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Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle de la Chaise

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MADEMOISELLE DE LA CHAISE


Mademoiselle de la Chaise, qui paraît avoir vécu dans le xviie siècle, ne nous est connue que par le morceau de poésie dont nous donnons des fragments. L’idée en est assez heureuse pour faire excuser les négligences qui s’y trouvent.


FABLE.


l’amour, juge du matin, du midi et du soir,
qui disputent d’agréments.


Le Matin, le Midi, le Soir,
Eurent une dispute ensemble.
Mieux que son compagnon, chacun croyant valoir :
C’est ce qu’à bien des gens il semble.
Quoiqu’ils fussent tous trois du genre masculin,
Disputant d’agréments, ils devenoient femelles,
Et n’auroient pas cédé les moindres bagatelles,
Tant la dispute étoit en train.
L’Amour, ce dieu rôdant sans cesse par le monde,
Passant près des criards, à leur bruit s’arrêta.
Pour arbitre aussitôt chacun le souhaita.


Nous passons les plaidoyers du Matin et du Midi, et

nous en venons tout de suite à celui de leur compétiteur.



Alors l’aimable Soir, d’une façon tranquille,
Comme de tous le plus docile,
Le prit sur le ton le plus bas,
Et répondit à tous, sans aucun embarras :
« À l’égard de ces biens que le Midi, mon frère,
Prétend lui seul conduire à leur perfection,
Chacun de nous, à sa manière,
Concourt à leur production.
Nul de nous trois ne peut lui seul la faire entière.
Si la vive chaleur du Midi les mûrit,
L’air humide du Soir après les attendrit ;
Et si le Matin les fait croître,
La terre, qui leur donne l’être,
Sans ma fraîcheur et mon serein,
Devenant un ingrat terrain,
Par l’ardeur du Midi, qui la sèche et l’altère,
Ne seroit bientôt plus qu’une impuissante mère.

. . . . . . . . . . . . . . . .


Reste à considérer maintenant l’agréable.
Je ne veux point citer les plaisirs de la table ;
Je vais parler ici de ceux d’un plus haut rang.
C’est moi qui suis le temps des plaisirs de la vie,
Dont le dieu même qui m’entend,
Presque toujours de la partie,
Produit le charme le plus grand.
Sur le brillant gazon d’une verte prairie,
Je rassemble Philis, Amaranthe, Silvie ;
Je fais, par ma fraîcheur, éclater leur beauté ;
Et le charme secret dont leur ame est saisie
En respirant un air plus doux que l’ambroisie,
Leur donne plus d’amour et plus de liberté.
Jamais je ne révèle aucun tendre mystère,
Et mes frères découvrent tout.

Même sur ma conduite ils ne peuvent se taire,
Disant qu’avec la Nuit j’ai toujours quelque affaire,
Que je l’aime, et qu’on voit que je la pousse à bout ;
Bien plus, ils osent dire, et chacun le tolère,
Que nous sommes tous deux avec vous de complot.
La cour, en réglant cette affaire,
N’oublira pas d’en dire un mot.
La médisance est d’une ame vulgaire,
Et pour le moins mérite le cachot.

Nous passons aussi la requête que vinrent présenter les amants,

En équipage de clients,
Mal vêtus, mal peignés, force chagrins en tête,

Et nous arrivons au jugement.

La cour séant de relevée,
Vu le droit de ses chers amés féaux amants,
Et sans égard à ceux d’aucunes mères-grands,
De l’opposition desquelles main-levée
Est faite à tous les soupirants,
Ordonne que le Soir, comme plus favorable
Pour les délices des humains,
Comme plus frais, plus beau, plus doux, plus désirable,
Plus propre à dissiper les amoureux chagrins,
Sera déclaré préférable
A ses deux frères utérins :
Leur fait défense d’en médire,
Si quelquefois avec dame la Nuit
Il s’accommode sans rien dire,

Et trop avant chez elle la poursuit ;
À peine d’une heure d’amende,
Même de deux, suivant l’occasion ;
Sur le surplus de la demande
Contenue en leurs longs discours,
Touchant ce qu’à la terre ils donnent de secours :
Admonétant tout haut et blâmant les parties
De leurs fantasques jalousies,
Selon leurs plaidoyers entendus tour à tour,
A mis icelles hors de cour.