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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Anne de Rohan

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ANNE DE ROHAN.


Anne de Rohan, fille de Catherine de Parthenai, naquit en 1562 et se fit, comme sa mère, un grand nom dans les lettres. Elle aurait pu être un des plus grands poètes de son siècle ; mais sa piété la détourna du talent de la poésie. Cette demoiselle mourut en 1646.

Voici les stances qu’elle fit sur la mort de Henri IV :

Regrettons, soupirons cette sage prudence,
Cette extrême bonté, cette rare vaillance,
Ce cœur qui se pouvoit fléchir et non dompter,
Vertus de qui la perte est pour nous tant amère,
Et que je puis plutôt admirer que chanter,
Puisqu’à ce grand Achille il faudroit un Homère.

Jadis pour ses hauts faits nous élevions nos têtes :
L’ombre de ses lauriers nous gardoit des tempêtes.
Qui combattoit sous lui méconnoissoit l’effroi.
Alors nous nous prisions, nous méprisions les autres,
Étant plus glorieux d’être sujets du roi,
Que si les autres rois eussent été les nôtres.

Maintenant notre gloire est pour jamais ternie ;
Maintenant notre joie est pour jamais finie.
Près du tombeau sacré de ce roi valeureux,
Les lis sont abattus et nos fronts avec eux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mais parmi vos douleurs, parmi tant de misères,
Reine, au moins gardez-nous ces reliques si chères,
Sages de votre amour, espoir en nos malheurs.
Étouffez vos soupirs, séchez votre œil humide ;
Et pour calmer un jour l’orage de nos pleurs,
Soyez de cet état le secours et le guide.

O muses ! dans l’ennui qui nous accable tous,
Ainsi que nos malheurs, vos regrets sont extrêmes :
Vous pleurez de pitié quand vous songez à nous,
Vous pleurez de douleur en pensant à vous-mêmes.

Hélas ! puisqu’il est vrai qu’il a cessé de vivre
Ce prince glorieux, l’amour de ses sujets,
Que rien n’arrête au moins le cours de nos regrets,
Ou vivons pour le plaindre, ou mourons pour le suivre.