Ils entendirent les cloches de Saint Jude ;
Ils entendirent les cloches de Saint Jude sonner,
Si bien que leurs cœurs en étaient ravis.

  Et les habitants de Saint Jude, quand ils les entendirent,
Accoururent au couvent ;
Ils accoururent au couvent,
Et demandèrent à Jorand :


  — Jorand, qu’y a-t-il de nouveau,
Pour que les cloches sonnent ainsi ?
Pour que les cloches sonnent ainsi,
Car il n’y a personne à les mettre en mouvement ?

  Jorand leur répondit :
— La procession de Plouëc vient ;
La procession de Plouëc vient
À saint Jude, pour me voir.

  Quand les habitants de Saint Jude apprirent (cela),
Ils levèrent leur procession ;
Ils levèrent leur procession,
Pour venir à la rencontre de celle de Plouëc.

  Et quand se furent saluées
La croix de Saint Jade et celle de Plouëc,
Ils demandèrent à entrer,
Pour voir Jorand béni.

  Quand ils furent entrés dans le couvent,
Ils se jetèrent à genoux ;
Ils se jetèrent à genoux, de bon oœur,
Et adressèrent à Jorand leur demande.

  Cruel eût été de cœur celui qui n’eût pleuré,
S’il eût été dans le couvent,
En voyant le couvent arrosé
Par les larmes des habitants de Plouëc.

  Le peuple de Plouëc pleurait
Et Jorand mêlait ses larmes aux leurs,
Et ils le priaient, au nom de Dieu,
De retourner avec eux à Plouëc.

  Jorand, par amour pour eux,
Mêlait ses larmes aux leurs,
Et il leur répondit :
— J’irai avec vous à Plouëc !

  Je ne puis vous refuser,
Car je suis prédestiné par Dieu ;
Car je suis prédestiné par Dieu
À habiter la paroisse de Plouëc.

  Il choisit sept moines,
Pour venir avec lui à Plouëc ;
Pour venir avec lui à Plouëc,
Puisqu’il était prédestiné par Dieu.

  Les habitants de Saint Jude sont désolés,
Mais ceux de Plouëc sont consolés ;
Mais ceux de Plouëc sont consolés
Parce qu’ils retournent avec leur saint à Plouëc.

  Quand il arriva sur la terre de Plouëc,
La pluie commença de tomber ;
La pluie commença de tomber,
Pour arroser la terre de Plouëc.

  Et tout le monde disait, jeunes et vieux :
— Voici un miracle patent !
Voici un miracle patent,
Que Dieu fait en faveur du saint !

  Quand il arriva à Plouëc,
Il se rendit à la Trinité ;
Il se rendit à la Trinité,
Le lieu pour lequel Dieu l’avait prédestiné.

  Quand il arriva à la Trinité,
On lui bâtit un couvent ;
On bâtit un couvent neuf
À nos frères, pour prier Dieu ;

  On l’appela la chapelle de la Trinité,
Mais son nom a été changé,
On l’appelle le bourg de la Belle-Eglise,
Et on en a fait une trêve de Plouëc.

  À Kergrist et à la Trinité,
On prie Jorand, en Plouëc,
Mais c’est à la Trinité qu’il a été enterré,
On l’a mis contre un pilier.

  Le beau trésor que vous avez, habitants de la Belle-Eglise !
Posséder les ossements de Saint-Jorand dans votre église !
Grands sont les miracles qu’il a faits.
En faveur de vieillards, de gens affligés :

  En faveur de pèlerins,
Venus le voir à pied ;
En faveur de matelots,
En mer, près d’être noyés.

  Il y en avait cent huit,
Et ils invoquèrent saint Jorand,
Et tous ils furent sauvés,
Sans qu’aucun d’eux fût perdu.


  Pour présent, ils apportèrent
Un bâtiment à saint Jorand ;
Un bâtiment à saint Jorand,
Avec une grande somme d’argent.

  Celui qui priera Jorand de bon cœur
Obtiendra de Dieu sa demande ;
Ses prières charitables
Sont agréables à Dieu.

  Saint Jorand est aimé à Plouëc,
Et respecté par tous les habitants (de la commune),
Parce qu’il leur fut prédestiné par Dieu,
Dès le moment où il fut baptisé ![3]


Ce gwerz m’a été communiqué par M. L’abbé Julou, qui a été vicaire de la commune de Plouëc, près Pontrieux, (Côtes-du-Nord.)








  1. Gouanac’h, en français Gommenec’h, près de St-Brieuc, Côtes-du-Nord.
  2. Il y a une chapelle dédiée à St Jude à Pédernec, au pied de la montagne de Bré. C’est dans la chapelle de la Trinité, connue aujourd’hui sous le nom de la « Belle-Eglise » que se trouve le tombeau du saint.
  3. Saint Jorand est invoqué par les « Kloers » ou séminaristes, et aussi par les bergers, pour la préservation de leurs troupeaux.

     Il est représenté en la chapelle de la Belle-Eglise, à Plouëc, près Pontrieux, couché sur son tombeau (XVIe siècle), en longue robe, avec capuce abritant sa tête, jambes nues chaussées de brodequins, un bâton à la main droite, à la main gauche, une aumônière renfermant un livre. Un singe est couché à ses pieds. Le tout en granit du pays. Sur un panneau peint sur bois, lequel occupe le tympan de la porte méridionale de la chapelle, le nom est écrit Jorhant. Mais on prononce généralement Jorand, dans le pays. Ce panneau, qui se compose de huit compartiments, représentant chacun une scène de la vie du saint, est, avec le gwerz populaire, le seul document connu sur ce saint, et l’on chercherait vainement quelques renseignements sur lui dans les hagiographes, même bretons.

     Il a été question, dans ces derniers temps, de la canonisation de saint Jorand, — car c’est un de ces nombreux saints locaux de notre pays qui ne sont pas régulièrement saints, en quelque sorte, mais seulement dans la conscience populaire. Rome s’est réservé le canon, en 1634, en approuvant d’une manière générale l’invocation des patrons déjà honorés d’un culte public et autorisé par les évêques, plus d’un an avant 1634.

     Consulter sur la légende du saint, dans la « Revue de Bretagne et de Vendée, » un intéressant article de M. Sigismond Roparts, à qui je suis redevable de ces renseignements, bien que j’aie moi-même visité la chapelle de la Belle-Eglise, et recueilli sur les lieux mêmes une version du gwerz de Saint Jorand, mais moins complète que celle que je reproduis ici.