Chatterton/Acte III
ACTE III.
un lit misérable et en désordre.
SCÈNE PREMIÈRE.
Il est certain qu’elle ne m’aime pas. — Et moi… je n’y veux plus penser. — Mes mains sont glacées, ma tête est brûlante. — Me voilà seul en face de mon travail. — Il ne s’agit plus de sourire et d’être bon ! de saluer et de serrer la main ! Toute cette comédie est jouée : j’en commence une autre avec moi-même. — Il faut, à cette heure, que ma volonté soit assez puissante pour saisir mon âme et l’emporter tour à tour dans le cadavre ressuscité des personnages que j’évoque et dans le fantôme de ceux que j’invente ! Ou bien il faut que, devant Chatterton malade, devant Chatterton qui a froid, qui a faim, ma volonté fasse poser avec prétention un autre Chatterton, gracieusement paré pour l’amusement du public, et que celui-là soit décrit par l’autre : le troubadour par le mendiant. Voilà les deux poésies possibles, ça ne va pas plus loin que cela ! Les divertir ou leur faire pitié ; faire jouer de misérables poupées, ou l’être soi-même et faire trafic de cette singerie ! Ouvrir son cœur pour le mettre en étalage sur un comptoir ! S’il a des blessures, tant mieux ! il a plus de prix ; tant soit peu mutilé, on l’achète plus cher !
Lève-toi, créature de Dieu, faite à son image, et admire-toi encore dans cette condition !
Non, non !
L’heure t’avertit ; assieds-toi, et travaille, malheureux ! Tu perds ton temps en réfléchissant : tu n’as qu’une réflexion à faire, c’est que tu es un pauvre. — Entends-tu bien ? un pauvre !
Chaque minute de recueillement est un vol que tu fais ; c’est une minute stérile. — Il s’agit bien de l’idée, grand Dieu ! Ce qui rapporte c’est le mot. Il y a tel mot qui peut aller jusqu’à un shelling ; la pensée n’a pas cours sur la place.
Oh ! loin de moi, — loin de moi, je t’en supplie, découragement glacé ! Mépris de moi-même, ne viens pas achever de me perdre ! Détourne-toi ! détourne-toi ! car à présent, mon nom et ma demeure, tout est connu ; et, si demain ce livre n’est pas achevé, je suis perdu ! oui, perdu sans espoir ! — Arrêté, jugé, condamné ! jeté en prison !
Ô dégradation ! ô honteux travail !
Il est certain que cette jeune femme ne m’aimera jamais. — Eh bien, ne puis-je cesser d’avoir cette idée ?
J’ai bien peu d’orgueil d’y penser encore. — Mais qu’on me dise donc pourquoi j’aurais de l’orgueil ! De l’orgueil de quoi ? Je ne tiens aucune place dans aucun rang. Et il est certain que ce qui me soutient, c’est cette fierté naturelle. Elle me crie toujours à l’oreille de ne pas ployer et de ne pas avoir l’air malheureux. — Et pour qui donc fait-on l’heureux quand on ne l’est pas ? Je crois que c’est pour les femmes. Nous posons tous devant elles. — Les pauvres créatures, elles te prennent pour un trône, ô Publicité ! vile Publicité ! toi qui n’es qu’un pilori où le profane passant peut nous souffleter. En général, les femmes aiment celui qui ne s’abaisse devant personne. Eh bien ! par le Ciel, elles ont raison. — Du moins celle-ci qui a les yeux sur moi ne me verra pas baisser la tête. — Oh ! si elle m’eût aimé !
Écris-donc, malheureux, évoque donc ta volonté ! — Pourquoi est-elle si faible ? N’avoir pu encore lancer en avant cet esprit rebelle qu’elle excite et qui s’arrête ! — Voilà une humiliation toute nouvelle pour moi ! — Jusqu’ici je l’avais toujours vu partir avant son maître ; il fallait un frein, et cette nuit c’est l’éperon qu’il lui faut. — Ah ! ah ! l’immortel ! Ah ! ah ! le rude maître du corps ! Esprit superbe, seriez-vous paralysé par ce misérable brouillard qui pénètre dans une chambre délabrée ? Suffit-il, orgueilleux, d’un peu de vapeur froide pour vous vaincre ?
L’épais brouillard ! il est tendu au dehors de ma fenêtre comme un rideau blanc, comme un linceul. — Il était pendu ainsi à la fenêtre de mon père la nuit de sa mort.
Encore ! le temps me presse ; et rien n’est écrit !
« Harold ! Harold !… ô Christ ! Harold… le duc Guillaume… »
Eh ! que me fait cet Harold, je vous prie ? — Je ne puis comprendre comment j’ai écrit cela.
J’ai fait le catholique : j’ai menti. Si j’étais catholique, je me ferais moine et trappiste. Un trappiste n’a pour lit qu’un cercueil, mais au moins il y dort. — Tous les hommes ont un lit où ils dorment : moi j’en ai un où je travaille pour de l’argent.
Où vais-je ? où vais-je ? Le mot entraîne l’idée malgré elle… Ô Ciel ! la folie ne marche-t-elle pas ainsi ? Voilà qui peut épouvanter le plus brave… Allons ! calme-toi. — Je relisais ceci… Oui !… Ce poème-là n’est pas assez beau !… Écrit trop vite ! — Écrit pour vivre ! — Ô supplice ! La bataille d’Hastings !… Les vieux Saxons !… Les jeunes Normands !… Me suis-je intéressé à cela ? Non. Et pourquoi en as-tu donc parlé ? — Quand j’avais tant à dire sur ce que je vois !
Réveiller de froides cendres, quand tout frémit et souffre autour de moi ; quand la Vertu appelle à son secours et se meurt à force de pleurer ; quand le pâle Travail est dédaigné ; quand l’Espérance a perdu son ancre ; la Foi, son calice ; la Charité, ses pauvres enfants ; quand la Loi est athée et corrompue comme une courtisane ; lorsque la Terre crie et demande justice au Poète de ceux qui la fouillent sans cesse pour avoir son or, et lui disent qu’elle peut se passer du Ciel.
Et moi ! moi qui sens cela, je ne lui répondrais pas ! Si ! par le Ciel ! je lui répondrai. Je frapperai du fouet les méchants et les hypocrites. Je dévoilerai Jeremiah Milles et Warton.
Ah ! misérable ! Mais… c’est la Satire ! tu deviens méchant.
Écris plutôt sur ce brouillard qui s’est logé à ta fenêtre comme à celle de ton père.
Le voilà, mon père ! — Vous voilà ! Bon vieux marin, franc capitaine de haut bord, vous dormiez la nuit, vous, et, le jour, vous vous battiez ! vous n’étiez pas un Paria intelligent comme l’est devenu votre pauvre enfant. Voyez-vous, voyez-vous ce papier blanc ? S’il n’est pas rempli demain, j’irai en prison, mon père, et je n’ai pas dans la tête un mot pour noircir ce papier, parce que j’ai faim. — J’ai vendu, pour manger, le diamant qui était là, sur cette boîte, comme une étoile sur votre beau front. Et à présent je ne l’ai plus, et j’ai toujours la faim. Et j’ai aussi votre orgueil, mon père, qui fait que je ne le dis pas. — Mais vous qui étiez vieux, et qui saviez qu’il faut de l’argent pour vivre, et que vous n’en aviez pas à me laisser, pourquoi m’avez-vous créé ?
Ah ! pardon, pardon, mon père ! mon vieux père en cheveux blancs ! — Vous m’avez tant embrassé sur vos genoux ! — C’est ma faute ! J’ai cru être poète ! C’est ma faute ; mais je vous assure que mon nom n’ira pas en prison ! Je vous le jure, mon vieux père. Tenez, tenez, voilà de l’opium ! Si j’ai par trop faim… je ne mangerai pas, je boirai.
Quelqu’un monte lourdement mon escalier de bois. — Cachons ce trésor.
Et pourquoi ? ne suis-je donc pas libre ? plus libre que jamais ? — Caton n’a pas caché son épée. Reste comme tu es, Romain, et regarde en face.
SCÈNE II.
Ah !
Eh bien ?
Je connais cette liqueur. — Il y a là au moins soixante grains d’opium. Cela te donnerait une certaine exaltation qui te plairait d’abord assez comme poète, et puis un peu de délire, et puis un bon sommeil bien lourd et sans rêve, je t’assure. — Tu es resté bien longtemps seul, Chatterton.
Et si je veux rester seul pour toujours, n’en ai-je pas le droit ?
Les païens disaient cela.
Qu’on me donne une heure de bonheur, et je redeviendrai un excellent chrétien. Ce que… ce que vous craignez, les stoïciens l’appelaient sortie raisonnable.
C’est vrai ; et ils disaient même que, les causes qui nous retiennent à la vie n’étant guère fortes, on pouvait bien en sortir pour des causes légères. Mais il faut considérer, ami, que la Fortune change souvent et peut beaucoup, et que si elle peut faire quelque chose pour quelqu’un, c’est pour un vivant.
Mais aussi elle ne peut rien contre un mort. Moi, je dis qu’elle fait plus de mal que de bien, et qu’il n’est pas mauvais de la fuir.
Tu as bien raison : mais seulement c’est un peu poltron. — S’aller cacher sous une grosse pierre, dans un grand trou, par frayeur d’elle, c’est de la lâcheté.
Connaissez-vous beaucoup de lâches qui se soient tués ?
Quand ce ne serait que Néron.
Aussi, sa lâcheté, je n’y crois pas. Les nations n’aiment pas les lâches, et c’est le seul nom d’Empereur populaire en Italie.
— Cela fait bien l’éloge de la popularité. — Mais, du reste, je ne te contredis nullement. Tu fais bien de suivre ton projet, parce que cela va faire la joie de tes rivaux. Il s’en trouvera d’assez impies pour égayer le public par d’agréables bouffonneries sur le récit de ta mort, et ce qu’ils n’auraient jamais pu accomplir, tu le fais pour eux : tu t’effaces. Tu fais bien de leur laisser ta part de cet os vide de la gloire que vous rongez tous. C’est généreux.
Cette corde vibre encore. Voyons ce que j’en tirerai.
On sait d’autant mieux ton nom que tu l’as voulu cacher.
Vraiment ? Je suis bien aise de savoir cela. — Eh bien ! on le prononcera plus librement après moi.
Toutes les routes le ramènent à son idée fixe. (Haut.) Mais il m’avait semblé, ce matin, que tu espérais quelque chose d’une lettre ?
Oui, j’avais écrit au lord-maire, M. Beckford, qui a connu mon père assez intimement. On m’avait souvent offert sa protection, je l’avais toujours refusée, parce que, je n’aime pas être protégé. — Je comptais sur des idées pour vivre. Quelle folie ! — Hier, elles m’ont manqué toutes ; il ne m’en est resté qu’une, celle d’essayer du protecteur.
M. Beckford passe pour le plus honnête homme et l’un des plus éclairés de Londres. Tu as bien fait. Pourquoi y as-tu renoncé depuis ?
Il m’a suffi depuis de la vue d’un homme.
Essaie de la vue d’un sage après celle d’un fou. — Que t’importe ?
Eh ! pourquoi ces retards ? Les hommes d’imagination sont éternellement crucifiés ; le sarcasme et la misère sont les clous de leur croix. Pourquoi voulez-vous qu’un autre soit enfoncé dans ma chair : le remords de s’être inutilement abaissé ? — Je veux sortir raisonnablement. J’y suis forcé.
Que le Seigneur me pardonne ce que je vais faire. Écoute, Chatterton ! je suis très vieux, je suis chrétien et de la secte la plus pure de la république universelle du Christ. J’ai passé tous mes jours avec mes frères dans la méditation, la charité et la prière. Je vais te dire, au nom de Dieu, une chose vraie, et, en la disant, je vais, pour te sauver, jeter une tache sur mes cheveux blancs.
Chatterton ! Chatterton ! tu peux perdre ton âme, mais tu n’as pas le droit d’en perdre deux. — Or, il y en a une qui s’est attachée à la tienne et que ton infortune vient d’attirer comme les Écossais disent que la paille attire le diamant radieux. Si tu t’en vas, elle s’en ira ; et cela, comme toi, sans être en état de grâce, et indigne pour l’éternité de paraître devant Dieu.
Chatterton ! Chatterton ! tu peux douter de l’éternité, mais elle n’en doute pas ; tu seras jugé selon tes malheurs et ton désespoir, et tu peux espérer miséricorde ; mais non pas elle, qui était heureuse et toute chrétienne. Jeune homme, je te demande grâce pour elle, à genoux, parce qu’elle est pour moi sur la terre comme mon enfant.
Mon Dieu ! mon ami, mon père, que voulez-vous dire ?… Serait-ce donc… ? Levez-vous !… Vous me faites honte… Serait-ce… ?
Grâce ! car, si tu meurs, elle mourra…
Mais qui donc ?
Parce qu’elle est faible de corps et d’âme, forte de cœur seulement.
Nommez-la ! Aurais-je osé croire !…
Si jamais tu lui dis ce secret, malheureux ! tu es un traître, et tu n’auras pas besoin de suicide ; ce sera moi qui te tuerai.
Est-ce donc… ?
Oui, la femme de mon vieil ami, de ton hôte… la mère des beaux enfants.
Kitty Bell !
Elle t’aime, jeune homme. Veux-tu te tuer encore ?
Hélas ! je ne puis donc plus vivre ni mourir ?
Il faut vivre, te taire et prier Dieu !
SCÈNE III.
Personne ! — Venez, mes enfants ! Il ne faut jamais se cacher, si ce n’est pour faire le bien.
Allez vite chez lui ! portez-lui… (Au quaker.) Je reviens, mon ami, je reviens vous écouter. (À ses enfants.) Portez-lui tous vos fruits. Ne dites pas que je vous envoie, et montez sans faire de bruit. — Bien ! Bien !
Eh bien ! mon ami, vous croyez donc que le bon lord-maire lui fera du bien ? Oh ! mon ami, je consentirai à tout ce que vous voudrez me conseiller !
Oui, il sera nécessaire que, dans peu de temps, il aille habiter une autre maison, peut-être même hors de Londres.
Soit à jamais bénie la maison où il sera heureux, puisqu’il ne peut l’être dans la mienne ! Mais qu’il vive, ce sera assez pour moi.
Je ne lui parlerai pas à présent de cette résolution ; je l’y préparerai par degrés.
Si vous voulez, je lui en parlerai, moi.
Pas encore : ce serait trop tôt.
Mais si, comme vous le dites, ce n’est pour lui qu’une habitude à rompre ?
Sans doute… il est fort sauvage. — Les auteurs n’aiment que leurs manuscrits… Il ne tient à personne, il n’aime personne… Cependant ce serait trop tôt.
Pourquoi donc trop tôt, si vous pensez que sa présence soit si fatale ?
Oui, je le pense, je ne me rétracte pas.
Cependant, si cela est nécessaire, je suis prête à le lui dire à présent ici.
Non, non, ce serait tout perdre.
Alors, mon ami, convenez-en, s’il reste ici, je ne puis pas le maltraiter : il faut bien que l’on tâche de le rendre moins malheureux. J’ai envoyé mes enfants pour le distraire ; et ils ont voulu absolument lui porter leur goûter, leurs fruits, que sais-je ? Est-ce un grand crime à moi, mon ami ? en est-ce un à mes enfants ?
On dit donc qu’il a fait de bien beaux livres ? Les avez-vous lus, ses livres ?
Oui, c’est un beau génie.
Et si jeune ! est-ce possible ? Ah ! vous ne voulez pas me répondre, et vous avez tort, car jamais je n’oublie un mot de vous. Ce matin, par exemple, ici même, ne m’avez-vous pas dit que rendre à un malheureux un cadeau qu’il a fait, c’est l’humilier et lui faire mesurer toute sa misère ? — Aussi je suis bien sûre que vous ne lui avez pas rendu sa Bible ? N’est-il pas vrai ? avouez-le.
en la lui faisant attendre.
Tiens, mon enfant, comme c’est moi qui te la donne, tu peux la garder.
Oh ! mon ami, mon père, votre bonté a quelquefois un air méchant, mais c’est toujours la bonté la meilleure. Vous êtes au-dessus de nous par votre prudence ; vous pourriez voir à vos pieds tous nos petits orages que vous méprisez, et cependant, sans être atteint, vous y prenez part ; vous en souffrez par indulgence, et puis vous laissez tomber quelques mots, et les nuages se dissipent, et nous vous rendons grâces, et les larmes s’effacent, et nous sourions, parce que vous l’avez permis.
Mon enfant ! ma chère enfant ! avec toi, du moins, je suis sûr de n’en avoir pas de regret. (On parle.) — On vient !… Pourvu que ce ne soit pas un de ses amis. — Ah c’est ce Talbot, j’en étais sûr.
SCÈNE IV.
Oui, oui, je vais les aller joindre tous ; qu’ils se réjouissent ! moi, je n’ai plus le cœur à leur joie. J’ai assez d’eux, laissez-les souper sans moi. Je me suis assez amusé à les voir se ruiner pour essayer de me suivre : à présent, ce jeu-là m’ennuie. — Monsieur Bell, j’ai à vous parler. — Vous ne m’aviez pas dit les chagrins et la pauvreté de mon ami, de Chatterton.
Mistress Bell, votre absence est nécessaire… pour un instant.
Mais, milord, ses chagrins, je ne les vois pas ; et, quant à sa pauvreté, je sais qu’il ne doit rien ici.
Ô Ciel ! comment fait-il ? Oh ! si vous saviez, et vous aussi, bon quaker, si vous saviez ce que l’on vient de m’apprendre ! D’abord ses beaux poèmes ne lui ont pas donné un morceau de pain. — Ceci est tout simple ; ce sont des poèmes, et ils sont beaux : c’est le cours naturel des choses. Ensuite, une espèce d’érudit, un misérable inconnu et méchant, vient de publier (Dieu fasse qu’il l’ignore !) une atroce calomnie. Il a prétendu prouver qu’Harold et tous ses poèmes n’étaient pas de lui. Mais moi, j’attesterai le contraire, moi qui l’ai vu les inventer à mes côtés, là, encore enfant ; je l’attesterai, je l’imprimerai, et je signerai Talbot.
C’est bien, jeune homme.
Mais ce n’est pas tout. N’avez-vous pas vu rôder chez vous un nommé Skirner ?
Oui, oui, je sais : un riche propriétaire de plusieurs maisons dans la Cité.
C’est cela.
Il est venu hier.
Eh bien ! il le cherche pour le faire arrêter, lui, trois fois millionnaire, pour quelque pauvre loyer qu’il lui doit. Et Chatterton… — Oh ! voilà qui est horrible à penser. — Je voudrais, tant cela fait honte au pays, je voudrais pouvoir le dire si bas que l’air ne pût l’entendre. — Approchez tous deux. — Chatterton, pour sortir de chez lui, a promis par écrit et signé… — oh ! je l’ai lu… — il a signé que, tel jour (et ce jour approche), il payerait sa dette, et que, s’il mourait dans l’intervalle, il vendait à l’École de chirurgie… on n’ose pas dire cela… son corps pour la payer ; et le millionnaire a reçu l’écrit !
Ô misère ! misère sublime !
Il n’y faut pas songer : je donnerai tout à son insu ; mais sa tranquillité, la comprenez-vous ?
Et sa fierté, ne la comprends-tu pas, toi, ami ?
Eh ! monsieur, je le connaissais avant vous, je veux le voir. — Je sais comment il faut lui parler. Il faut le forcer de s’occuper de son avenir… et, d’ailleurs, j’ai quelque chose à réparer.
Diable ! diable ! voilà une méchante affaire ; à le voir si bien avec vous, milord, j’ai cru que c’était un vrai gentleman, moi : mais tout cela pourra faire chez moi un esclandre. Tenez, franchement, je désire que ce jeune homme soit averti par vous qu’il ne peut demeurer plus d’un mois ici, milord.
N’en parlons plus, monsieur ; j’espère, s’il a la bonté d’y venir, que ma maison le dédommagera de la vôtre.
Avant que Sa Seigneurie se retire, j’aurais voulu lui demander quelque chose, avec la permission de monsieur Bell.
Vous n’avez pas besoin de ma permission. Dites ce qu’il vous plaira.
Milord connaît-il M. Beckford, le lord-maire de Londres ?
Parbleu ! madame, je crois même que nous sommes un peu parents ; je le vois toutes les fois que je crois qu’il ne m’ennuiera pas, c’est-à-dire une fois par an. — Il me dit toujours que j’ai des dettes, et pour mon usage je le trouve sot ; mais en général on l’estime.
M. le docteur m’a dit qu’il était plein de sagesse et de bienfaisance.
À vrai dire, et à parler sérieusement, c’est le plus honnête homme des trois royaumes. Si vous désirez de lui quelque chose… j’irai le voir ce soir même.
Il y a, je crois, ici quelqu’un qui aura affaire à lui, et…
Que voulez-vous dire ? Êtes-vous folle ?
Rien que ce qu’il vous plaira.
Mais laissez-la parler, au moins.
La seule ressource qui reste à Chatterton, c’est cette protection.
Est-ce pour lui ? J’y cours.
Comment donc savez-vous si bien ses affaires ?
Je les lui ai apprises, moi.
Si jamais !…
Oh ! ne vous emportez pas, monsieur ! nous ne sommes pas seuls.
Ne parlez plus de ce jeune homme.
Comme vous l’ordonnerez.
Milord, voici votre ami, vous saurez de lui-même ses sentiments.
SCÈNE V.
JOHN BELL, KITTY BELL.
Tom, je reviens pour vous rendre un service : me le permettez-vous ?
et ne cessant de regarder Kitty Bell pendant toute la scène.
Je suis résigné, George, à tout ce que l’on voudra, à presque tout.
Vous avez donc une mauvaise affaire avec ce fripon de Skirner ? Il veut vous faire arrêter demain.
Je ne le savais pas, mais il a raison.
Milord est trop bon pour lui ; voyez son air de hauteur…
A-t-il raison ?
Il a raison selon la loi. C’était hier que je devais le payer, ce devait être avec le prix d’un manuscrit inachevé, j’avais signé cette promesse ; si j’ai eu du chagrin, si l’inspiration ne s’est pas présentée à l’heure dite, cela ne le regarde pas.
Oui, je ne devais pas compter à ce point sur mes forces et dater l’arrivée d’une Muse et son départ comme on calcule la course d’un cheval. — J’ai manqué de respect à mon âme immortelle, je l’ai louée à l’heure et vendue. — C’est moi qui ai eu tort, je mérite ce qu’il en arrivera.
Je gagerais qu’il leur semble fou ! c’est trop beau pour eux.
Ah çà ! c’est de peur d’être de mon avis que vous le défendez.
C’est bien vrai, c’est pour contredire.
Non… Je pense à présent que tout le monde a raison, excepté les Poètes. La Poésie est une maladie du cerveau. Je ne parle plus de moi, je suis guéri.
Je n’aime pas qu’il dise cela.
Je n’écrirai plus un vers de ma vie, je vous le jure ; quelque chose qui arrive, je n’en écrirai plus un seul.
Hum ! il retombe.
Est-il vrai que vous comptiez sur M. Beckford, sur mon vieux cousin ? Je suis surpris que vous n’ayez pas compté sur moi plutôt.
Le lord-maire est à mes yeux le gouvernement, et le gouvernement est l’Angleterre, milord : c’est sur l’Angleterre que je compte.
Malgré cela, je lui dirai ce que vous voudrez.
Il ne le mérite guère.
Bien ! voilà une rivalité de protections. Le vieux lord voudra mieux protéger que le jeune. Nous y gagnerons peut-être.
Il me semble que j’entends une voiture.
SCÈNE VI.
Il vient lui-même, le lord-maire, pour M. Chatterton ! Rachel ! mes enfants ! quel bonheur ! embrassez-moi.
Les femmes ont des accès de folie inexplicables !
La mère donne à ses enfants un baiser d’amante sans le savoir.
et pompeusement dans un grand fauteuil.
Ah ! ah ! voici, je crois, tous ceux que je cherchais réunis. — Ah ! John Bell, mon féal ami, il fait bon vivre chez vous, ce me semble ! Car j’y vois de joyeuses figures qui aiment le bruit et le désordre plus que de raison. — Mais c’est de leur âge.
Milord, Votre Seigneurie est trop bonne de me faire l’honneur de venir dans ma maison une seconde fois.
Oui, pardieu ! Bell, mon ami, c’est la seconde fois que j’y viens… Ah ! les jolis enfants que voilà !… Oui, c’est la seconde fois, car la première, ce fut pour vous complimenter sur le bel établissement de vos manufactures ; et aujourd’hui je trouve cette maison nouvelle plus belle que jamais : c’est votre petite femme qui l’administre, c’est très bien. — Mon cousin Talbot, vous ne dites rien ! Je vous ai dérangé, George ; vous étiez en fête avec vos amis, n’est-ce pas ? Talbot, mon cousin, vous ne serez jamais qu’un libertin ; mais c’est de votre âge.
Ne vous occupez pas de moi, mon cher lord.
C’est ce que nous lui disons tous les jours, milord.
Et vous aussi, Lauderdale, et vous, Kingston ? toujours avec lui ? toujours des nuits passées à chanter, à jouer et à boire ? Vous ferez tous une mauvaise fin ; mais je ne vous en veux pas, chacun a le droit de dépenser sa fortune comme il l’entend. — John Bell, n’avez-vous pas chez vous un jeune homme nommé Chatterton, pour qui j’ai voulu venir moi-même ?
C’est moi, milord, qui vous ai écrit.
Ah ! c’est vous, mon cher ! Venez donc ici un peu, que je vous voie en face. J’ai connu votre père, un digne homme s’il en fut ; un pauvre soldat, mais qui avait bravement fait son chemin. Ah ! c’est vous qui êtes Thomas Chatterton ? Vous vous amusez à faire des vers, mon petit ami ; c’est bon pour une fois, mais il ne faut pas continuer. Il n’y a personne qui n’ait eu cette fantaisie. Hé ! hé ! j’ai fait comme vous dans mon printemps, et jamais Littleton, Swift et Wilkes n’ont écrit pour les belles dames des vers plus galants et plus badins que les miens.
Je n’en doute pas, milord.
Mais je ne donnais aux Muses que le temps perdu. Je savais bien ce qu’en dit Ben Jonson : que la plus belle Muse du monde ne peut suffire à nourrir son homme, et qu’il faut avoir ces demoiselles-là pour maîtresses, mais jamais pour femmes.
Bravo, milord ! c’est bien vrai !
Il veut le tuer à petit feu.
Rien de plus vrai, je le vois aujourd’hui, milord.
Votre histoire est celle de mille jeunes gens ; vous n’avez rien pu faire que vos maudits vers, et à quoi sont-ils bons, je vous prie ? Je vous parle en père, moi, à quoi sont-ils bons ? — Un bon Anglais doit être utile au pays. — Voyons un peu, quelle idée vous faites-vous de nos devoirs, à tous tant que nous sommes ?
Pour elle ! pour elle ! je boirai le calice jusqu’à la lie. (Haut.) Je crois les comprendre, milord. — L’Angleterre est un vaisseau. Notre île en a la forme : la proue tournée au nord, elle est comme à l’ancre, au milieu des mers, surveillant le continent. Sans cesse elle tire de ses flancs d’autres vaisseaux faits à son image, et qui vont la représenter sur toutes les côtes du monde. Mais c’est à bord du grand navire qu’est notre ouvrage à tous. Le Roi, les Lords, les Communes sont au pavillon, au gouvernail et à la boussole ; nous autres, nous devons tous avoir les mains aux cordages, monter aux mâts, tendre les voiles et charger les canons : nous sommes tous de l’équipage, et nul n’est inutile dans la manœuvre de notre glorieux navire.
Pas mal ! pas mal ! quoiqu’il fasse encore de la poésie ; mais en admettant votre idée, vous voyez que j’ai encore raison. Que diable peut faire le Poète dans la manœuvre ?
Il lit dans les astres la route que nous montre le doigt du Seigneur.
Qu’en dites-vous, milord ? lui donnez-vous tort ? Le pilote n’est pas inutile.
Imagination, mon cher ! ou folie, c’est la même chose ; vous n’êtes bon à rien, et vous vous êtes rendu tel par ces billevesées. — J’ai des renseignements sur vous… à vous parler franchement… et…
Milord, c’est un de mes amis, et vous m’obligerez en le traitant bien…
Oh ! vous vous y intéressez, George ? Eh bien ! vous serez content ; j’ai fait quelque chose pour votre protégé, malgré les recherches de Bale… Chatterton ne sait pas qu’on a découvert ses petites ruses de manuscrit ; mais elles sont bien innocentes, et je les lui pardonne de bon cœur. Le Magisterial est un bien bon écrit ; je vous l’apporte pour vous convertir, avec une lettre où vous trouverez mes propositions : il s’agit de cent livres sterling par an. Ne faites pas le dédaigneux, mon enfant ; que diable ! votre père n’était pas sorti de la côte d’Adam, il n’était pas frère du roi, votre père ; et vous n’êtes bon à rien qu’à ce qu’on vous propose, en vérité. C’est un commencement ; vous ne me quitterez pas, et je vous surveillerai de près.
Je consens à tout, milord.
Que milord est bon !
Voulez-vous accepter le premier toast, milord ?
Allez lui baiser la main.
Bien, mon ami, tu as été courageux.
J’étais sûr de mon gros cousin, Tom. — Allons, j’ai fait tant qu’il est à bon port.
John Bell, mon honorable Bell, conduisez-moi au souper de ces jeunes fous, que je les voie se mettre à table. — Cela me rajeunira.
Parbleu ! tout ira, jusqu’au quaker. — Ma foi, milord, que ce soit par vous ou par moi, voilà Chatterton tranquille ; allons, — n’y pensons plus.
Nous allons tous conduire milord.
Vous allez revenir faire les honneurs, je le veux.
N’ai-je pas fait tout ce que vous vouliez ?
Milord, je suis à vous tout à l’heure, j’ai quelques papiers à brûler.
Bien, bien !… Il se corrige de la poésie, c’est bien.
Mais rentrez donc chez vous, et souvenez-vous que je vous attends.
Pourquoi veut-il rester seul, mon Dieu ?
SCÈNE VII.
Allez, mes bons amis. — Il est bien étonnant que ma destinée change ainsi tout à coup. J’ai peine à m’y fier ; pourtant les apparences y sont. — Je tiens là ma fortune. — Qu’a voulu dire cet homme en parlant de mes ruses ? Ah ! toujours ce qu’ils disent tous. Ils ont deviné ce que je leur avouais moi-même, que je suis l’auteur de mon livre. Finesse grossière ! je les reconnais là ! Que sera cette place ? quelque emploi de commis ? Tant mieux, cela est honorable ! Je pourrai vivre sans écrire les choses communes qui font vivre. — Le quaker rentrera dans la paix de son âme que j’ai troublée, et elle ! Kitty Bell, je ne la tuerai pas, s’il est vrai que je l’eusse tuée. — Dois-je le croire ? J’en doute : ce que l’on renferme toujours ainsi est peu violent ; et, pour être si aimable, son âme est bien maternelle. N’importe, cela vaut mieux, et je ne la verrai plus. C’est convenu… autant eût valu me tuer. Un corps est aisé à cacher. — On ne le lui eût pas dit. Le quaker y eût veillé, il pense à tout. Et à présent, pourquoi vivre ? pour qui ?… — Pour qu’elle vive, c’est assez… Allons… arrêtez-vous, idées noires, ne revenez pas… Lisons ceci…
« Chatterton n’est pas l’auteur de ses œuvres… Voilà qui est bien prouvé. — Ces poèmes admirables sont réellement d’un moine nommé Rowley, qui les avait traduits d’un autre moine du dixième siècle, nommé Turgot… Cette imposture, pardonnable à un écolier, serait criminelle plus tard… Signé… Bale… » Bale ? Qu’est-ce que cela ? que lui ai-je fait ? — De quel égout sort ce serpent ?
Quoi ! mon nom étouffé ! ma gloire éteinte ! mon honneur perdu ! — Voilà le juge !… le bienfaiteur ! Voyons, qu’offre-t-il ?
Une place de premier valet de chambre dans sa maison !…
Ah ! pays damné ! terre du dédain ! sois maudite à jamais !
Ô mon âme, je t’avais vendue ! je te rachète avec ceci.
Skirner sera payé ! — Libre de tous ! égal à tous, à présent ! — Salut, première heure de repos que j’aie goûtée ! — Dernière heure de ma vie, aurore du jour éternel, salut ! — Adieu, humiliation, haines, sarcasmes, travaux dégradants, incertitudes, angoisses, misères, tortures du cœur, adieu ! Oh ! quel bonheur, je vous dis adieu ! — Si l’on savait ? si l’on savait ce bonheur que j’ai… on n’hésiterait pas si longtemps !
Ô Mort, Ange de délivrance, que ta paix est douce ! J’avais bien raison de t’adorer, mais je n’avais pas la force de te conquérir. — Je sais que tes pas seront lents et sûrs. Regarde-moi, Ange sévère, leur ôter à tous la trace de mes pas sur la terre.
Allez, nobles pensées écrites pour tous ces ingrats dédaigneux, purifiez-vous dans la flamme et remontez au ciel avec moi !
SCÈNE VIII.
N’allez-vous pas rejoindre milord ?
Déjà ! — Ah ! c’est vous ! — Ah ! madame ! à genoux ! par pitié ! oubliez-moi.
Eh ! mon Dieu ! pourquoi cela ? qu’avez-vous fait ?
Je vais partir. — Adieu ! — Tenez, madame, il ne faut pas que les femmes soient dupes de nous plus longtemps. Les passions des poètes n’existent qu’à peine. On ne doit pas aimer ces gens-là ; franchement, ils n’aiment rien ; ce sont tous des égoïstes. Le cerveau se nourrit aux dépens du cœur. Ne les lisez jamais et ne les voyez pas ; moi, j’ai été plus mauvais qu’eux tous.
Mon Dieu ! pourquoi dites-vous : « J’ai été ? »
Parce que je ne veux plus être poète ; vous le voyez, j’ai déchiré tout. — Ce que je serai ne vaudra guère mieux, mais nous verrons. Adieu ! — Écoutez-moi ! Vous avez une famille charmante ; aimez-vous vos enfants ?
Plus que ma vie, assurément.
Aimez donc votre vie pour ceux à qui vous l’avez donnée.
Hélas ! ce n’est que pour eux que je l’aime.
Eh ! quoi de plus beau dans le monde, ô Kitty Bell ! Avec ces anges sur vos genoux, vous ressemblez à la divine Charité.
Ils me quitteront un jour.
Rien ne vaut cela pour vous ! — C’est là le vrai dans la vie ! Voilà un amour sans trouble et sans peur. En eux est le sang de votre sang, l’âme de votre âme : aimez-les, madame, uniquement et par-dessus tout. Promettez-le-moi !
Mon Dieu ! vos yeux sont pleins de larmes, et vous souriez.
Puissent vos beaux yeux ne jamais pleurer et vos lèvres sourire sans cesse ! Ô Kitty ! ne laissez entrer en vous aucun chagrin étranger à votre paisible famille.
Hélas ! cela dépend-il de nous ?
Oui ! oui !… Il y a des idées avec lesquelles on peut fermer son cœur. — Demandez au quaker, il vous en donnera. — Je n’ai pas le temps, moi ; laissez-moi sortir.
Mon Dieu ! comme vous souffrez !
Au contraire. — Je suis guéri. — Seulement j’ai la tête brûlante. Ah ! bonté ! bonté ! tu me fais plus de mal que leurs noirceurs.
De quelle bonté parlez-vous ? Est-ce de la vôtre ?
Les femmes sont dupes de leur bonté. C’est par bonté que vous êtes venue. On vous attend là-haut j’en suis certain. Que faites-vous ici ?
À présent, quand toute la terre m’attendrait, j’y resterais.
Tout à l’heure je vous suivrai. — Adieu ! adieu !
Vous ne viendrez pas ?
J’irai. — J’irai.
Oh ! vous ne voulez pas venir.
Madame, cette maison est à vous, mais cette heure m’appartient.
Qu’en voulez-vous faire ?
Laissez-moi, Kitty. Les hommes ont des moments où ils ne peuvent plus se courber à votre taille et s’adoucir la voix pour vous… Kitty Bell, laissez-moi.
Jamais je ne serai heureuse si je vous laisse ainsi, monsieur.
Venez-vous pour ma punition ? Quel mauvais génie vous envoie ?
Une épouvante inexplicable.
Vous serez plus épouvantée si vous restez.
Avez-vous de mauvais desseins, grand Dieu ?
Ne vous en ai-je pas dit assez ? Comment êtes-vous là ?
Eh ! comment n’y serais-je plus ?
Parce que je vous aime, Kitty.
Ah ! monsieur, si vous me le dites, c’est que vous voulez mourir.
J’en ai le droit, de mourir. — Je le jure devant vous, et je le soutiendrai devant Dieu !
Et moi, je vous jure que c’est un crime ; ne le commettez pas.
Il le faut, Kitty, je suis condamné.
Attendez seulement un jour pour penser à votre âme.
Il n’y a rien que je n’aie pensé, Kitty.
Une heure seulement pour prier.
Je ne peux plus prier.
Et moi, je vous prie pour moi-même. Cela me tuera.
Je vous ai avertie ! il n’est plus temps.
Et si je vous aime, moi !
Je l’ai vu, et c’est pour cela que j’ai bien fait de mourir ; c’est pour cela que Dieu peut me pardonner.
Qu’avez-vous donc fait ?
Il n’est plus temps, Kitty ; c’est un mort qui vous parle.
Puissances du ciel ! grâce pour lui.
Allez-vous-en… Adieu !
Je ne le puis plus…
Eh bien donc ! prie pour moi sur la terre et dans le ciel.
Ah ! — Grand Dieu !
Qu’est-ce que cela ? — Mon Dieu ! pardonnez-lui.
SCÈNE IX.
Vous êtes perdue… Que faites-vous ici ?
Montez vite ! montez, monsieur, il va mourir ; sauvez-le… s’il est temps.
Reste, reste, mon enfant, ne me suis pas.
Mistress Bell !
Mistress Bell !
L’a-t-elle vu mourir ? l’a-t-elle vu ?
Ma fille ! ma fille !
entrant violemment et montant deux marches de l’escalier.
Que fait-elle ici ? Où est ce jeune homme ? Ma volonté est qu’on l’emmène !
Dites qu’on l’emporte, il est mort.
Mort ?
Oui, mort à dix-huit ans ! Vous l’avez tous si bien reçu, étonnez-vous qu’il soit parti !
Mais…
Arrêtez, monsieur, c’est assez d’effroi pour une femme.
Monsieur, emmenez ses enfants ! Vite, qu’ils ne la voient pas.
Eh bien ! eh bien ! Kitty ! Kitty ! qu’avez-vous ?
Oh ! dans ton sein ! dans ton sein, Seigneur, reçois ces deux martyrs !