Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle Poulain

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MADEMOISELLE POULAIN.


Cette demoiselle, née à Nogent-sur-Seine, a publié les ouvrages suivants : 1o Lettre de madame la comtesse de Rivière, 1783 ; 2o Tableau de la parole, 1783 ; 3o Nouvelle histoire de Port-Royal, 1786 ; 4o Anecdotes intéressantes de l’amour conjugal, 1786 ; 5o Poésies diverses, 1787.


LE PRINTEMS.

stances.


Le bruit des aquilons ne se fait plus entendre.
L’air est doux et serein : tout renaît en ces lieux ;
Et si Flore en devient plus tendre,
Zéphire en est plus amoureux.

De l’aimable printems nous goûtons tous les charmes
Nos cœurs et nos esprits ressentent sa douceur ;
Et l’Aurore verse des larmes
Dont Céphale n’est plus l’auteur.

Cette nymphe déjà de larmes précieuses
Enrichit nos vergers, nos parterres de fleurs ;
Là mille odeurs délicieuses
Donnent le prix à ses faveurs.


Le papillon léger, comme l’amant volage,
De belle en belle va raconter son tourment.
La constance est un esclavage
Qui déplaît à plus d’un amant.

La nature aux mortels rend un sensible hommage ;
Phébus répand ses feux sur ce vaste univers :
Tout nous retrace le bel âge,
Et sur la terre et dans les airs.

Les arbres ont repris leur verdoyant feuillage ;
Sous leur voûte l’on sent voler mille zéphirs :
Les amours vont sous leur ombrage
Former les plus tendres désirs.

Les oiseaux amoureux, par le plus doux ramage,
De la belle saison nous chantent les douceurs ;
Et Philomèle, en son langage,
Fait le récit de ses malheurs.

Mais, par des chants si beaux, nous fait-elle l’histoire
Du plus cruel amant, du plus barbare amour ?
Non, elle chante la victoire
Que la vengeance eut à son tour.

La bergère déjà, vers la tendre prairie
Conduisant son troupeau, précipite ses pas ;
Et la campagne refleurie
Ne fait qu’augmenter ses appas.

Son berger qui la suit, dans son transport extrême.
Lui prouve son amour par son trouble charmant ;
Et, sans lui dire : Je vous aime,
Elle le devine aisément.


Son cœur paroît sensible au berger qu’elle enchante ;
Et sans amour encore il feint de s’enflammer
C’est toujours par-là qu’une amante
Voit si son berger sait aimer.

C’est dans le calme heureux de son indifférence,
Qu’elle dispose alors son cœur pour son berger.
L’amour éprouvé, la constance,
Font fuir la crainte et le danger.

Un cœur ne peut tenir contre un cœur qui l’adore ;
Après l’épreuve il vient un précieux moment ;
On l’aime, il aime plus encore,
Pour payer son retardement.

Heureux donc un berger tendre, prudent et sage,
Qui sait peindre le feu d’un véritable amour !
Sa bergère en reçoit l’hommage,
Et lui peint le sien à son tour.

Quand un amant est sûr d’une pleine victoire,
Son âme oublie alors ses soucis, sa langueur ;
Il ne rappelle à sa mémoire
Que le charme d’être vainqueur.


LA MODÉRATION ET LES INGRATS.

épigramme.


Doris a fait un roman amusant,
Sage, semé de traits curieux de l’histoire.
D’anecdotes qui font sa gloire,
Loué du journaliste et goûté du savant.

À des concitoyens elle a donné l’ouvrage.
Eux, sots, méchants, d’abord l’ont épluché ;
Puis l’ont censuré, décrié
Doris, tranquille au milieu de l’orage,
Dit, en se riant des mépris :
Nul n’est prophète en son pays.


À l’amitié.


élégie.


Toi que l’on déifie à bon droit en tous lieux,
Déesse de mon cœur, digne présent des dieux,
Amitié précieuse, Amitié véritable,
Où faut-il te chercher dans ce tems déplorable,
En ce tems où tout est simulé, faux, trompeur ?
Ah ! l’encens que l’on t’offre aujourd’hui fait horreur
L’intérêt qui l’allume est un feu qui sait feindre.
Qu’un même moment voit s’exhaler et s’éteindre.
On ne vit que pour soi : nos douces liaisons
N’ont plus rien d’assuré dans ces dures saisons ;
Le tems de l’âge d’or, où tout étoit paisible,
Pourra-t-il à nos maux être jamais sensible ?
Ne viendra-t-il jamais reparoître à nos yeux,
Et nous faire passer des jours délicieux ?
Hélas ! ce tems n’est plus : l’ambition, l’envie,
L’importune grandeur, font le plan de la vie.
La vertu n’est de rien : on la laisse en langueur ;
L’argent, le vil argent seul mène droit au cœur,
Et, paré de ton nom, l’homme, plein d’artifice,
Demande, exige encore un retour de justice.

Ô toi, qui de moi-même as voulu triompher,
Vraie et pure Amitié, viens me favoriser ;
Oui, viens, protége-moi, sois ma seule fortune :
Qu’une bonté de cœur, une ame peu commune,
Me fassent des amis dont la société
Soit à jamais pour moi joie et félicité