Charlotte Corday (Michel Corday)/Préambule

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Ernest Flammarion (p. 5-7).


PRÉAMBULE


Pendant mon enfance, mon grand-père paternel, le grand-père Pollet, m’a bien souvent répété que nous étions alliés à Charlotte Corday et par conséquent à Corneille. Il me rappelait que sa propre mère, née Morand de la Genevraye, était cousine de Charlotte Corday.

Je m’inspirai de cette tradition de famille lorsque je dus prendre un nom de lettres. (J’étais encore officier quand je publiai mes premiers livres et il était alors interdit dans l’armée d’écrire sous son nom.) J’ajoute que, selon le vœu de mes enfants, j’ai suivi la procédure nécessaire et obtenu que le nom de Michel Corday devînt mon nom légal.

C’est encore cette tradition qui m’incite à écrire une vie de Charlotte Corday. Il me plaît de laisser à mes quatre petits-enfants, Pierre et Lise, Yvette et Claude, une histoire de leur « cousine ». Je dois dire aussi que les circonstances m’ont conduit récemment à écrire deux essais biographiques et que la pensée me séduit de compléter le triptyque : j’avais été l’ami d’Anatole France pendant ses douze dernières années et je crus devoir fixer après sa mort, sous la forme durable du livre, l’essentiel de ce que je savais de lui, par lui ; peu après, on m’offrit d’écrire pour une collection la vie sentimentale d’un personnage célèbre et je choisis Diderot, que j’aimais et que j’admirais entre tous.

Mais, cette fois-ci, l’entreprise était particulièrement délicate. Je m’aperçus vite qu’elle m’amenait à mûrir, à affirmer mon opinion sur des sujets importants, comme la violence révolutionnaire, l’influence cornélienne, le droit de tuer. Et je dus aussi refeuilleter toute la documentation de mes romans physiologiques, afin d’examiner, aux faibles clartés de la science, cette incroyable aventure : comment une jeune fille, douce et bonne, discrète et cultivée, qui n’avait jamais quitté sa province, avait-elle pu se laisser envahir, subjuguer et pousser droit au but, par l’idée fixe d’aller tuer à Paris l’Ami du peuple ?

J’ai préparé ma tâche pendant près d’un an : pèlerinages au pays natal de Charlotte Corday, visites de musées, séances de bibliothèques, chasse aux livres nécessaires, devenus introuvables, découverte de trésors presque inexplorés. Sur combien de vitrines et de dossiers me suis-je penché… Que de personnages disparates ai-je sollicités… Des conservateurs, les uns expansifs et chaleureux, les autres timides et secrets ; des archivistes précis ; des journalistes débordés ; de vénérables bibliophiles, et ces libraires anciens, si curieusement devenus étrangers au siècle, à la vie…

Parfois, j’ai pensé qu’en racontant ces recherches si passionnément variées, je composerais un livre bien plus animé, bien plus pittoresque que celui dont je rassemblais les éléments.

Je n’ai rencontré que du zèle, de la complaisance, de la bonne volonté. Je ne nomme personne, de peur d’oublier quelqu’un. Mais chacun de mes collaborateurs éphémères saura prendre la part qui lui revient, des actions de grâces que j’adresse à tous.