Charles Baudelaire, étude biographique/XI
Il est difficile de ne pas attribuer à la maladie une part notable dans cette exaltation de langage qui fait un si grand contraste avec la froideur concentrée, le calme ironique que le poète s’imposait naguère. Depuis les deux derniers mois de 1865, sa santé traversait, en effet, des crises de plus en plus graves, dont on peut suivre l’effrayante progression dans les lettres fréquentes que le poète écrivait régulièrement à M. Ancelle.
(26 novembre 1865). « Ma santé ? dites-vous. Comment, diable voulez-vous qu’elle soit bonne, avec tant de colères et de soucis ?… Ce qui m’irrite plus que tout, plus que la misère, plus que la bêtise dont je suis environné, c’est un certain état soporeux qui me fait douter de mes facultés. Au bout de trois ou quatre heures de travail, je ne suis plus bon à rien. Il y a quelques années, je travaillais quelquefois douze heures, et avec plaisir. »
(30 novembre 1865). « Je m’ennuie et je souffre le martyre… Je suis très inquiet de la santé de ma mère. Quant à moi, je ne peux plus fumer sans dégoût. Pour un fumeur, c’est un vrai signe de dérangement. Tout à l’heure, j’ai été obligé d’interrompre cette lettre pour me jeter sur mon lit, et c’est un grand travail, car je crains toujours d’entraîner avec moi les meubles auxquels je m’accroche. Avec ça, les idées noires ; il me vient quelquefois à l’esprit que je ne verrai plus ma mère. » (21 décembre i8G5). « Il y a bien longtemps que j’aurais dû vous répondre ; mais j’ai été saisi par une névralgie à la tête qui dure depuis plus de quinze jours ; vous savez que cela rend bête et fou, et pour pouvoir écrire aujourd’hui à vous, à Lemer et à ma mère, j’ai été obligé de m’emmailloterla tète dans un bourrelet que j’imbibe, d’heure en heure, d’eau sédative. Les crises sont moins violentes que Tan passé, mais le mal dure bien plus longtemps. »
(26 décembre i865). « J’ai eu un peu de vague dans la tète, du brouillard et de la distraction. Cela tient à cette longue série de crises, et aussi à l’usage de l’opium, de la digitale, de la belladone et de la quinine. Un médecin, que j’ai fait venir, ignorait que j’avais fait autrefois un long usage de l’opium. C’est pourquoi il m’a ménagé, et c’est pourquoi j’ai été obligé de doubler et de quadrupler les doses. Je suis parvenu à déplacer les heures de crise ; c’est beaucoup. Mais je suis très fatigué. »
Le jeune médecin, qu’il s’était décidé à consulter, le docteur Léon Marx, ordonna la suppression complète de tout excitant, un repos complet du corps et de l’esprit, et une cure d’eau de Vichy. Malheureusement Baudelaire n’avait guère confiance dans la médecine :
« Qu’il faille supprimer la bière, je ne demande pas mieux. Le thé et le café, c’est plus grave ; mais passe encore. Le vin ? diable ! c’est cruel. Mais voici un animal encore plus dur, qui dit qu’il ne faut ni lire ni étudier. Drùle de médecine que celle qui supprime la fonction principale ! Un autre me dit, pour toute consolation, que je suis hystérique, \dmirez-vous, comme moi, l’usage élastique de ces grands mots bien choisis pour voiler notre ignorance de toutes choses (r) ? »
Quant ;iu\ remèdes, si peu onéreux lussent-ils, il n’avait pas d’argent pour les payer : « Le médecin ne
(1) Lettre à Sainte-Beuve, 10 janvier i8(3G. me recommande que de l’eau de Vichy, et pas le sou ! » Lettre à Vncelle, 18 janvier 1866). Et comment, encore, eût-il accepté de renoncera son travail, puisqu’il ne fondait sa subsistance que sur les ressources qu’il en comptait tirer ?
Malgré les amicales instances du docteur, il continue donc sa vie de labeur. Il s’est replongé dans le Spleen de Paris (poèmes en prose) ; quand son cerveau se refuse à produire, il relit Joseph Delorme et la Pharsale{\)\ quand la torpeur, dont il se plaint souvent, paralyse sa pensée, il recopie les volumineuses notes qu’il a, sans relâche, amassées pour son livre sur la Belgique (On trouvera trois transcriptions du sommaire, une vingtaine de pages in-4o, dans ses papiers). En outre, il adresse à M. Àncelle de longues lettres remplies d’instructions minutieuses sur les pourparlers que son ami lui a proposé d’engager personnellement avec les éditeurs (2).
(1) Lettre à Sainte-Beuve, i5 janvier 1866.
(2) Dans les notes envoyées à son ami pour être communiquées aux libraires, Baudelaire mentionne des travaux qui n’ont jamais été imprimés ni même achevés sans doute, mais qui l’occupaient beaucoup à cette époque : les Dandles, Chateaubriand et autres, — Sainte-Beuve ou Joseplt Delorme, jugé par l’auteur « des Fleurs du mal. »
Voici d’ailleurs le texte d’une table des matières rédigée par Baudelaire pour M. Hippolyte Garnier :
Fleurs du mal (se demandent toujours. Epuisées depuis très longtemps). Edition définitive ; augmentée cette fois de plusieurs pièces justificatives des plus curieuses (Th. Gautier, de Custine, d’Aurevilly et d’autres). Tout cela est à Honneur. J’irai le chercher aussitôt que ma santé me permettra de quitter Bruxelles. Entre temps, il donne des nouvelles de sa santé qui continue à empirer :
(22 janvier 1866) «… Reprises de crises nerveuses, de vertiges, de nausées et de culbutes. J’ai eu une crise chez le médecin lui-même. Il me demande sans cesse si je suis son traitement. Je n’ose pas lui dire pour quelles raisons je ne Jais rien (Bains,
— Le Spleen de Paris, pour faire pendant aux Fleurs du mal (en prose). Le manuscrit est moitié ici (Bruxelles), moitié à Honfleur.
— Les Paradis artificiels. Etude sur les effets physiques et moraux de l’opium et du haschisch (livre à succès, peu connu).
— Quelques-uns de mes contemporains, artistes et poètes, 2 volumes.
Le Dessin (Ingres). La Couleur (Delacroix).
Le Chic (Vernet). L’Eclectisme et le Doute (Scheffer et Dclaroche). La Beauté moderne.
Méthode de critique. Delacroix et Ingres à l’Exposition universelle. — La Reine des facultés. — Le Public et la photographie. — L’Artiste moderne, etc.. — L’Essence du rire. Caricaturistes français. — Morale du Joujou. Le Peintre de la Modernité (Constantin Guys de Sainte-Hélène). — L’art didactique, écoles allemande et lyonnaise. — La Yie et les œuvres de Delacroix.
Edgar Poe, sa vie et ses œuvres. V. Hugo. DesbordesYalmore. Auguste Barbier. Pétrus Borel. H. Moreau. G. Le Vavasseur. Th. de Banville. P. Dupont. Th. Gautier. Leconte de Lisle. Rouvière. Richard Wagner. Les Danclies (Chateaubriand et autres). Sainte-Beuve ou J. Delorme jugé par l’auteur des Fleurs du mal… Tout cela est à Paris.
Bruxelles, 18GO.
C11. Baudelaire. éther, valériane, eau de Vichy). Mais, selon moi, tout cela ne serait pas suffisant. N’écrivez rien de toute cette aventure à ma mère. »
Touchante recommandation qui peint bien la sensibilité vraie de ce cœur qu’on a souvent accusé de dure lé et d’égoïsme. Au milieu de tous ses embarras et de toutes ses inquiétudes sur sa santé, son principal souci est de ne pas affliger sa mère par de mauvaises nouvelles.
Huit jours plus tard, une de ces phases d’un mieux trompeur, qui surviennent dans les plus graves maladies, ne lui fait pas illusion sur son véritable état :
(29 janvier 1866). « Mes crises, vertiges, convulsions, sont devenus plus rares ; mais excepté quand je suis couché sur le clos, je ne suis pas solide. Le médecin, me croyant peut-être guéri, ne vient plus, et je n’ose plus faire payer les médicaments par V hôtel. »
Trois semaines se passent. M. Ancelle annonce qu’il n’a pas été plus heureux que M. Julien Lemer : ses pourparlers ont avorté, Baudelaire refuse d’accepter l’évidence, dresse d’autres plans, écrit à son ami coup sur coup, en deux jours, trois lettres où il développe de nouvelles combinaisons dont il s’obstine à espérer le succès. On ne peut assez admirer l’énergie, le sangfroid qu’il s’efforce de garder dans ces cruelles épreuves. Mais ses nerfs épuisés, dont l’expérience lui a déjà arraché ce cri déchirant de détresse : « À Honfleur ! Je plus tôt possible, avant de tomber plus bas ! (1) » vont échapper au contrôle de sa volonté impuissante :
(1) Mon c<ear mis à nu, LXXIII. «… Quand je pense que, dans ce chien de pays, je n’ai trouvé que vol, mensonge, pertes forcées d’argent, et que, par surcroît, la Belgique ne m’aura servi qu’à rendre toutes mes affaires à Paris plus difficiles, je suis pris d’une sorte de fureur… L’attente de vos réponses me cause une agitation qui m’empêche complètement de travailler. »
Il contremande toutes négociations, résolu à agir en personne : « Contre vent et marée j’irai à Paris le 10 mars… »
Le i5 mars arrive sans que Baudelaire ait quitté Bruxelles. Ne recevant aucune nouvelle, M. Àncelle s’inquiète vivement de ce long silence, si contraire aux habitudes de son ami ; il en demande la cause, et il reçoit le 3o mars, une réponse, qui explique pourquoi le poète a renoncé au voyage projeté :
m i° Je ne peux pas bouger ; 2 j’ai des dettes ; 3° j’ai, pour finir mon travail, cinq ou six villes à visiter. »
Et ce billet, qui n’est plus rempli que de détails d’affaires, se termine par cette ligne alarmante :
ce Excusez mon style écourté, j’emprunte la plume d’un autre. »
En effet depuis douze jours, Baudelaire gardait le lit, terrassé par une crise plus violente que toutes les précédentes.
Au commencement de mars 1866, le beau-père de son ami, M. Rops, l’avait invité à venir passer quelques jours chez lui, à Namur. Baudelaire, dans un sommaire de son livre sur la Belgique, excepte nommément de la haine générale qu’il avait vouée aux indigènes, « ce magistrat sévère et jovial, grand chasseur, ia seul homme de Belgique sachant le latin et avant l’air d’un Français ». Il avait donc accepté avec joie l’invitation. Il connaissait déjà Namur (i), mais il fut heureux de l’occasion de revoir l’église SaintLoup, qu’il considérait comme « le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre des Jésuites » ; — il compare, dans une note, « cette merveille sinistre et galante à l’intérieur d’un catafalque, — terrible et délicieux, — brodé de noir, de rose et d’argent ».
Comme il admirait et faisait admirer à PouletMalassis et à M. Rops, qui l’accompagnaient, les confessionnaux sculptés avec la plus riche profusion, il chancela, pris d’un étourdissement subit, et alla s’abattre sur une marche. Ses amis le relevèrent ; il ne parut pas s’effrayer et prétendit que le pied lui avait glissé. On feignit de le croire ; mais le lendemain matin, en se levant, il donna des signes de trouble mental . On le ramena en hâte à Bruxelles : à peine monté dans le wagon, il pria qu’on ouvrît la portière ; or, elle était ouverte. Il avait dit le contraire de ce qu’il voulait dire. L’aphasie, dont il fallait voir là un indéniable prodrome, ne tarda pas à se déclarer.
Le mal prit rapidement le caractère le plus grave. Le I er avril, Poulet-Malassis écrivit à Charles Asselineau pour lui faire part de ses inquiétudes (2). Les journaux de Paris commencèrent à parler de la santé de Baudelaire, certains même n’hésitant pas à imprimer que le poète des Fleurs du mal agonisait à l’hôpital (3).
(1) Voir dans la Belgique vraie, Namur.
(2) Dans sa Vie de Baudelaire, Asselineau a résumé cette lettre en quelques lignes.
(3) M. Félicien Rops protesta aussitôt contre cette M. Troubat, en son nom et au nom de SainteBeuve 1), s’empressa de demander des nouvelles à
fausse assertion. J’ai la bonne fortune d’avoir entre les mains la lettre qu’il écrivit de Bruxelles, à un ami, pour le prier de l’aider à détruire ce méchant bruit qu’il jugeait, dans sa générosité, aussi injurieux à l’endroit des amis de Baudelaire, qu’à l’endroit de Baudelaire lui-même : «… Fais-moi un plaisir : c’est celui de dire à M. Pierre Véron qui annonce assez inutilement et très faussement que notre ami Charles Baudelaire « agonise à l’hôpital » : i° Qu’il n’agonise pas et 2° que Charles Baudelaire s’est fait en Belgique des amis assez dévoués, au nombre desquels je me fais l’honneur de me ranger, qui n’auraient jamais laissé Charles Baudelaire recourir à l’hôpital tant qu’ils auraient eu le moindre pignon sur rue et à défaut de pignon le moindre toit pour le recevoir. — Ce que je te demande là est très sérieux et tu me feras grand plaisir de faire toi-même cette démarche auprès de M. Pierre Véron en mon nom ; tu peux du reste lui montrer ces quelques mots… »
(i) Sainte-Beuve n’avait pas attendu que le mal éclatât pour donner à son ami de très sages conseils : « Il vous faut observer un régime assez exact : vous avez un fond de forte nature, mais la nervure a été chez vous fort travaillée et fort aiguisée. Ne faites rien qui la surexcite. Je sais tout ce que l’ennui a d’assommant. Il est pourtant nécessaire, dans la vie et pour la vie, de savoir s’ennuyer un peu. » (Correspondance, t. II, p. 5i. Lettre du i5 février 186G). Du reste, il est vraiment touchant de voir comme Sainte-Beuve redouble d’affection pour Baudelaire, depuis qu’il le sait malheureux et malade. Non seulement, il répond, avec plus d’effusion, à ses lettres, et dans le Constitutionnel, fait un éloge anticipé du Spleen de Paris, mais il cherche à lui venir en aide dans ses pourparlers avec divers lihraires. Ainsi Baudelaire l’ayant prié Poulfet-Malassis qui lui répondit, le lendemain (1) : Bruxelles, lundi 9 avril 1866. » Mon cher Troubat,
» Voici, en peu de mots, la vérité sur la maladie de Baudelaire.
» Depuis six mois, tout l’ensemble du système nerveux était, chez lui, fort compromis. Il a négligé de tenir compte de symptômes et d’avertissements graves, et contre l’avis des médecins et les prières de ses amis, a continué à user et abuser d’excitants. Sa volonté était si faible, à cet égard, contre ses habitudes, qu’on ne mettait plus d’eau-de-vie sur la table, chez moi, pour qu’il n’en but pas. Autrement son désir était irrésistible.
» Il y a quinze jours, — dix-huit jours, — il a dû s’aliter. Vertiges, ataraxie du côté droit, bras et jambes (2).
de le seconder auprès de MM. Garnier, en le patronnant de sa haute recommandation, il lui répond : « J’ai dit ce qu’il fallait sur votre talent et sur votre distinction, etc. » (Correspondance, t. II, p. 23. Lettre du 4 septembre i8G5.) — Quelques mois plus tard, écrivant à M. A. Lemerre, au sujet des poètes de la pléiade du xvi 9 siècle, que cet éditeur publiait, Sainte-Beuve glisse, à la fin de sa lettre, ces deux lignes en faveur de son protégé : — « P. S. N’oubliez pas, de loin, notre bon ami Baudelaire, un poète de la pléiade aussi. » (Correspondance, t. II, p. 54Lettre du 24 janvier 1866.)
(1) Cette lettre, inédite jusqu’ici, étant le document le plus complet et le plus authentique que nous ayons sur les origines et la marche de la maladie, je n’hésite pas à la citer tout entière. / (2) Une chronique du Figaro (numéro du 22 avril 1866), sous la signature « Marquis de Villemer », (Charles Yriarte) donne sur les prodromes de la maladie des détails que je n’ai trouvés que là, mais qui doivent être exacts, car l’auteur de l’article avait à Bruxelles, pour correspondant, un journaliste lié avec les amis du poète : « Les » J’aurais voulu le reconduire à Paris, ou mieux auprès de sa mère. Il s’y est refusé avec une sorte de colère.
» Il y a eu vendredi huit jours, la paralysie du côté droit s’est déclarée en même temps que le ramollissement du cerveau.
» J’avais cru devoir écrire à l’homme d’affaires de sa mère, M. Ancellc, maire de Neuilly, qui est venu. On a décidé, non sans peine, Baudelaire a quitter l’hôtel pour une maison de santé, soignée par des Sœurs (sic). Au fait, c’est une sorte d’hôpital, mais le seul lieu où on pût le mettre ici convenablement.
» Je reste auprès de lui, chaque jour, les deux heures autorisées pour les visites, et je ne peux pas garder d’espoir d’un rétablissement.
» Il baisse à vue d’œil. Avant-hier, il confondait les mots pour exprimer les idées les plus simples ; hier, il ne pouvait pas parler du tout.
» Baudelaire, rétabli physiquement, ne serait plus, de l’avis des médecins, qu’un homme réduit à l’existence animale, — à moins d’un prodige, — disaient-ils, il y a huit jours, — et depuis lors, ils ne parlent plus de prodige.
» Voici, mon cher Troubat, la vérité. Usez— en discrètement. La mère de Baudelaire est impotente ; autrement, elle serait au symptôrnes de cette attaque étaient tellement bizarres que les médecins hésitaient à donner un nom à cette maladie. Au milieu de ses douleurs, Baudelaire éprouvait une certaine satisfaction à être atteint d’un mal extraordinaire, et qui échappait à l’analyse ; c’était encore une originalité. »
L’article se terminait par cette appréciation de l’homme : u …. Ceux qui ont eu des relations personnelles avec M. Baudelaire regrettent en lui l’ami dévoué, l’homme sur dont on pouvait à tout moment invoquer l’obligeance ; il est difficile d’être plus scrupuleux et plus méticuleuscment loyal que l’est Baudelaire ; il avait au plus haut degré la conscience littéraire. » près de lui. Vous comprendrez ce que la vérité brutale, apprise par les journaux, pourrait causer de tourments à cette pauvre femme, à qui on a du laisser de l’espoir, — moi le premier, qui, d’ailleurs, en avais gardé jusqu’à vendredi dernier… J’ai écrit à A.ssclineau chaque fois que la situation de Baudelaire a varié. Je supposais qu’il vous avait instruit de la situation au vrai. »
Les termes si précis de cette lettre ne permettent pas de douter que l’intempérance ne fût une des causes principales de la paralysie qui frappait Baudelaire (1).
(1) Dans la notice des Œuvres complètes de Baudelaire, Théophile Gautier proteste contre cette opinion que l’auteur des Fleurs du Mal eût « l’habitude de chercher l’inspiration dans les excitants », et que la paralysie qui l’emporta dût être attribuée à des excès de haschisch et d’opium ». Il n’hésite pas à écrire : « Sa maladie n’eut d’autre cause que les fatigues, les ennuis, les chagrins et les embarras de toute sorte inhérents à la vie littéraire pour tous ceux dont le talent ne se prête pas à un travail régulier et de facile débit. » Enfin, Gautier va jusqu’à cette assertion tout à fait téméraire : « Qu’il ait essayé une ou deux fois du haschisch comme expérience physiologique, cela est possible et même probable, mais il n’en a pas fait un usage continu. » On trouvera çà et là, dans les lettres de Baudelaire à Poulet-Malassis, la réfutation de cette apologie trop complète. Par exemple, il y raconte qu’il tient d’un pharmacien de ses amis une recette pour composer soi-même du haschisch, et, dans un autre endroit, à la date de i85q, il écrit au seul confident, pour lequel il n’ait pas de secrets : « Je suis bien noir, mon cher, et je n’ai pas d’opium. »
Il écrit encore à M. Ancelle : « Un médecin, que j’ai fait venir, ignorait que j’avais fait autrefois un long usage de l’opium… » (Lettre du 26 décembre i8G5. — Voy. plus haut). En réponse à la lettre de Poulet —Malassis. M. Àncelle était accouru à Bruxelles. De concert avec lui et M. Arthur Stevens, qui prodiguait au malade des soins
Enfin ce billet adressé a M. Fraisse, à l’époque de la publication des Paradis artificiels, et en réponse à une lettre où le critique du Salut Public lui demandait quelques renseignements sur l’opium et le haschisch, démontre que s’il réprouvait leur usage, Baudelaire n’en tenait pas moins de l’expérimentation personnelle sa science des excitants :
« Défiez-vous de tout excitant. Je connais une anecdote terrible, quoique n’ayant pas traita l’opium. Il s’agit d’une femme du monde qui était arrivée à une atonie et une mélancolie inexplicables, simplement pour avoir, pendant plusieurs années, fait usage avec son mari du vin de Champagne. Or, le Champagne est un corrupteur bien innocent, comparativement au chanvre indien, au laudanum et à la morphine.
» J’ai pris tout excitant en horreur, à cause de l’amplification du temps et du caractère d’énormité que cet excitant quelconque donne à toute chose. Il est impossible d’être non pas seulement homme d’affaires, mais même homme de lettres avec une orgie spirituelle continuée. »
On peut tirer encore un argument puissant du rapprochement des deux billets, au premier abord contradictoires, à Malassis et à M. Fraisse. Remarquons-le, quelques mois à peine les séparent. Ainsi Baudelaire, presque dans ie même temps où il met en garde un de ses correspondants contre l’opium, se plaint à l’autre de n’en avoir pas. Ceci ne tendrait à rien moins que démontrer que Baudelaire aurait, à l’instar de Quincey, pour lequel il témoigna d’une compassion si fraternelle, éprouvé le poison, non seulement dans son despotique besoin, mais aussi dans les terribles combats qu’il livre au libre arbitre révolté. Et par là seraient expliqués bien des passages à demi-obs dévouas, il avait, comme nous l’avons vu par la lettre citée plus haut, fait transporter Baudelaire dans la maison de santé, tenue par des Sœurs.
curs des journaux intimes, les allusions que leur auteur fait à ses vices, ses cris de détresse, surtout l’émiettement de sa volonté dont il se plaint souvent, et dans l’instant même où il semble témoigner, au contraire, d’une très agissante énergie.
Quant aux liqueurs alcooliques, il ne s’y adonna que dans les dernières années de sa vie. Jadis il ne s’enivrait jamais. « Il était naturellement sobre. Nous avons souvent bu ensemble, je ne l’ai jamais vu gris ni lui moi. » (Notes de M. Le Vavasseur). Mais il a de tout temps aimé le vin. C’est ce que prouvent les anecdotes caractéristiques racontées par Maxime du Camp dans ses Souvenirs de jeunesse, par Alexandre Schanne, dans les Souvenirs de Schaunard. Je pourrais citer, sur ce point, d’autres témoignages, notamment celui de M. Troubat. Dans l’extrême détresse d’âme à laquelle il était réduit par la pauvreté, parla maladie, par l’impuissance de travailler, il accepta, avec désespoir, la ressource funeste qu’il conseille, dans un de ses poèmes en prose, à qui veut échapper au sentiment de l’éternelle misère humaine : « Pour ne pas sentir l’horrible fardeau qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. — Mais de quoi ? — De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous. » (OEuvres complètes, t. IV, p. 106). Les deux dernières de ces ivresses, les seules qui soient nobles et salutaires, lui étaient devenues inaccessibles ; il eut recours à la première. Pour être exact jusqu’au scrupule, il faut remarquer que le mal auquel il succomba couvait peut-être dans ses veines, et que son intempérance a pu en hâter seulement l’explosion. On voit par ses lettres à Poulct-Malassis, qu’en juillet 1860, une attaque de paralysie avait également frappé, à l’âge de cinquante-cinq Le pauvre aphasique ne pouvait plus exprimer sa pensée que par des gestes.
M. Ancelle écrivit à Mme Aupick pour la préparer à
ans, son frère, Claude Baudelaire, que M. Prarond, qui l’avait rencontré, décrit ainsi dans ses notes : « Notre Baudelaire, outré physiquement, plus grand, plus fort, brusque, à mouvements impétueux, à saccades, un Baudelaire avec une gesticulation galvanique. La nervosité de Charles se dissimulait, au contraire, sous des dehors très mesurés, très calmes. Une grande ressemblance d’ailleurs», — et dont M. G. de Nouvion nous dit que, magistrat à Fontainebleau, il fut admis à la retraite : pour cause d’infirmités paraissant dériver notamment de l’exercice de ses fonctions. » Mme Aupick, elle encore, devait mourir paralysée. Enfin, si l’on admet l’influence de l’hérédité dans ces maladies si mystérieuses, il faut tenir grand compte de ces lignes, déjà citées plus haut, du journal intime, Fusées : « Mes ancêtres, idiots ou maniaques…, tous victimes de terribles passions. »
On a beaucoup écrit sur la maladie de Baudelaire et ses causes. V. notamment la Chronique médicale, 1901, 1902, 1903, passim.
Le Charles Baudelaire, lettres, d’autre part, publie des billets (8 mai 1869, 16 février 1860), connus jusqu’à ce jour des baudelairiens seulement, et qui semblent nous fournir du mal auquel il succomba une explication nouvelle, celle-là même dont un premier indice nous avait été donné par cette note de M. Buisson : «… Chaste, il l’eût été sans le voyage d’outre-mer, la femme juive, la femme javanaise et le dérèglement d’une vie jetée hors de ses voies par un accident capital et douloureux… » Il faut reconnaître que cette explication-là vaut autant et plus qu’une autre et que, si on l’admet, bien des voiles se trouvent soulevés, qui enveloppaient les étranges fantaisies du poète et l’outrance de son pessimisme. Un exemple la pleine révélation du mal qui avait frappé son fils. Quoiqu’elle fût elle-même à demi paralysée des jambes, elle voulut faire le voyage de Bruxelles pour le soigner.
entre cent : chacun connaît la légende des cheveux verts sur laquelle ont brodé tous les chroniqueurs, et que Champfleury, rapporte dans ses Souvenirs ; elle se réduirait à cette vérité : Baudelaire, atteint d’alopécie — l’alopécie est, on le sait, une des conséquences ordinaires de « l’accident capital et douloureux », et je tiens d’un de ses contemporains, encore vivant, qu’il ne l’évita point,
— se fit raser la tète ; mais, afin que nul ne soupçonnât pour quelle cause étaient tombées les belles boucles que lui connut Th. Gautier (V. la notice des Œuvres complètes), et dont il était assez lier, il se teignit les cheveux en vert, — masquant ainsi une précaution hygiénique sous le prétexte d’une fantaisie excessive, donc savoureuse à son goût.
Au reçu de la lettre de Poulet-Malassis, et sous le coup de l’émotion, M. Jules Troubat répondit par la belle page qu’on va lire. Je n’hésite pas à la donner ; le lecteur, j’en suis certain, y trouvera l’écho de ses propres pensées :
« …Voilà donc comment finiront toujours les poètes ! La machine sociale a beau se tourner et se régulariser pour les bourgeois, les gens de métier, les ouvriers, les artisans et les marchands, aucune loi bienfaisante ne s’établira pour donner à ces natures indisciplinées et impatientes de tout joug, de quoi, au moins, s’assurer leur mort sur un lit à elles. — Mais l’eau-de-vie, dira-ton ?
— La belle affaire ! Vous en buvez, vous, bourgeois, épicier, vous avez autant de vices et même plus que le poète, vous vous enrichissez et vous ne faites pas de vers… Lui, croit que c’est un besoin pour lui, que ce qu’il boit facilite la production (non pas la digestion, comme chez vous)… Balzac se brûle à force de café, Musset s’abrutit Une lettre d’elle, bientôt adressée à M. Ancelle, qui était rentré à Paris, nous renseigne abondamment sur l’état où elle le revit :
« J’arrive à Bruxelles, à l’hôtel du Grand-Miroir. Les médecins ne m’ont pas caché l’état grave où il est, non pour la santé, mais pour la tète : cette tête a trop travaillé, il est fatigué avant Vdge.
» Sans avoir la langue paralysée, il a perdu ta mémoire du son… Xon, quie, quie, les seuls mots qu’il articule, il les crie à tuetète .. H y a ramollissement au cerveau, c’est évident. Quand il n’est pas en colère, il écoute et comprend tout ce qu’on lui dit. Je lui raconte des choses de sa jeunesse, il me comprend, il m’écoute attentivement. Et puis quand il veut répondre, les efforts impuissants qu’il fait pour s’exprimer l’enragent. Les médecins lui voient l’intelligence perdue et veulent que je m’en aille ; ce qui lui fait perdre la raison, c’est de ne pouvoir parler .. Aucun acte extravagant, pas d’hallucinations… Il mange, il dort, il sort en voiture avec Stevens et moi, ou à pied, avec une canne, sur la promenade publique, au soleil (1). Mais, plus de
avec de l’absinthe et produit encore ses plus belles strophes, Murger meurt de tout dans une maison de santé, comme Baudelaire dans ce moment ci. Et aucun de ces écrivains n’est socialiste î
Il est malheureux d’être organisé de la sorte, et ce sont des natures d’élite à qui le même sort est réservé.
De puissants cerveaux échappent à ces tics, mais ils sont trois ou quatre dans la grande famille intellectuelle. Et encore ont-ils tous leur manie ou leur petit vice qui les tue lentement… >) (Lettre du 10 avril 1866, communiquée par M. Maurice Tourneux).
(1) Dans une lettre à Asselineau, qui l’a publiée dans sa Vie, Malassis raconte une promenade qu’il fit faire à son malheureux ami :
« Enfin nous partons. Nous faisons un tour dans la verdure, nous descendons pour déjeuner dans un petit paroles. Je ne m’en irai pas, je le conserverai comme un tout petit enfant.
» Il n’est pas aliéné comme disent les médecins. Malassis prétend que l’organisation d’un poète est si différente de celle des autres personnes qu’elle peut parfois dérouter les médecins. Quel excellent jeune homme que ce Malassis ! Il pleurait à chaudes larmes. Comme il est bon ! Ce jeune homme doit avoir une belle âme !
» Je ne crois pas qu’il puisse lire, il aurait constamment un livre à la main ; s’il prend un livre, il ne voit plus les caractères et le rejette.
» Quand il me voit, il est ému. Aimée (1) dit qu’il a Vair de se retenir de plaisir… 11 n’est pas méchant. J’ai de l’empire sur lui. Il se calme à mes douces paroles. Jamais de colère avec moi, même pas de bouderie… Il s’est emporté contre moi co matin pour la première fois… Il est très mobile. Il détestait Aimée il y a quinze jours, à présent il est au mieux avec elle. Les nerfs jouent un grand rôle. Après s’être emporté, il a parfois de longs éclats de rire, qui m’effraient… Il est très irrité quand je prends la plume… Il ne se fâche jamais sans motif.
» Il montre avec dégoût quelque chose dans le coin de la chambre. On lui apporte tout. Il montre toujours, colère terrible. On lui apporte du linge sale qui était sous un lit. Il se calme. Soins de propreté excessive.
» On a employé l’électricité avec succès, mais, craignant l’excitation et les violences, on a cessé.
» Il écoute avec attention, il rit, il se moque, il fait si bien comprendre sa pensée, il y a toujours tant d’esprit et de viva cabinet. Je lui tiens la conversation la plus égayante que je puis. Et je le ramène sans qu’il ait témoigné autre chose que le plaisir de vivre et du contentement, levant de temps en temps les yeux au ciel avec une expression de résignation, après un vain effort pour parler » (7 juin 1866). (1) La servante de M me Aupick. cite dans le regard… Il avait mes lettres sur la table de nuit 1 Et dans les poches de son paletot, de grosse étoffe grossière, beaucoup de petites photographies de lui par Nadar. »
» Des amis de Paris veulent se cotiser pour l’y ramener et le soigner… Stevens et Malassis, qui lui est beaucoup plus sympathique, ont obtenu de la Société des Gens de lettres un compartiment particulier, à prix réduit. Lui, ne veut pas partir, ni sortir : il veut parler.
» Il n’est certainement pas dans une position à être privé de sa liberté, ce serait inhumain, ce serait un crime. Il n’a qu’une idée fixe : ne pas être dominé… Il ne veut pas se couvrir la tête au soleil, dans la cour… Les sœurs lui imposent des pratiques ; quand il mange, elles voudraient qu’il se signât de la croix ; alors il est doux, et, d’une patience admirable, ferme les yeux, ou tourne la tête sans se fâcher. 11 fait semblant de dormir, quand elles le tourmentent, mais elles peuvent provoquer une scène qui le tuerait.
» Il peut vivre 3o ans, tout en étant aphasique toute sa
vie (i).
» Veuve Alpick. »
Mais bientôt la présence de sa mère, loin de calmer Baudelaire, exaspéra son état mental. Un médecin aliéniste français, le docteur Lassègue, consulté par lettre, jugea que, dans l’intérêt du malade, la vie commune devait être évitée. La pauvre mère dut se résigner à ne pas emmener son fils à Ronfleur.
Il avait quitté, au bout de quinze jours, la maison des Sœurs", où la supérieure se scandalisait et se plaignait des jurons que la souffrance et l’impatience d’être mal compris arracbaient au paralytique ; elle en concluait qu’il manquait de religion.
(i) Féli Gautier : Documents sur Baudelaire, Mercure il’ France, i’ 1 ’ février 1905. Baudelaire fut ramené à l’hôtel du Grandi-Miroir. Enfin, le i cr ou le 2 juillet, il put être transporté à Paris. Sa mère et M. Arthur Stevens l’accompagnaient. Asselineau, qui attendait son ami, à la gare du Nord, raconte quelle douleur lui serra le cœur, en retrouvant son ami si cruellement frappé 1 .
Le 4 juillet, Baudelaire entra dans la maison de santé située rue du Dôme, près l’avenue d’Eylau, et dirigée par le docteur Emile Duval.
Dans les premiers temps, les soins du médecin et le régime hydrothérapique amenèrent une réaction favorable.
Le poète habitait, au rez-de-chaussée du pavillon situé au fond du jardin, une chambre convenablement meublée, haute de plafond, parfaitement aérée. Les murs avaient pour principal ornement deux toiles de Manet, dont l’une était une copie de ce portrait de la duchesse d’Albe par Goya qu’il admirait tant (2).
Il mangeait à table avec les autres pensionnaires ; il écoutait les conversations et y intervenait, très souvent, par des gestes d’approbation ou de protestation. Dans ce dernier cas, son avis se manifestait par les signes de l’irritation la plus vive.
Il put, pendant quelque temps, essayer d’écrire sur une ardoise ce qu’il voulait exprimer. Mais sa main déviait avant d’avoir tracé la fin du mot 3).
(1) Vie de Baudelaire, p. 95-96.
(2) V. la lettre à Nadar, du 16 mai i85q.
(3) Je tiens ces renseignements de M. Emile Duval. Un de ceux qui ont soigné Baudelaire avec le plus de dévoue Ses meilleurs amis allaient régulièrement le voir (i). Léon Cladel prévenu télégraphiquement, accourut
ment m’a raconté un trait qui révèle la profondeur des ravages subis par le cerveau du poète. Asselineau voulait lui faire signer la quittance d’une somme qui venait de lui être remise, Baudelaire restait, la plume suspendue, cherchant visiblement son nom. Pour qu’il pût l’écrire, son ami lui mit sous les yeux le titre d’un de ses livres. C’est ainsi qu’il se rappelait les noms des amis qui venaient le voir, mais il ne pouvait que les répéter, quand on les lui avait prononcés.
Asselineau raconte que l’un d’eux, M. Nadar, de qui Baudelaire reçut avant et pendant sa maladie, des marques d’un tendre attachement, avait tenté de l’emmener, une fois par semaine, diner avec d’anciens amis. Le malade, d’abord heureux de cette distraction, dut y renoncer ; « Il payait le plaisir d’une soirée par des insomnies et des excitations suivies d’accablements qui contrariaient le traitement » (Vie de Baudelaire, p. 101).
(i) « J’ai nommé à Charles quelques-uns de ses amis pour savoir s’il serait désireux de les voir ; il a accueilli avec joie les noms de Sainte-Beuve, Max. Dacamp, Henry la Madeleine (sic), Théodore de Banville, Hetzel y Le Comte de llsle (le poète) (sic). » (Lettre de M rae Aupick à Malassis, 1 1 juillet 66.)
Il est à noter que Baudelaire, dont la légende tendrait souvent à nous faire douter des qualités de son cœur, avait inspiré à ses amis un attachement qui lui resta fidèle jusqu’au dernier jour.
Baudelaire reçut aussi les visites de plusieurs femmes du monde qui étaient de ses amies. « Une d’elles parvint à le décider à se laisser peigner. Sa chevelure et sa barbe le rendaient effrayant ; quand il se regarda dans la glace, il ne se reconnut pas, et salua. » (Le Gaulois, 27 septembre 86, article signé Ange Bénigne, (la comtesse de Molènes.) de Cherbourg pour embrasser « ce maître à la fois doux et sévère (i) ». Un mois et demi après le retour de Baudelaire à Paris, le i5 août 1866, M. Champlien in écrivait à Poulet —\lalassis :
«… Baudelaire va bien. Ira-t-il mieux ? J’en doute. La personne qui lui a montré le plus de vives sympathies a été M" 10 Meurice.
» Je lui avais écrit que j’étais certain des excellents résultats qu’on obtiendrait par la musique, et j’en parlai, par avance, à Baudelaire, en insistant sur Wagner, ce qui lui occasionna des émotions vives, rien qu’à l’idée d’entendre ces morceaux.
» BraAement, M mc Meurice apporta la partition du Tannhauser, et l’effet fut tel que celui que j’attendais. Je n’étais pas à la séance, mais M me Meurice m’a raconté les vives impressions de Baudelaire. Malheureusement, elle vient de partir pour le bord de la mer ; également M œe Manet, qu’on aurait pu prier de la remplacer, et Baudelaire va rester sans musique jusqu’à la fin de l’automne.
« Baudelaire jouit d’une excessive vitalité et a envie de guérir. Je Tai bien vu, au courage avec lequel il prend ses douches. »
M. Champfleury, de concert avec quelques-uns des plus intimes amis de Baudelaire, lit des démarches pour obtenir du ministère de l’instruction publique une subvention mensuelle qui soulageât la bourse épuisée de M me Aupick et lui permît de suffire aux lourdes dépenses de la maison de santé. Le ministère donna, en octobre 186G, une première somme de cinq cents francs.
(1) Léon Gladel a raconté cette dernière visite et le pèlerinage qu’il fit, quelques années après, au cimetière Montparnasse, dans un article intitulé : la Tombe de Baudelaire (La Plume, 5 octobre 1890). L’amélioration momentanée , qui était survenue •dans l’état de son fils, faisait illusion à la pauvre mère. Elle était retournée à lion fleur, les médecins ayant reconnu que sa présence, plus contraire que favorable au traitement suivi par le malade, semblait n’avoir d’autre effet que de l’exaspérer : mais elle avait régulièrement de fréquentes nouvelles par Àsselineau, M. Ancelle et le directeur de la maison de santé. Quand celui-ci put lui annoncer que le pauvre aphasique avait prononcé deux mots de suite : « Bonjour, monsieur — bonsoir, monsieur », elle s’abandonna aux plus vives espérances (i). Une autre fois, apprenant que Charles avait paru o lire sans difficulté » un billet quelle lui avait fait tenir, elle écrivit à Asselineau : u Mais s’il lit, le voilà sauvé de l’ennui ! »
En effet, une des formes les plus douloureuses du mal qui le suppliciait, c’était l’oisiveté forcée.
Le mal demeura stationnaire pendant plusieurs mois. En dépit de l’hémiplégie du côté droit, l’intelligence semblait être à peu près intacte. Le 21 janvier 1867, M. Troubat mandait à Poulet-Malassis :
(i) Quelques jours après, elle écrivait à Asselineau : <c Yos petits billets sont toujours reçus avec reconnaissance. Le dernier surtout, de dimanche, m’a bien touchée, puisqu’il m’a apporté un bonjour de Charles, provoqué par vous sans doute, mais qui, dans tous les cas, m’a fait du bien. J’ai eu effectivement une lettre du docteur qui m’apprend qu’il dit non seulement des mots, mais de petites phrases, comme par exemple : la lune est belle. Voilà un grand progrès dont je jouis, comme vous pouvez le croire. » « J’ai vu Baudelaire une fois, une seule. Champfleury va le voir de temps en temps. On l’a fait dîner chez Nadar. C’était imprudent, et lui-même, je crois, en a ressenti et manifesté de la fatigue (i). Il en est resté à ces trois mots : Non, cré nom, nom ; et la mémoire n’a pas faibli en lui. Il m’a montré tout ce qu’il aimait, lorsque j’ai été le voir : les poésies de Sainte-Beuve, les œuvres d’Edgar Poe en anglais ; un petit livre sur Goya, — et, dans le jardin de la maison de santé Duval, une plante grasse exotique, dont il m’a fait admirer les découpures. Voilà l’ombre du Baudelaire d’autrefois, mais elle est toujours ressemblante (2). Il a manifesté la plus grande colère à un nom de peintre que je
(1) Voir aussi Vie de Baudelaire, p. 101, le récit d’Asselineau. Les termes en sont presque identiques à ceux de la lettre de M. Troubat.
(2) Ciiampleury, dans ses Souvenirs, a noté pareillement la fidélité de Baudelaire agonisant, à son personnage :
« L’excès de bizarrerie de Baudelaire est certainement l’idiosyncrasie du poète qui fut singulier en plénitude de toutes ses facultés ; la maladie accablante qui met ses sensations à nu, le montre sincère dans ses anciens goûts. L’amour des fleurs tient encore une grande place dans l’esprit de l’ami que je cherche à peindre. Mais les fleurs favorites de Baudelaire ne sont ni la marguerite, ni l’œillet, ni la rose. C’est avec de vifs enthousiasmes qu’il s’arrête devant des plantes grasses qui semblent ou des serpents se jetant sur une proie, ou des hérissons accroupis. Formes tourmentées, formes accusées, tel fut, tel est l’idéal du poète. Il laisse à d’autres les marguerites, en face desquelles il me tenait dernièrement des discours mimés pleins de mépris, ayant éprouvé sans doute des hauts de cœur du méchant emploi des m’aimes-tu ? un peu, passionnément, etc., dont ont abusé les faiseurs de romances.
« Ce qui est rouge, voyant, sonore, dentelé, capricieux, Baudelaire l’a accueilli tout d’abord sans s’inquiéter s’il y avait parfum à recueillir. Il préfère le dahlia à la violette. Je ne saurais mieux expliquer l’homme… » lui ai nommé (toujours comme autrefois) ; mais quand je lui ai parlé de Richard Wagner et de Manet, il a souri d’allégresse.»
Poule t-Malassis lui répondit, quinze jours plus tard :
« Asselineau m’a donné, ces jours-ci, des nouvelles de notre pauvre ami Baudelaire, qui concordent avec les vôtres. Baudelaire est dans un état qui fait illusion à ceux qui le voient, mais son véritable état mental est bien douteux, bien énigmatique. Il a perdu la mémoire du langage et des signes figuratifs, et personne ne peut savoir jusqu’à quel point l’ensemble de son intelligence est affecté de sa paralysie partielle. La clinique de Trousseau contient sur son état un mot navrant : « Rappelez-vous, dit-il en voyant un aphasique qui » vous paraît en possession de son intelligence, quoiqu’il ait » perdu la faculté de s’exprimer, combien de fois vous avez dit, » à propos de certains animaux, qu’il ne leur manquait que la » parole (i). »
Son fils n’étant pas en état d’être transporté à Honfleur, M m0 Àupick revint s’installer près de lui, au printemps de 1867.
À cette époque, la marche fatale de la maladie alla s’accélérant. Vers le milieu du mois d’août, Asselineau écrivait à Poule t-Malassis :
« Les médecins et nous, ses amis, qui ne le voyons pas tous les jours, nous constatons, à chaque fois, la décadence. Depuis deux ou trois mois, il n’a plus voulu quitter son lit. Il est immobile et comme endormi, et ne témoigne plus que par des regards, hélas ! bien tristes, qu’il s’aperçoit de la présence de ses amis. Hier, après une absence de trois semaines, il ne m’a reconnu que par un regard d’une fixité navrante et n’a pu me donner la main qu’après que je l’ai eue dégagée de ses couvertures. On le veille toutes les nuits… »
) Lettre communiquée par M. Troubat. Sa mère ne quittait plus son chevet.
Sur les derniers jours du poète, les renseignements •circonslanciés manquent. Asselineau, dont ces cruels souvenirs déchiraient le cœur, les abrège, autant qu’il le peut, dans son livre.
Le dimanche i er septembre, il annonçait à Poule tMalassis, en quelques lignes, le funèbre dénouement :
u C’est fini. Il est mort hier, à onze heures du matin, après une longue agonie, mais douce et sans souffrance. Il était •d’ailleurs si faible qu’il ne luttait plus. »
Une lettre inédite de M me Aupick à Poulel-Malassis. qui retenu à Bruxelles, n’avait pu assister aux funérailles, contient ce touchant récit de l’agonie de son fils :
« Comme je suis éprouvée ! Me voilà seule au monde sans :plus rien qui me rattache à la vie ? Mon pauvre fils, ce fils que j’idolâtrais n’est plus ! Il a cruellement souffert, dans les derniers temps,, de plusieurs plaies survenues par suite du séjour prolongé au lit, ce qui lui arrachait parfois un cri, quand il fallait le remuer. Cependant il était devenu, dans les derniers temps, très doux et résigné. Les deux derniers jours et les deux —dernières nuits qui ont précédé sa mort ont été très calmes. Il paraissait dormir avec les yeux ouverts, il s’est éteint tout doucement, sans agonie ni souffrances ; je le tenais embrassé depuis une heure, voulant recueillir son dernier soupir : je lui disais mille tendresses, persuadée que, malgré son état de prostration et de mutisme, il devait me comprendre et pouvait me répondre. Aimée, qui était avec moi, me confirmait dans cette pensée. Elle me disait : « Oh ! madame, comme il vous regarde ! Bien sûr, il vous entend, il vous sourit ! » Comment ai je pu résister à un tel coup ? Et je vis ! Il faut croire que Dieu veut m’accorder de jouir, quelque peu de temps, de la belle réputation qu’il laisse, et de sa gloire. Vous perdez un ami qui vous était bien tendrement attaché ; conservez-lui un bon. souvenir, il en en était cligne. »
(18 septembre 1867).
Les funérailles eurent lieu le lundi 2 septembre (1). Le service religieux fut célébré dans l’église Saint-Honoré de Passy, devant une assistance peu nombreuse, une centaine d’hommes de lettres ou d’amis escortèrent jusqu’au cimetière Montparnasse le corps qui fut inhumé dans le caveau de famille, où le général Aupick reposait depuis dix ans 2 .
(1 ) Voici le texte du billet de part :
« M.
» Vous êtes prié d’assister aux convoi, service et enterrement de
Monsieur Charles-Pierre Baudelaire
décédé à Paris, le 3i août 18G7, à l’âge de quarante-six ans, muni des Sacrements de l’Eglise.
» Qui se feront le lundi, 2 septembre prochain, à l’église Saint-IIonoré, sa paroisse, place de l’Hippodrome, à 11 heures précises.
» On se réunira à l’Eglise.
» De la part de M me V° Aupick, sa mère, de M me Pcrrée, sa grand’tante, et de ses enfants, de M mc V e Baudelaire, sa belle-sœur, de M. Jean Levaillant, général de brigade, de M. Jean-Jacques Levaillant, chef de bataillon, de M. Charles Levaillant, général de division, ses cousins. »
(2) On lit sur la pierre lumulaire :
« Jacques Aupick, général de division, sénateur, ancien ambassadeur à Constantinople et à Madrid, membre du Conseil général du département du Nord, grand officier fie l’ordre impérial de la Légion d’honneur et décoré de plusieurs ordres étrangers, décédé à Paris, à l’âge de Les discours prononcés sur la tombe, par Asselineau et Théodore de Banville, composent un panégyrique complet de leur ami, et ont, tous les deux, un caractère très marqué d’apologie, de protestation contre les attaques soit sourdes, soit ouvertes, dont la réputation du défunt avait eu tant à souffrir. Les très nobles louanges, décernées au poète des Fleurs du mal par le
68 ans, le 18 avril 1857. — Charles Baudelaire, son beaufils, décédé à Paris, le 3i août 1867, à l’âge de 40 ans. — Caroline Arciienbaut Defayes (sic), veuve, en premières noces, de Joseph-François Baudelaire, en secondes noces, de M. le général Aupick, mère de Charles Baudelaire, décédée à Honneur (Calvados), le 16 août 1S71, à l’âge de 77 ans. Priez pour eux. »
Voici l’extrait du registre des actes de décès : « L’an mil huit cent soixante-sept, le premier septembre à dix heures du matin, devant nous, Pierre Klein, chevalier de la légion d’honneur, adjoint au maire du seizième arrondissement de Paris, officier de l’état —civil, ont comparu : Narcisse-Désiré Ancelle, âgé de soixantecinq ans, chevalier de la légion d’honneur, maire de Neuilly (Seine), y demeurant, et Charles-FrançoisAlexandre Asselineau, âgé de quarante-sept ans, propriétaire, demeurant à Paris rue du Four Saint-Germain, 43 ; lesquels nous ont déclaré que, le trente-un août dernier, à onze heures du matin, est décédé en son domicile à Paris, rue du Dôme, 1, Charles-Pierre Baudelaire, âgé de quarante-six ans, homme de lettres, né à Paris ancien onzième arrondissement, célibataire, fils de Joseph-François Baudelaire, décédé, et de Caroline Dufays (sic), sa veuve, âgée de soixante-dix ans, rentière, demeurant à Ronfleur (Calvados). Après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous, après lecture faite. Signé : Ancelle, Charles Asselineau, P. Klein. » poète des Stalactites, contiennent un véritable développement de critique littéraire sur ce thème : Baudelaire a été un novateur, au même titre que Balzac ou Eugène Delacroix, puisqu’au rebours de Victor Hugo, qui a toujours transfiguré l’homme et la nature, à l’image d’un certain idéal voulu, « il a accepté tout l’homme moderne, avec ses défaillances, avec sa grâce maladive, avec ses aspirations impuissantes… »
Asselinea», lui, s’attacha uniquement à venger l’homme privé en son ami, des insultes et des calomnies, à détruire la « légende » qui s’était formée sur lui, de son vivant. Il répéta, sous des formes variées, l’affirmation contenue dans cette phrase qui résume son discours : « Oui, ce grand esprit fut, en même temps, un bon esprit ; ce grand cœur fut aussi un bon cœur. »
Le langage de la presse fut moins favorable au poète, sauf l’article qu’Auguste Vitu publia, le lendemain des funérailles, dans le journal Y Étendard. C’est à peu près le seul qu’Asselineau excepte de ses critiques ou de sa réprobation (i).
A\ec sa sagacité habituelle et son souple talent d’écrivain, l’éminent critique y apprécia, d’une façon
( \) Voir le texte de ces deux discours, dans le recueil : Souvenirs, — Correspondances, etc., p. I2p,-i44— — Pour être complètement informé de tout ce qui concerne les funérailles de Baudelaire, il faut aussi lire la lettre d’Asse eau à Poulet-Malassis, que nous donnons dans l’Apendice. M. Maurice Ïourxeux à qui nous avons tant d’autres obligations, a bien voulu nous permettre de reproduire cet important document qui est inséparable d’une biographie de Baudelaire. aussi fine que juste, les qualités cle l’homme et de l’artiste i .
\sselineau, qui se voua tout entier à cette pieuse tâche, dirigea la publication des Œuvres complètes de Baudelaire. Il laissa Théophile Gautier en écrire la préface (2) qui est un très brillant morceau de critique littéraire ; mais, voulant rendre lui-même à son ami un dernier témoignage de son admiration enthousiaste,
! 1) Cet article a été réimprimé dans le recueil des Souvenirs, — Correspondance, etc., p. 126.
Vitu était très lié avec Baudelaire. Dans leur première jeunesse, ils s’étaient beaucoup hantés, et le très ingénieux journaliste était du petit nombre des gens d’esprit avec lesquels le poète aimait à goûter le plaisir de la conversation, dont il était si friand.
En 18/45, à l’époque où ils écrivaient tous deux au Corsaire-Satan, ils s’entendirent avec deux de leurs amis, Pierre Dupont et Théodore de Banville, pour organiser une mystification littéraire où la verve ironique des quatre jeunes gens se donna pleine carrière. Un entrefilet du journal VÉpoqae lança la nouvelle qu’Arsène Houssaye écrivait une tragédie dont Sapho était l’héroïne et qui serait jouée par Rachel. L’Entracte reproduisit la nouvelle, et le Corsaire-Satan, du 2a novembre i845, donna un fragment de l’œuvre apocryphe, improvisée par Baudelaire, P. Dupont, Th. de Banville et Yitu.
La bibliographie La Fizelière et Decaux cite ce pastiche de la tragédie classique, telle que Ponsard venait de la ressusciter, dans sa Lucrèce, avec un succès qui avait pour principale cause une réaction passagère contre le romantisme et le théâtre de Victor Hugo.
Ajoutons que Vitu écrivit encore avec Baudelaire des légendes versifiées pour un Salon illustré, vers i8/|5. (2) À propos de cette préface, Asselineau écrivait à il publia ce Charles Baudelaire, s a vie, son œuvre, 18G9, auquel la généreuse obligeance de M. Alphonse Lemerre nous a permis de faire d’abondants emprunts.
M mfl Aupick, qui semblait ne plus vivre, comme elle l’avait écrit à Poulet-Malassis, que pour jouir de la renommée de son fils, remercia le biographe par une lettre où éclatait une affection vraiment maternelle. — Les deux premiers tomes des Œuvres complètes pa rurent en décembre 1868 [1) (Paris, Michel Lévy frères}.
Poulet-Malassis : u La notice sera de Gautier. Sera n’est même pas le mot juste, car elle est faite et elle est très bien. Elle est d’un ton attendri, rare dans les notices de Théophile, et, sons ce rapport, de beaucoup supérieure à celle qu’il a mise en tète des articles de son ami Gérard (de \crval). » (Lettre inédite, sans date ; les lettres d’Asselineau ncn portent presque jamais.) — Du reste, l’auteur de la Comédie de la mort s’est fait, avec une persistance marquée, un véritable point d’honneur de contribuer à la renommée du poète des Fleurs du mal. Voici la liste des diverses études qu’il lui a consacrées : I. Notice dans le quatrième tome des Poètes français, p. 5q4 (i8C3). IL Article nécrologique (le Moniteur, 9 septembre 1867). III. Quelques pages du travail intitulé : Les Progrès de la poésie française depuis i83o. Réimprimé dans l’Histoire du romantisme, p. 347-357 (Paris, Charpentier et C ie , 1874). I\ . Notice en tète du tome r r des Œuvres complètes.
1 \ oici la liste des diverses œuvres de Baudelaire publiées par lui, à partir du moment où il fixa son séjour en Belgique.
18G4. Eurêka, traduit d’Edgar Poe (Michel Lévy). Réimprimé dans les Œuvres complètes. — Le Spleen de Paris. En i8()5, les amis et les fervents de Charles Baudelaire, — d’aucuns aussi qui s’étaient réclamés de lui
Sous ce titre, qui devait à l’origine être celui de toute cette série, ont paru divers poèmes en prose (Revue de Paris, 20 décembre 1864). Réimprimé dans les Œuvres complètes.
i865. Histoires grotesques et sérieuses, traduit d’Edgar Poe (Paris, Michel Lévy). Notes sur Proudhon [Petite revue du il mars 1864). Réimprimé dans les Œuvres complètes. — Le Cottage Landor, traduit d’Edgar Poe [Vie parisienne , 24 juin i865). Réimprimé dans les Œuvres complètes.
1866. Les Épaves. Avec une eau-forte, frontispice de Félicien Rops. Amsterdam (Bruxelles), à l’enseigne du Coq. Réimprimé à 5oo exemplaires sur papier vélin, sans le frontispice ni la préface (Briars, Bruxelles). Outre les six pièces condamnées de la première édition des Fleurs du mal, ce recueil contient quelques pièces qui ont été exclues des Œuvres complètes, deux « galanteries » : Promesses d’un visage, le Monstre ; trois a bouffonneries » : Sur le début de mademoiselle Amina Boschetti, À propos d’un importun et Un cabaret folâtre. — Deux autres « poésies burlesques » : Vénus Belge, et Sonnet sur Vacquerie et P. Meurice ont paru, avec une réimpression des Promesses d’un visage, dans le Nouveau Parnasse satirique du xix e siècle, Eleutheropolis (Bruxelles, 1860).
Mais, selon M. Vitu, ce Sonnet, qui avait déjà paru vingt ans plus tôt dans la Silhouette (i er juin i845) ne serait pas de Baudelaire. V. la rectification de M. Vitu, Appendice, IX).
Les pièces de vers, dont la mention précède, n’ont pas été comprises dans les Œuvres complètes. On en a exclu également des bouts-rimés peu dignes de l’auteur des Fleurs du mal. Vers laissés chez un ami absent, et Sonnet pour s’excuser de ne pas accompagner un ami à Namur. Ces deux pièces ont été imprimées à la fin du recueil des Sou pour imposer à la foule des divagations poétiques dont il eût certes renié la parenté, — conçurent le projet
venirs — Correspondances, etc., ainsi que quatre autres pièces sous cette rubrique : Amxnilales belgic ;v, auctore C. B. ; s. nom d’imp. s. 1. n. d. (Bruxelles, février 1 866), petit in-8° de 16 pages. Recueil de seize épigrammes sur la Belgique, tiré à dix exemplaires, mis au pilon, moins un, sur peau de vélin.
En 1868, la bibliographie La Fizelière et Decaux avait ajouté à l’article Amœnilaies Belgicœ la. note suivante : « La maladie de Baudelaire étant survenue pendant le tirage, l’éditeur crut devoir détruire l’édition, — si on peut appeler ainsi un tirage fait à ce nombre infinitésimal, — moins l’exemplaire sur papier vélin seul » (Note communiquée par A. Poulet-Malassis). À la fin de la bibliographie anonyme du recueil Souvenirs-correspondances, etc., on lit, p. i84-i85, une autre note se rapportant au même article : « Le recueil Amœnitates Belgicœ (in-8 de 16 p.) n’a pas été détruit jusqu’au dernier exemplaire, comme le suppose notre collaborateur. Il en est resté un sur peau de vélin, auquel nous avons pu emprunter trois épigrammes pour notre appendice. Les autographes existent d’ailleurs entre les mains de M. Poulet-Malassis et de M. Charles iVsselineau. »
Mais toutes ces assertions sont indirectement réfutées par une note facétieuse de Poulet-Malassis, qu’on lit sur un feuillet de garde du manuscrit de ces épigrammes, manuscrit qui a passé dans la vente Noilly (mars 1886) : « Ce recueil n’a jamais été imprimé, bien que j’aie dit le contraire dans le livre de Charles Baudelaire (p. 184). C’était pour faire de la peine au bibliophile belge, le vicomte de Spoelberg (sic) et lui faire désirer en vain ma vente après décès. »
Nous avions songé un instant à placer ici une Étude Bibliographique des Œuvres de Charles Baudelaire publiées d’élever un monument à sa mémoire. Un Comité j) fui formé, sous la présidence d’honneur de Leconte de Lisle et « les auspices et la présidence effective du poète Stéphane Mallarmé », et un livre fort intéressant, Le Tombeau de Charles Baudelaire, publié en hommage posthume de la littérature contemporaine, et à l’effet de réaliser une partie de la somme nécessaire à l’érection de la statue dont M. Auguste llodin avait accepté la commande. Mais la mort regrettable de M. Léon Deschamps, secrétaire-trésorier du Comité, fit échouer ce projet.
Il fut repris avec plus de succès en 1901. Grâce aux efforts et à la persévérance de M. Jean Aicard, de M. Jules Troubat (2}, qui quêtèrent l’obole de tous
depuis 1868 ; mais, outre qu’il eu existe déjà une, et fort complète, de M. le vicomte de Spœlberch de Lovenjoul, celle-là même qui parut d’abord dans les Souvenirs —Correspondances (Paris, Pincebourde, 1872), et que son auteur a reprise en la mettant à jour dans ses Lundis d’un chercheur (Calmann-Lévy, 1894), il nous a semblé que la prochaine publication du Mercure de France, qui doit réunir à quelques manuscrits inédits, toutes les pièces et tous les articles non réimprimés dans les OEuvres complètes, et qui ne manquera point sans doute d’indiquer les sources où elle les a recueillis, risquait de rendre ce nouveau travail fort superflu.
(1) V. le Tombeau de Charles Baudelaire pour la nomenclature complète des membres du Comité. On y trouvera aussi, outre d’intéressants souvenirs sur le poète, et de multiples témoignages de son influence sur la littérature contemporaine, de très intéressantes variantes réunies par le prince Alexandre Ourousof.
(2) Le Comité du second projet était ainsi composé : dans les salles des mairies parisiennes ; grâce à la générosité de M. de Max. dont le talent se prodigua comme la bourse s’ouvrit ; grâce au zèle dévoué de MM. Armand Dayot, Edmond Lepelletier et Gaston Mérv, qui obtinrent de l’Etal et du Conseil municipal des souscriptions et un terrain, Baudelaire a aujourd’hui son monument i . C’est au cimetière Montpar Président, Jean Aicard ; membres : François Coppée, Ludovic Iïalévy, Gaston Boissicr, Edmond Rostand, Armand Dayot, H. Roujon, de Max, Sully Prudhomme, Sarah Bernhardt, Emile Boissier, Emile Verhaeren, André Gide, Hélène Yacaresco, Catulle Mendès, Léon Mercerot, Anatole France, M Ues Moreno et Berthe Bady ; secrétaire trésorier : M. Jules Trou La t.
Les principales souscriptions furent fournies par les établissements de crédit. Ce Comité tira aussi une somme importante d’une matinée donnée au théâtre Sarah Bernhardt (M mo Sarah Bernhardt y paya son fauteuil ioo fr.).
(i) Inauguré le 26 octobre 1902, sous la présidence de M. Armand Dayot, représentant le ministre des beauxarts, qui y prononça un discours, ainsi que M. Jules Troubat et M. Maurice Quentin.
V. ces discours dans La Province, novembre-décembre 1902, Le Temps du 27 octobre 1902, etc. Mais relevons, en passant, une étrange erreur rencontrée chez M. Armand Dayot. L’inspecteur des Beaux-Arts rapporte en effet, dans son discours, avoir eu l’occasion d’admirer, chez Théodore de Banville, le portrait de Baudelaire par Derov, et que cette toile fameuse, dont son possesseur aurait consenti le don, figurerait aujourd’hui dans nos galeries nationales, ne se fùt-il heurté au mauvais vouloir de M. Etienne Arago, alors conservateur du Luxembourg. Nous ne pouvons conjecturer quelle confusion a troublé les souvenirs de M. Davot ; mais une chose est certaine : nasse, à l’extrémité de la nécropole. D’un caractère éminemment architectural, il se détache, solitaire, d’un mur nu et désolé. Le statuaire, M. José de Gharmoy, dont le talent s’est montré égaFà son désintéressement, et qui a fait preuve, dans son œuvre, de la plus subtile pénétration, a représenté le poète étendu sur la pierre et maintenu dans la rigidité de la mort par les bandelettes du rite oriental. Le masque est grave, étroitement cerné, ascétique. Sur la stèle, dressée à angle droit avec la pierre tumulaire, un oiseau apocalyptique, les ailes ouvertes, soutient le buste du Songe qui, le visage contracté et le menton dans les poings, domine le repos du] Poète, — de Vhomme dont Veuillot put écrire : « Dieu a eu pitié de son âme qu’il opprimait lui-même. »
C’est que le portrait de Deroy n’appartint jamais à Théodore de Banville ; il était la propriété du docteur Gérard Piogey, qui le tenait d’Asselineau, et le garda jusqu’à sa sa mort, survenue en 1894 ; ce n’est qu’à cette date que la collection du docteur fut dispersée au feu des enchères, — et le charmant poète de Gringoire était mort lui-même depuis trois ans.
LE MONUMENT DE CHARLES BAUDELAIRE
(Œuvre de M. José de Charmoy)