Chasse et pêche au Canada/12

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N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 77-88).



LES RENARDS D’AMÉRIQUE



Cuvier a décrit sous le genre Vulpes, une nombreuse famille, qui comprend le loup, le chien, le jackall et le renard ; elle se subdivise en plusieurs groupes.

Les renards se distinguent par leur museau allongé, leur tête arrondie, leurs oreilles droites, triangulaires, leur corps étiré, leurs membres courts, leur queue longue et touffue.

Le renard, remarquent Audubon et Backman, moindre de taille que le loup, compte plus de variétés. Il émet une odeur fétide, se creuse une tanière à plusieurs issues, recherche sa proie parmi les quadrupèdes et les volatiles de faible stature. Ses habitudes sont nocturnes. Il se blottira, pendant le jour, au fond de son réduit souterrain, où dans les anfractuosités d’un rocher, ou sous le dôme d’un buisson impénétrable. Aux heures silencieuses du crépuscule ou de la nuit, il s’aventurera au dehors pour aller aux vivres. Son œil perçant, son fin odorat, son oreille exercée lui décèlera dans le fourré ou la prairie, la perdrix, la dinde sauvage, le lièvre et leur douce progéniture. Au besoin, il sait capturer d’alertes écureuils, des mulots et d’autres rongeurs : il ne se gêne pas de pousser une pointe même au sein de la basse-cour, pour y enlever la poule couveuse sur son nid, l’oie domestique au bord de l’étang, même l’agneau nouveau né, bondissant auprès de sa mère.

On le prend au piège ; mais, il faut savoir habilement dissimuler l’appât : car, comme dit le peuple, monsieur est « fin comme un renard. »

Les naturalistes comptent à peu près douze espèces de renards : l’Amérique du Nord en réclame cinq :

1. Le renard roux (Vulpes Fulvus) et ses variétés : le renard noir, le renard gris argenté, le renard croisé du Canada.

2. Le renard arctique (Vulpes Lagopus) indigène aux régions polaires, à la Baie d’Hudson, au Labrador, à la Sibérie : son parcours ne s’étend pas à nos latitudes.

3. Le renard gris (Vulpes Virginianus) natif des États du Sud ; il est douteux qu’il ait été vu au Canada.

4. Le petit renard (Vulpes Velox) fort ressemblant au renard roux, mais de moitié de sa taille : indigène aux prairies à l’est des Montagnes Rocheuses et aux plaines de la rivière Colombia.

5. Le renard Jackall (Vulpes Utah) plus grand que le renard roux : il a la gorge et le ventre noirs, et les parties supérieures du corps, gris-brun. On le trouve aux Montagnes Rocheuses. Il pénètre peut-être dans notre territoire.

Malgré la haute autorité d’Audubon, quelques écrivains éminents sont d’avis que le renard noir et le renard roux ne sont pas des variétés du même animal : que le renard roux, importé de la Grande Bretagne, par Lord Baltimore et autres premiers colons du Maryland et par le Col. Guy Carleton, plus tard Lord Dorchester, notre bien aimé Gouverneur-Général, était inconnu en Amérique avant l’arrivée de la race blanche, qu’il supplanta le petit renard gris, indigène au sud de l’Amérique :[1]

La femelle porte de soixante à soixante-cinq jours : les petits naissent aveugles, couverts de poil comme de jeunes chiens.

Le renard, pris au nid, est docile, espiègle et plaît par ses gambades et ses cabrioles. Plus âgé, il se montre méchant, sournois, irritable, intraitable, insensible aux meilleurs traitements. À l’âge de trois ou de quatre mois, il abandonnera le terrier : il ira, chasseur déjà expert, seul et pour son compte, explorer la forêt.

Son habilité à capturer de petits rongeurs est remarquable. En bien des endroits, les mulots, sont de vrais fléaux pour les arbres fruitiers : aux endroits, surtout, d’où les renards ont disparu. Vers la fin de mars, les mulots se creusent mille sentiers sous la neige : grugent l’écorce des jeunes pommiers, des jeunes érables par centaine : l’arbre s’étiole d’abord, et meurt la seconde année. Les propriétaires d’outardes à l’Île-aux-Grues détruisirent le dernier renard de l’île, il y a une cinquantaine d’années : les outardes y vivent en toute sécurité maintenant : mais les mulots se sont multipliés, au point qu’il est difficile de protéger les arbres fruitiers et les plantations d’érables contre leur dent destructive.

M. Rowland E. Robinson, chasseur distingué aux États-Unis, relate de singulières choses, sur l’empire que les vieilles femelles de renard, ayant des jeunes à protéger exercent sur le chien de chasse qui ose les poursuivre : le chien est poliment éconduit du bois, selon cet écrivain, par madame, qui le poursuit de loin en aboyant. (Sport with Rod and Gun, by Mayer, p.p. 74-83).

On le croit sujet à la rage. L’histoire nous en fournit un mémorable exemple, dans la mort, le 28 août 1819, à Richmond, Ontario, au milieu d’atroces souffrances d’un de nos vice-rois, le duc de Richmond, mordu à Sorel, la semaine précédente par un renard, en apparence doux, et domestique.

Notre renard canadien, fort ressemblant au renard de la Grande-Bretagne, lui est un peu supérieur par la taille. Il a le museau moins long, plus pointu, moins d’espace au front, entre les yeux, les pieds plus feutrés, les oreilles moins longues, la queue plus touffue, le pelage plus fourni et d’une couleur plus vive.

Notre renard excelle à pourchasser les mulots et les rats des champs. On l’a vu traquer nos perdrix dans les taillis, avec les allures vives, mais mesurées d’un pointer ardent, chassant les bécasses.

On raconte mille tours d’adresse de sa part, pour dépister le chasseur et ses chiens, grimpant sur les clôtures, courant le long des pagés, quelques mètres ; puis, bondissant à douze pieds, pour faire perdre aux chiens le flair de ses traces.

On sait aussi son merveilleux manège pour leurrer, à terre, les canards sauvages, du sein des lacs, courant sur la berge, agitant au vent sa queue soyeuse, excitant en un mot par ce spectacle insolite la curiosité des palmipèdes qui, le cou tendu, nagent jusqu’au bord. Alors la bête scélérate se recueille ; d’un bond, elle saisit le malencontreux volatile, qui atterrira le premier.


LA CHASSE AU RENARD.



La chasse est de toutes les distractions la plus agréable et la plus salutaire. Elle développe les forces, entretient la souplesse des membres, et cultive la puissance et le libre jeu de nos principaux organes. La chasse c’est le contentement de sa condition, c’est l’égalité du caractère, c’est l’équilibre des facultés, c’est la raisonnable confiance en soi, c’est la franchise, c’est le courage, c’est la santé, c’est le bonheur.
(Barreyre.)


De temps immémorial, la chasse, exercice et délassement, a existé et existe encore vivace pour l’ardente jeunesse et même parmi les vieux de la Grande-Bretagne ; c’est un amusement imprescriptible, qui a été élevé au rang d’institution nationale.

Le 12 août, le jour de l’ouverture de la chasse chaque année, pour le noble et le paysan, est une date aussi importante que le Derby ou celle de l’ouverture des Chambres. La Grande Chasse au renard se fait en costume brillant, avec chevaux et chiens : elle cause aux amateurs une excitation délirante et produit mille bruyants meets ou rendez-vous de chasseurs, dans tous les coins du Royaume-Uni.

Sieur Renard, pour le veneur anglais, est donc un être sacré, spécialement protégé de par les canons de la vénerie ; on ne saurait l’occire que selon les règles de St. Hubert. Le gentilhomme, convaincu d’avoir attenté aux jours d’un renard, soit par le poison, les pièges ou même en le tirant au fusil, n’oserait se montrer à son club ; heureux si le boycottage ne lui en ferme la porte.

La veille du jour de l’ouverture de la chasse, on rencontre aux gares des chemins de fer, des essaims de chasseurs, accompagnés de leurs garde-chasse, avec fusils, ou bien, des maîtres du chenil, (masters of the hounds) entourés de leurs meutes en laisse, Fox hounds. Tous ils attendent avec impatience le départ des convois, pour faire acte de présence le lendemain, dès l’aube, au rendez-vous.

Un écrivain dans Forest and Stream fixe a cent trente six le nombre de meutes de Fox hounds, employées pour la chasse au renard en Angleterre, en outre de quatre vingt quatorze meutes de levriers pour dépister les lièvres. Chose étonnante, ajoute-t-il, chaque jour de chasse, 20,000 chasseurs se mettent en campagne, la plupart montés sur des chevaux de grand prix. Les officiers, de toutes les branches du service militaire sont chasseurs, et leur aptitude à monter un cheval est bien connue. Ce sont ces exercices athlétiques et viriles qui ont donné à l’Angleterre, ses vaillants enfants ; qui leur assure vigueur et santé, sous les tropiques comme dans la zone arctique et qui ont fourni à leur petite île, le point d’appui, pour gouverner deux cent cinquante six millions de sujets, de par le monde.

Un jour, en août 1881, que je me rendais au manoir d’Acomb Park, la résidence du col. Frank Lees, près de York, je m’attirai, sans le vouloir une verte semonce de mon compagnon de voyage, ardent veneur, pour avoir fait la remarque, qu’au Canada, on regardait le renard comme une espèce de vermine, l’implacable ennemi des poulaillers et des basse-cours, qu’on le tirait sans remords, que le trappeur pour s’approprier sa dépouille — cotée jusqu’à $50 quand c’était celle d’un renard argenté — n’hésitait pas à employer la strychnine, le piège ou le fusil.

Si l’on eut traité aussi indignement en Angleterre, le renard, me dit mon camarade de route d’un ton sec, la race en eût été éteinte depuis longtemps. Le sport n’existe-t-il donc pas chez vous ?

Au contraire, lui répliquai-je, il existe. Nous avons des chasseurs fort experts même. Bien que le renard, à cause de ses méfaits et pour sa riche fourrure, soit tué sans façon, il est chez nous des chasseurs qui le traitent comme chez vous, en grand seigneur ; qui se targuent même de savoir lutter de ruse et d’adresse avec lui. En 1877, M. Chs. Temple, aidé de plusieurs amateurs du sport, fonda à son manoir, The Highlands, à Sillery le Stadacona Fox Hunt ; ce club a existé plusieurs années. — (Monographies et Esquisses, p. p. 208-212.)

Le Montréal Hunt, fondé aux Trois-Rivières, en 1826, par l’Honorable Mathew Bell, transporté à Montréal en 1829, compte maintenant un nombreux personnel de membres et une meute d’au delà de soixante Fox hounds, dont le chenil est un légitime sujet d’orgueil pour le sport, dans cette florissante cité.

Comme le parcours de Liverpool à York, par voie ferrée est long (de 202 milles), pour tuer le temps, avec votre permission, je vais vous raconter comment on en use en Canada, avec sieur Renard.




LA CHASSE AU RENARD EN HIVER[2]


(STILL HUNTING.)


« Pour attrapper la bête, il faut être plus fin qu’elle. » (Vieux Proverbe.)


Sachez donc, que le renard canadien ne le cède en rien à son cousin d’outre-mer, en sagacité, en prudence, en ruses, en vitesse, en persévérance ; que pour en triompher, le chasseur canadien est forcé de taxer toutes ses ressources, tout son savoir faire comme forestier. Sire Renard chez nous, est un infatigable fureteur de nuit, un maraudeur sans vergogne, faisant aux heures les plus indues, sa partie de chasse, ses rondes sanguinaires, sur la lisière de la forêt, pour surprendre sur le nid, la perdrix nichée dans les champs, jusque dans la basse-cour pour profiter de la négligence du garçon de ferme qui aurait oublié hors de la grange quelque poule surannée, un dinde dodu, une oie vagabonde, alléchés par les tièdes rayons d’un soleil de mars ou d’avril ; ou pour égorger au rendez-vous sous le dôme des sapins quelque levraut amoureux, au moment où il compte fleurette à une hase[3] aventurière, loin de l’œil vigilant des parents : telle est la proie que convoite le nocturne rôdeur, lequel une fois repu, se dédommagera des fatigues de la course le lendemain, par un long somme, au soleil, sur la cime poudreuse d’un banc de neige.

Au cas ou perdrix, poule, dindon, oie, levraut, lui fassent défaut, chaudement vêtu de sa pelisse de pelleterie, protégé par ses mitasses fourrées, il s’établira explorateur solitaire et patient, à l’orée d’un bois ou sur un chaume, les oreilles droites, la queue horizontale et écoutera attentivement pour découvrir sous la légère couche de neige les mulots, sa nourriture ordinaire.

Comment traquera-t-il ces rongeurs sous la neige, me direz-vous ?

— Par ce merveilleux instinct départi par la nature à tout être créé, pour se procurer les aliments nécessaires à ses besoins.

L’ouï subtil du renard lui permet de recueillir le moindre bruit, le faible cri du mulot grugeant au sein de ses galeries glacées, bien que ce bruit échappe à l’oreille de l’homme.

De suite, il se met à l’œuvre, gratte la couche de neige avec ses fortes pattes et aura bientôt gobé l’infortuné mulot, sa femme et ses enfants.

Le renard a pour habitude, chaque jour en hiver, de consacrer au sommeil quelques heures dans la matinée ; il fait la sieste sur le sommet d’un amas de neige, ou au haut d’un rocher : il lui faut un poste élevé d’où il pourra apercevoir l’ennemi de loin. Il ne s’endort pas d’un lourd sommeil comme un vieux rentier alourdi par la bonne chère ; il se couche tout doucement, ferme l’œil un peu ; puis, se lève, se dresse sur ses pieds, jette autour de lui un regard inquiet, scrutateur, renifle l’air ; on dirait qu’il n’a pas la conscience nette. Une fois réassuré, il se creuse un lit dans la neige ; enveloppé dans son soyeux manteau, il se blottit en rond à la manière des chats, s’abrite la tête et le corps de sa queue touffue, s’endort au soleil ; mais il a soin de se tenir le museau du côté d’où vient le vent, afin de flairer l’approche d’un ennemi quelconque : si la tempête gronde, il établira sa couche au pied d’un buisson feuillu, on sous un rocher découvert, d’où son regard pourra se prolonger au loin et dans son sommeil, il rêvera sans doute qu’il croque de grasses volailles, de tendres levrauts, des perdrix succulentes.

Voici comment on le capture : le chasseur monté sur des raquettes, recouvre ses habits d’un capot de coton blanc ; couvre-chef et pantalon, de même nuance. Le costume en entier doit rivaliser avec la neige en blancheur ; pas de contrastes.

Le chasseur se munit ordinairement d’une carabine où d’un fusil à longue portée : rendu dans la forêt, il recherche des pistes fraîches et une fois trouvées, il les suit attentivement, l’œil constamment aux aguets ; s’il découvre un renard, et qu’il soit éveillé, c’est le moment pour le chasseur d’avoir recours à tout son savoir-faire. Bien que la bête d’ordinaire s’en remet à son nez exquis, pour découvrir le danger, il a aussi la vue bonne. Pour se glisser sans être observé, à portée de fusil, dans un lieu découvert, le chasseur sera contraint de guetter les moindres mouvements du gibier, restant immobile dès que le renard a la vue sur lui et n’avançant que lorsque ce dernier ne le fixe pas du regard : car une fois aperçu, le chasseur peut lui dire adieu ; le rusé animal part avec la vitesse d’un coursier.

Pour cette chasse, il faut des muscles d’acier, une patience à toute épreuve, une connaissance profonde des habitudes du renard. J’ai connu un chasseur, qui de la sorte est parvenu à faire l’approche d’un renard à vingt pieds de distance, mais il marchait sous le vent. Certains chasseurs savent imiter le cri du mulot ; quand le renard est affamé, cet artifice a quelquefois réussi ; d’autres attendent patiemment sans remuer, pour faire l’approche, que la bête se livre au sommeil.

Chose singulière, à moins d’être alarmé, un renard reviendra, chaque jour et à la même heure, au poste qu’il s’est choisi. Le parcours d’un renard affamé, et en quête d’aliments pendant la nuit est très considérable ; on prétend que les renards descendent la nuit au clair de la lune, des montagnes de la Jeune-Lorette, rôdent autour des tanneries et des abattoirs dans le voisinage de la rivière St-Charles, près de Québec, et sont de retour, les gaillards, à leur tanière, au petit jour — une distance aller et retour — de dix-huit milles.

  1. Frank Forester Fugitive Sporting Sketches, 1879, p. 120.
    Parker Gillmore, Prairie and Forest, 1874, p. 184.
  2. Ce mode de chasse, repose sur la foi d’un chasseur émérite, du district de Montréal, mort, ces années dernières : Pierre Sénéchal, de la paroisse de L’Ange Gardien, au sud de St. Lambert, vis-à-vis Montréal ; Pierre Sénéchal était fort connu et estimé par M. McPherson Le Moyne ex-Président du Club de Chasse et de Pêche, de Montréal, et lui-même excellent chasseur : « Pierre Sénéchal, nous dit M. Le Moyne, était un chasseur infatigable, d’une adresse consommée ; il chassait dans les bois ou sur les grèves l’année entière. J’ai appris de lui ce que je connais sur le gibier ; jamais je n’eus lieu de suspecter sa véracité ; c’était un vieux chasseur fort respecté ; au reste, c’est bien constaté que là où les renards ont disparu, les mulots sont devenus des fléaux. Dans ma seigneurie de l’Île aux Grues, où le dernier renard fut tué, il a près de cinquante ans, les mulots, sont devenus de vrais fléaux pour les arbres fruitiers et les jeunes érables : sur 1800 jeunes érables, plantés au manoir, il y a une dizaine d’année, deux ou trois seuls ont échappé à la dent des mulots sous la neige en hiver. Les pommiers ont tous succombé » Je n’ai pas ouï-dire que ce mode de chasser le renard en hiver soit employé dans le district de Québec ou sur la rive nord du fleuve, vers le Labrador : là, le piège et le fusil sont les engins de destruction, les trappeurs n’affectionnent pas l’usage de la strychnine : l’empoisonnement détériore la pelleterie des renards, parait-il. Les Clubs de Chasse ne sauraient trop condamner ce mode de capture.
  3. On nomme hase, en France, la femelle du lièvre et bouquine, les mâles.