Charmide (trad. Cousin)/Notes

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Œuvres de Platon,
traduites par Victor Cousin
Tome cinquième
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NOTES SUR LE CHARMIDE.[modifier]

J'AI eu sous les yeux l'édition générale de Bekker ; l'édition particulière de Heindorf ; Ficin et Schleiermacher. — Ce dialogue n'avait pas encore été traduit en français.

PAGE 279. — Vis-à-vis le temple du portique du Roi....

Καταντικρὺ τοῦ τῆς Βασίλης ἱεροῦ (BEKKER, Partis primae vol. primum, p. 303).

Quel est ce temple ?

Heindorf croit que c'est le temple de Διὸς Ἐλευθερίου en tête du portique du même nom , qui était parallèle au portique du Roi. Μais je ne trouve nulle part qu'il y eût un temple du portique de ce nom. Pline parle bien d'un temple de Jupiter Libérateur et de Minerve, mais au Pirée, tandis que le ἱερὸν dont il s'agit devait être dans le Céramique où étaient les deux portiques royal et Éleuthérien (Pline, liv. 34, c. 8). Je vois que Pausanias (Attic. ch. XIV, édition de Clavier) parle d'un temple de Vulcain à la réunion des deux portiques : Ὑπερ δὲ τὸν Κεραμεικὸν καὶ στόαν τὴν καλουμένην βασιλεῖον ναός ἐστι Ἡφαίστου. Ne serait-ce pas là le temple auquel il est fait allusion dans ce début du Charmide ? Ou ce temple dont Platon ne donne pas le nom, est-il un de ceux que renfermait un des portiques du Céramique, et que Pausanias mentionne sans les nommer ( Attic. ch. II, édition de Clavier)?

PAGE 284. — Et je compris que Cydias se connaissait en amour, lorsque faisant allusion à la beauté, il dit :

Καὶ ἐνόμισα σοφώτατον εἶναι τὸν Κυδίαν τὰ ἐρωτικά, ὃς εἶπεν, ἐπὶ καλοῦ λέγων παιδός, ἄλλῳ ὑποτιθέμενος... (BEKKER, p. 307.)

Heindorf, p. 62, trouve cette addition ἄλλῳ ὑποτιθέμενος assez froide, et l'explique par alium admonens ; cependant il préfère lire ἄλλο, Critiam re ipsa de pulchro puero locutum, verbis aliud dixisse; et il pense que Ficin avait lu ἄλλο, d'après sa traduction : similitudinem alterius rei subjiciens. Bekker conserve avec raison ἄλλῳ d'après tous les manuscrits. Μais il ne faut pas l'entendre par alium admonens, ce qui ne signifie pas grand'chose ; le sens naturel me paraît être : il dit d'un beau garçon, mais en mettant cela sous une autre chose, c'est-à-dire l'insinuant à l'occasion d'une autre chose, sous un voile allégorique, y faisant simplement allusion. — Τoutes les éditions ont Κριτίαν : Bekker, Κυδίαν. J'avoue que j'avais craint d'abord une faute d'impression ; mais, à la réflexion, j'ai reconnu que, s'il y avait Κριτίαν, ou il serait question de Critias, un des interlocuteurs de ce dialogue, et alors Socrate n'aurait pas manqué de le mieux désigner, ou il serait question d'un autre poète nommé aussi Critias, et Socrate n'eût pas encore oublié de faire allusion à cette similitude de nom. J'ai donc eu recours aux manuscrits de la bibliothèque de Paris , que Bekker avait consultés avant moi, et j'ai trouvé dans les manuscrits 1808 et 1809 la confirmation et peut-être la source de la leçon introduite dans le texte par l'habile critique. L'un des deux porte Κηδίαν, l'autre Κυδίαν. — Fabricius ne parle d'aucun poète nommé Cydias.

PAGE 287. — C'est une grande erreur d'entreprendre de se faire médecin séparément pour l'une des deux parties. Ὅτι χωρὶς θατέρου [σωφροσύνης τε καὶ ὑγιείας] ἰατροί τινες ἐπιχειροῦσιν εἶναι· (BEKKER, pag. 310.)

Ficin : Absque temperantiœ et sanitatis studio. Heindorf : Bene si reperisset χωρὶς ἐπιμελείας θατέρου σωφρ, τε καὶ ὑγ. Et il conclut que ce passage renferme un vice dont il ne voit pas le remède.

Heusde et Schleiermacher l'ont très bien vu ; c'est que σωφροσύνης τε καὶ ὑγιείας est une glose de θατέρου et une glose absurde ; car θατέρου se rapporte à l'âme et au corps, et n'est pas gouverné par χωρὶς mais par ἰατροί. D'ailleurs, χωρὶς veut dire séparément, pris d'une manière absolue, plutôt que sans avec un régime. Bekker adopte la conjecture de Heusde ; mais trouvant dans tous les manuscrits σωφρ, τε καὶ ὑγ. il se contente de mettre ces mots entre crochets. — Σωφροσύνης serait d'autant plus mal placé ici, que c'est le mot fondamental de tout le dialogue, que l'auteur l'amène et le prépare avec le plus grand soin, et qu'il le prononce enfin quelques lignes plus bas avec une espèce de solennité, bien ridicule si ce mot eût déjà été prononcé.

PAGE 294. — Ni dans aucun cas l'une (la mesure) ne serait plus sage que l'autre (la vivacité)...

Οὐδὲ ἄλλοθι οὐδαμοῦ οὐδὲν ὁ ἡσύχιος βίος [κόσμιος] τοῦ μὴ ἡσυχίου σωφρονέστερος ἂν εἴη. [BEKKER, p. 316.) PAGE 3. — i3. — Si rien ne peut avoir la propriété de ne se rapporter qu'à soi-même....

Πότερον οὐδὲν τῶν ὄντων τὴν αὑτοῦ δύναμιν αὐτὸ πρὸς ἑαυτὸ πέφυκεν ἔχειν [πλὴν ἐπιστήμης]. ( BEKKER , pag. 333. )

PAGE 314. — Prouve-moi d'abord que cela soit possible....

Πρῶτον μὲν τοῦτο ἔνδειξαι ὅτι δυνατὸν [ἀποδεῖξαί σε] ὃ νῦν δὴ ἔλεγον.... (BEKKER, pag. 334.)

Malgré l'autorité des Manuscrits , je retranche avec Heindorf, Schleiermacher et Bekker κόσμιος,

PAGE 300. — D'être assis à une boutique ......

Ἐπ' οἰκήματος καθημένῳ. (BEKKER, p. 322.)

Ficin traduit très-bien : in taberna sedenti. Heindorf (p. 83, 84) veut traduire ici οἴκημα par lupanar : in lupanari prostanti. Μais malgré tous les exemples que cite Heindorf, σκυτοτομοῦντι ἢ ταριχοπωλοῦντι déterminent assez le sens de ἐπ' οἰκήματος καθημένῳ.

PAGE 304. — Comme s'il ne tenait qu'à moi de pouvoir être de ton avis (BEKKER, pag. 326). Les éditions et Heindorf : ὁμολογήσαντός μου. Schleiermacher prouve très bien que la leçon d'Heindorf est en contradiction avec ce qui suit, σκεψάμενος ἐθέλω εἰπεῖν εἴθ' ὁμολογῶ εἴτε μὴ, et il propose ὁμολογήσαντος ἢ οὐ. Bekker mieux encore : σοι.

PAGE 315. — car déjà je ne comprends pas comment se connaître soi-même et savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas ce peut être la même chose.

Οὐ γὰρ αὖ μανθάνω ὡς ἔστιν τὸ αὐτό ἃ οἶδεν εἰδέναι καὶ ἅ τις μὴ οἶδεν εἰδέναι.. (BEKKER, pag. 335 ; Heindorf, pag. 100 ; Schleiermacher, pag. 396.)

Schleiermacher propose la correction suivante , ὡς ἔστιν τὸ αὐτό ὅτι τὶς οἶδεν εἰδέναι καὶ ἅ τις μὴ οἶδεν ἢ μὴ οἶδεν εἰδέναι, sur ce principe que le but de Socrate est de montrer la différence qui existe entre savoir qu'on sait, et savoir ce qu'on sait. J'en conviens ; mais s'ensuit-il que cette différence doive se trouver précisément dans cette phrase isolée ? Socrate veut conduire à cette conséquence ; mais il ne l'énonce pas encore, il le fera plus loin. Il a accordé que l'on doit avoir les qualités que possède ce que l'on a , et que, par exemple, si l'on a la science qui se connaît elle-même, on doit se connaître soi-même ; mais il ne voit pas que de ce qu'on se connaît soi-même, il suive que l'on connaisse ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. Critias s'écrie que cela suit aisément ; car c'est la même chose. Socrate répond qu'il ne voit pas cela, et peu-à-peu il lui prouve que de ce qu'on possède la science qui se sait elle-même, il ne s'ensuit pas qu'on sache qu'on sait telle ou telle science en particulier, mais seulement que l'on sait que l'on a du savoir en général. C'est avec la médecine que l'on sait guérir, avec l'architecture que l'on sait bâtir, en un mot, avec des sciences particulières on sait des choses particulières ; mais avec la science de la science on ne peut avoir que la conscience d'une science abstraite, de la science en soi et de rien de plus. Cette conclusion est exprimée à la fin de la manière la plus positive : οὐκ ἄρα εἰσεται ὃ οἶδεν... ἀλλ' ὅτε οἶδε μόνον. . . Le tort de Schleiermacher a été de vouloir anticiper cette conclusion. Je la laisse à sa place, et je lis au commencement, avec Bekker et tous les manuscrits : ἃ οἶδεν εἰδέναι καὶ ἅ τις μὴ οἶδεν εἰδέναι...

Je ne vois pas non plus de difficulté sérieuse dans la phrase suivante du même raisonnement (BEKKER, pag. 335 ) : Ταὐτὸν οὖν ἐστιν ἐπιστήμῃ τε καὶ ἀνεπιστημοσύνῃ ὑγιεινοῦ καὶ ἐπιστήμῃ τε καὶ ἀνεπιστημοσύνῃ δικαίου; Socrate, de peur que l'on ne confonde la science en soi avec toutes les sciences positives, com menée par distinguer celles-ci entre elles. Est-ce la même chose que savoir et ignorer ce qui est sain, et savoir et ignorer ce qui est juste ? Non. Il y a donc là deux sciences bien distinctes, la médecine et la politique. Or, comme il ne faut pas confondre ces deux sciences entre elles , tout de même il ne faut pas confondre avec elles celle qui n'est que la science purement et simplement. Si donc quelqu'un ne sait particulièrement que la médecine, il ne pourra pas juger du juste ; et réciproquement, celui qui connaît la justice, ne saura pas pour cela guérir une maladie. Et s'il ne sait ni la politique, ni la médecine, il pourra savoir en général, mais pas du tout en particulier, ce qui est juste et, sain. Je ne vois donc pas pourquoi Heindorf veut qu'après δικαίου on supplée καὶ ἐπιστήμη καὶ ἀνεπιστημοσυνη ἐπιστήμης, ou que l'on rapporte τοὐτὸν à τὸ αὑτὸ γιγνώσκειν, ou à ἐπιστήμη ἐπθστήμης οὖσα. En général, Heindorf et Schleiermacher lui-même veulent trop voir, dans chaque phrase de Platon, une idée complète et terminée à la manière des modernes, tandis que, dans le mouvement général du dialogue, chaque phrase n'est qu'un point qui tient à tout le reste, et ne peut s'entendre qu'avec le tout. Le tout est clair ; chaque phrase particulière semble vague et indécise. La trop déterminer est une vraie infidélité ; c'est là la plus grande difficulté d'une traduction de Platon. Aussi est-ce peut-être le devoir du lecteur de ne pas lire isolément quelques parties d'un dialogue.


PAGE 317. — Le sage il est vrai reconnaîtra bien que le médecin possède une science ; mais pour savoir quelle elle est....

Ὅτι μὲν δὴ ἐπιστήμην τινὰ ἔχει γνώσεται ὁ σώφρων τὸν ἰατρόν· ἐπιχειρῶν δὲ δὴ πεῖραν λαβεῖν ἥ τὶς ἐστίν. . . . (BEKKER, pag. 337.)

Cette leçon résout toutes les difficultés de cette phrase devant laquelle avait échoué toute la sagacité de Heindorf. Mais à moins que ἐπιχειρῶν δὲ δὴ ne se trouve dans un manuscrit , je préférerais εἰ δὲ δεῖ πεῖραν λαβ. comme plus près du texte.

PAGE 321. — Admettons qu'il soit possible qu'il y ait une science de la science....

Συγχωρήσαντες καὶ ἐπίστασθαι ἐπιστήμην δυνατὸν εἶναι [εἰδέναι] ... (BEKKER, pag. 340.)

Je retranche εἰδέναι avec Heindorf (pag. 107) et Bekker, malgré l'autorité des manuscrits.

PAGE 324. — Car ces artistes qui possèdent une science, tu ne veux pas convenir qu'ils soient heureux , et tu ne parais reconnaître comme tels que ceux qui possèdent certaines sciences....

Οὗτοι γὰρ ἐπιστημόνως ζῶντες οὐχ ὁμολογοῦνται παρὰ σοῦ εὐδαίμονες εἶναι, ἀλλὰ περί τινων ἐπιστημόνως ζῶντα εὖ δοκεῖς μοι ἀφορίζεσθαι τὸν εὐδαίμονα.

Au lieu de εὖ , Schleiermacher propose αὖ. Bekker, encore mieux , συ. — Περί τινων ἐπιστήμόνως ζῶντα que propose Schleiermacher, a été rejeté avec raison par Bekker qui conserve l'ancienne leçon .