Chauvin

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 278-279).


CHAUVIN

Air du Vieux Drapeau.


Par la volonté d’un despote
Nos chers enfants étaient partis…
Ils sont tombés anéantis
A Wissembourg et Gravelotte.
Du haut des airs, corbeaux, vautours,
Guettent leurs corps jonchant la terre.
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

« Ne plaignez pas les militaires,
Me dit un grognard d’autrefois.
Admirez ma jambe de bois,
J’ai figuré dans vingt affaires.
Au moindre rantanplan, j’accours ;
A moi, chauvin, la gloire est chère ! »
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

« Au camp entouré de fumée
On boit sans vin, on dort sans lit ;
L’on va, l’on vient, l’on obéit,
L’oreille au guet, mèche allumée,
On s’entr’égorge tous les jours,
Au lendemain ne pensant guère. »
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

« On dit : « Vieux soldat, vieille bête !
Nous méritons le nom de grand,
Quand Bonaparte en conquérant
Marchait superbe à notre tête.
Alors nous fêtions les amours
Par le viol et l’adultère. »
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !


« On tuait les hommes, les femmes,
On dévalisait les maisons ;
Sous prétexte de trahisons
Tout disparaissait dans les flammes.
Ah ! mon cœur s’en souvient toujours,
Pour le troupier quel doux salaire ! »
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

« Oui, nos aigles impériales
Ont vaincu bien des potentats :
Tout en dévastant les États
Nous rançonnions les capitales.
Au canon nous avions recours
Pour légitimer l’arbitraire. »
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

Pauvre vieux, tu n’es qu’une brute
Dans une culotte de peau ;
Ta gloire a perdu son drapeau
En le traînant de lutte en lutte ;
Et, pour charmer tes derniers jours
Tu t’admires en ta misère.
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

Hélas ! le chauvinisme en France
Tient lieu de toutes les vertus ;
Il n’enfante pas de Brutus,
Il rétrécit l’intelligence.
Pour plaire aux histrions des cours,
Caïn tue encore son frère.
La belle chose que la guerre !
Sonnez, clairons ! Battez, tambours !

Paul Avenel.


(Extrait de Chants et Chansons. A. Quantin, Éditeur. Paris.)