Aller au contenu

Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle Masquières

La bibliothèque libre.

MADEMOISELLE MASQUIÈRES.


Françoise Masquières, née à Paris, était fille d’un maître-d’hôtel du roi. Elle eut beaucoup de goût et de facilité pour la poésie, ce qui la mit en relation avec plusieurs personnes distinguées. On cite surtout parmi ses œuvres poétiques la Description de la galerie de Saint-Cloud et l’Origine du luth. L’ode que nous rapportons est extraite de la Bibliothèque poétique, 1745. Mademoiselle Masquières est morte en 1728. On a fait pour elle l’épitaphe suivante :

C’est ici le tombeau de la sage Masquière ;
Pour elle au roi des rois, passant, fais ta prière.
Son esprit, éclairé d’une douce clarté,
Fut rempli de solidité.
Ses vers furent ornés d’une noble élégance ;
Et l’on vit ses vertus, ses talents, sa science,
Couronnés par la piété.


ODE SUR LE MARTYRE.


Cessez, stoïque paganisme,
De nous vanter votre vertu :
Votre fastueux héroïsme
D’un vain éclat est revêtu.
Par un fol orgueil, vos faux sages,
Dans les douleurs, dans les outrages,

Ont su retenir leurs sanglots.
Un beau nom flattoit leur audace :
C’est par le secours de la grâce
Que se forment les vrais héros.

Une grêle de pierres vole,
Etienne s’en voit accablé ;
De l’injuste arrêt qui l’immole,
Son cœur ferme n’est point troublé.
Vous, dont la fureur criminelle
Ne sert qu’à redoubler son zèle,
Cruels bourreaux, cessez vos coups ;
Écoutez sa voix presqu’éteinte,
Qui, toujours muette à la plainte,
Demande au ciel grâce pour vous.

En vain de l’Eglise naissante
L’enfer attaque le berceau ;
Le sang des martyrs la cimente :
Il en naît un peuple nouveau.
De mille orages agitée,
Plus l’Eglise est persécutée,
Plus les chrétiens sont triomphants ;
Par leur perte elle est établie :
Son empire se multiplie
Dans les cendres de ses enfants.

Tyrans, dont le cœur est esclave
De tout ce qui frappe les sens,
Une jeune fille vous brave
Et rend vos efforts impuissants.
Employez menaces, promesses ;
Ni vos rigueurs ni vos caresses

Ne peuvent changer ses désirs ;
Et, malgré vos poursuites vaines,
Elle sait mépriser les peines
Et l’attrait des plus doux plaisirs.

Quel supplice affreux se prépare :
De regards le cirque entouré
Repaît d’un spectacle barbare
Un peuple de sang altéré.
Sortant d’une sombre tannière,
L’ours grince sa dent meurtrière,
Le lion agite ses flancs ;
À l’envi leur rage s’anime,
Ils dévorent de leur victime
Les membres épars et sanglants.

Transports d’une brutale haine,
Vos forfaits partout détestez,
Font rougir la nature humaine
De l’excès de vos cruautez.
Plus tigre que les tigres mêmes,
Aveugle en ses fureurs extrêmes,
L’homme ne connoît point de frein ;
Souvent leur furie impuissante
Respecta la proye innocente,
Livrée à leur avide faim.

Qu’il est beau de voir au martyre
Une mère amener ses fils !
De la nature qui soupire,
Elle étouffe les tendres cris.
Fruits généreux de mes entrailles,
Pour l’honneur du dieu des batailles,

Mourez ; que votre sort est doux !
Allez au ciel remplir vos places.
Dans l’ardeur de suivre vos traces,
J’y serai bientôt avec vous.

Vains tombeaux, riches mausolées,
Qu’à ses rois éleva Memphis,
De vos grandeurs aux pieds foulées,
Que sont devenus les débris ?
Hautes et fières pyramides.
Malgré vos fondements solides,
Le temps a pu vous terrasser ;
Et nos Catacombes célèbres
Renferment d’augustes ténèbres
Que la piété va percer.

Régnez au-dessus de nos têtes,
Saints et magnanimes guerriers ;
Qu’en tous lieux de superbes fêtes
Honorent vos sacrés lauriers.
Le triomphe suit la victoire ;
Jouissez en paix d’une gloire
Qui vous élève aux plus hauts rangs
Vivez ; votre immortelle vie
Ne peut plus vous être ravie
Par la malice des tyrans.