À valider

Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Antoinette de Loyne

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche

ANTOINETTE DE LOYNE.


(Tout ce qu’on sait d’Antoinette de Loyne, c’est qu’elle vivait dans le seizième siècle et qu’elle épousa un gentilhomme provençal.)


Traduction de quelques-uns des cent distiques des trois sœurs anglaises sur la mort de la reine de Navarre[1].


DISTIQUE.


En ce sainct lieu sont enclos
Et les cendres et les os
De la royne Marguerite :
O lieu sacré qui comprent
Un corps mort, toutes fois grand,
En terre par trop petite.

Combien que le corps soit mort,
Sa gloire n’est pas esteinte :
Qui plus est, la mort ne mord
En sa poésie saincte.

Elle est au ciel désormais,
Et rien n’en reste, sinon
Que l’entier et hault renon
Qui ne périra jamais.

Avec sainct Pol je dirai
Et croirai
Que la royne ici sommeille ;
Et que son corps n’est point mort,
Ains qu’il dort
Jusqu’au jour qu’il se réveille.

Vous, médecins, s’il vous plaist,
Ne travaillez plus pour elle :
Par son médecin elle est
Maintenant toute immortelle.

La royne entrant à la fin,
C’est lors qu’ell’ commence à vivre :
Elle meurt au monde affin
Qu’avec Dieu puisse revivre.

Que veid-elle en ces bas lieux
Qu’une tristesse aspre et dure ?
Que voit-ell’ là hault aux cieux,
Qu’un plaisir qui tousiours dure ?
 
Elle est morte, mais à Christ,
Et morte estant, son esprit
Vit à Christ de mort délivre.
Tel mourir comme est escript,
N’est sinon qu’à toy Christ vivre.
 
Si le monde doit fâcher
Où tant de malheur abonde,
Moy donc fille de la chair
Qui m’arreste encor au monde ?


Si le vivre m’est mourir,
Et le mourir ce m’est vie :
Que crains-je ? en toy je me fie,
O Christ ! vien me secourir.

La chair qui fut tant contraire
A l’esprit, luy a cédé.
Contencieux fut l’affaire,
Or, paix y a succédé.

Mon corps est refaict tout beau
Et belle est la forme mienne,
Ayant despouillé ma peau
Comme le serpent la sienne.

Christ seul à qui je servois
Eut et mon cœur et mon âme :
Dont je suys et royne et dame,
Plus grand’ que quand je vivois.
 
Qui a fait qu’en ces bas lieux
De vivre n’eut onc envie ?
La mort lui a faict aux cieux
Chemin de meilleure vie.

Faisant de ma vie eschange
A la mort qui m’a ravie :
Dieu au ciel soudain me range
De mort en seconde vie.

Le peintre, de son pinceau ;
L’engraveur, de son cyseau,
Rendront-ils sa forme feinte

En leur ouvrage parfaict,
Si bien que sa plume a faict
Quand soy-mesme elle s’est peinte ?

Mille, non un argument,
Si mille aucun en demande :
Monstrent qu’ores pleinement
La royne est heureuse et grande.

D’une infinité de sainctz
Ta saincte ame est toute ceincte ;
Et sainctement tu te ceinctz
D’une aultre infinité saincte.


SONNET.

À LA MÉMOIRE DE LA REINE DE NAVARRE[2].


Que dirois-tu, ô heureuse Minerve,
Si du hault ciel tu descendois pour voir,
De ces trois seurs[3] le tant divin sçavoir
Par qui l’honneur de ton loz se conserve ?

L’une meintient que tu as rendu serve
La chair, afin que l’esprit peût prévoir
Par vive foy le but de son debvoir
Et les grans biens que Dieu aux siens réserve.


Les aultres deux, poursuyvant le propos
Louent la mort, qui t’a mise en repos.
Dirois-tu pas, oyant leur mélodie
Tant doctement célébrer ton gran bien,
Mes seurs, il fault que ce mot je vous die :
Christ est mon tout, sans luy je n’estois rien.





  1. On remarquera dans ces distiques que tantôt c’est la reine qui parle, et tantôt Antoinette de Loyne.
  2. Marguerite de Valois, duchesse de Berry, femme d’Henri IV.
  3. Ces sœurs sont trois dames anglaises qui ont fait cent distiques en
    latin, en grec et en italien sur la mort de la reine de Navarre.