Chants populaires de la Basse-Bretagne/Mathurine Troadec

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Édouard Corfmat (1p. 131-133).


MATHURINE TROADEC.
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I

  Mathurine Troadec disait
A son père et à sa mère, un jour :

  — Mon père, et ma mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas au pardon de Saint-Jean ;

  Mon esprit me donne à croire
Que si je vais sur la mer, je serai noyée. —

  — Le trouve mauvais qui voudra,
Vous irez au pardon de Saint-Jean ;

  Vous irez au pardon de Saint-Jean du Doigt,
Pour faire voir son fils au marquis. —

  — Viens, mon enfant, que je t’habille,
Car jamais plus je ne te déshabillerai !

  Je vais mettre mon corset,
Et le lacer avec un ruban ;

  Je vais mettre ma robe blanche,
Et mon tablier de taffetas jaune ;

  Mon tablier de taffetas jaune,
Jamais plus je ne l’oterai !

  Adieu, mon mari, et tous les gens de la maison,
Car jamais plus je ne vous reverrai ! —


II

  Mathurine Troadec disait
En mettant le pied sur l’embarcation neuve :

  — Adieu à vous tous, gens de mon pays,
Je vais entrer dans ma mort ! —

  Mathurine Troadec disait,
Quand l’embarcation penchait sur le côté :

  — Récitez tous vos chapelets,
Et moi, je vais réciter les vêpres ;

  Moi je vais réciter les vêpres,
Car l’embarcation va chavirer !

  Je vois ma mère dans son jardin,
Qui coupe des choux pour son souper ;

  Si Dieu exauce ma prière,
Jamais plus elle ne coupera de choux ;

  Jamais plus elle ne coupera de choux,
Car c’est elle la cause que je perds la vie !

  Monsieur saint Mathurin de Moncontour,
Vous êtes le maître du vent et de l’eau ;

  Monsieur saint Mathurin de Moncontour,
Tenez mon enfant au-dessus de l’eau ;

  Sauvez la vie à mon enfant,
Et conduisez le au rivage ! —

III

  Dur eut été le cœur de celui qui n’eut pleuré
Sur le rivage de Saint-Jean,

  En voyant un enfant de dix-huit mois
Sur une planche dans la grève de Saint-Jean du Doigt ;

  Il portait une robe de satin blanc,
Pour montrer qu’il était le fils d’un marquis (1)

IV

  Mathurine Troadec a été retrouvée
A dix-huit brasses, au fond de la mer ;

  Elle tenait à la main une branche de varech vert ;
Elle voulait encore sauver sa vie !


Chanté par une fileuse du bourg de Guérande. — Mai 1863.


[1] S’agirait-il ici du fameux marquis de Lomaria, dont le château de Guérande n’est pas bien loin de Saint-Jean du Doigt, et qui est le sujet d’un grand nombre de chants et de traditions populaires dans le pays ?

Je crois qu’il n’y a aucune corrélation entre celle pièce et la précédente.

Saint-Mathurin de Moncontour est encore un des lieux de pèlerinage les plus fréquentés de la Bretagne.