Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/04

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Prière pour le Roi Henri le Grand

Ô DIEU, dont les bontés de nos larmes touchées
Ont aux vaines fureurs les armes arrachées,
Et rangé l’insolence aux pieds de la raison,
Puisque à rien d’imparfait ta louange n’aspire,
Achève ton ouvrage au bien de cet empire,
Et nous rends l’embonpoint comme la guérison.

Nous sommes sous un roi si vaillant et si sage,
Et qui si dignement a fait l’apprentissage
De toutes les vertus propres à commander,
Qu’il semble que cet heur nous impose silence,
Et qu’assurés par lui de toute violence,
Nous n’avons plus sujet de te rien demander.

Certes quiconque a vu pleuvoir dessus nos têtes
Les funestes éclats des plus grandes tempêtes
Qu’excitèrent jamais deux contraires partis,
Et n’en voit aujourd’hui nulle marque paraître,
En ce miracle seul il peut assez connaître
Quelle force a la main qui nous a garantis.

Mais quoi ! De quelque soin qu’incessamment il veille,
Quelque gloire qu’il ait à nulle autre pareille,
Et quelque excès d’amour qu’il porte à notre bien,
Comme échapperons-nous en des nuits si profondes,
Parmi tant de rochers que lui cachent les ondes,
Si ton entendement ne gouverne le sien ?

Un malheur inconnu glisse parmi les hommes,
Qui les rend ennemis du repos où nous sommes :
La plupart de leurs vœux tendent au changement ;
Et comme s’ils vivaient des misères publiques,
Pour les renouveler ils font tant de pratiques,
Que qui n’a point de peur n’a point de jugement.


En ce fâcheux état ce qui nous réconforte,
C’est que la bonne cause est toujours la plus forte,
Et qu’un bras si puissant t’ayant pour son appui,
Quand la rébellion plus qu’une hydre féconde
Aurait pour le combattre assemblé tout le monde,
Tout le monde assemblé s’enfuirait devant lui.

Conforme donc, Seigneur, ta grâce à nos pensées ;
Ôte-nous ces objets qui des choses passées
Ramènent a nos yeux le triste souvenir ;
Et comme sa valeur, maîtresse de l’orage,
À nous donner la paix a montré son courage,
Fais luire sa prudence à nous l’entretenir.

Il n’a point son espoir au nombre des armées,
Étant bien assuré que ces vaines fumées
N’ajoutent que de l’ombre à nos obscurités.
L’aide qu’il veut avoir, c’est que tu le conseilles ;
Si tu le fais, Seigneur, il fera des merveilles,
Et vaincra nos souhaits par nos prospérités.

Les fuites des méchants, tant soient-elles secrètes,
Quand il les poursuivra, n’auront point de cachettes
Aux lieux les plus profonds ils seront éclairés ;
Il verra sans effet leur honte se produire,
Et rendra les desseins qu’ils feront pour lui nuire
Aussitôt confondus comme délibérés.

La rigueur de ses lois, après tant de licence,
Redonnera le cœur à la faible innocence,
Que dedans la misère on faisait envieillir.
À ceux qui l’oppressaient il ôtera l’audace ;
Et sans distinction de richesse ou de race,
Tous de peur de la peine auront peur de faillir.

La terreur de son nom rendra nos villes fortes,
On n’en gardera plus ni les murs ni les portes,

Les veilles cesseront au sommet de nos tours ;
Le fer mieux employé cultivera la terre,
Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre,
Si ce n’est pour danser, n’aura plus de tambours.

Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices,
L’oisive nonchalance et les molles délices,
Qui nous avaient portés jusqu’aux derniers hasards ;
Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs, aux mérites données,
Feront ressusciter l’excellence des arts.

La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte,
Dont il porte dans l’âme une éternelle empreinte,
D’actes de piété ne pourront l’assouvir ;
Il étendra ta gloire autant que sa puissance,
Et n’ayant rien si cher que ton obéissance,
Où tu le fais régner, il te fera servir.

Tu nous rendras alors nos douces destinées ;
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années,
Qui pour les plus heureux n’ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

La fin de tant d’ennuis dont nous fûmes la proie
Nous ravira les sens de merveille et de joie ;
Et d’autant que le monde est ainsi composé,
Qu’une bonne fortune en craint une mauvaise,
Ton pouvoir absolu, pour conserver notre aise,
Conservera celui qui nous l’aura causé.

Quand un roi fainéant, la vergogne des princes,
Laissant à ses flatteurs le soin de ses provinces,
Entre les voluptés indignement s’endort,
Quoique l’on dissimule, on n’en fait point d’estime ;

Et si la vérité se peut dire sans crime,
C’est avecque plaisir qu’on survit à sa mort.

Mais ce roi, des bons rois l’éternel exemplaire.
Qui de notre salut est l’ange tutélaire,
L’infaillible refuge et l’assuré secours,
Son extrême douceur ayant dompté l’envie,
De quels jours assez longs peut-il borner sa vie,
Que notre affection ne les juge trop courts ?

Nous voyons les esprits nés à la tyrannie,
Ennuyés de couver leur cruelle manie,
Tourner tous leurs conseils à notre affliction ;
Et lisons clairement dedans leur conscience,
Que s’ils tiennent la bride à leur impatience,
Nous n’en sommes tenus qu’à sa protection.

Qu’il vive donc, Seigneur, et qu’il nous fasse vivre !
Que de toutes ces peurs nos âmes il délivre ;
Et rendant l’univers de son heur étonné,
Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque
Au nom qu’il s’est acquis du plus rare monarque
Que ta bonté propice ait jamais couronné !

Cependant son dauphin, d’une vitesse prompte,
Des ans de sa jeunesse accomplira le compte ;
Et suivant de l’honneur les aimables appas,
De faits si renommés ourdira son histoire,
Que ceux qui dedans l’ombre éternellement noire
Ignorent le soleil, ne l’ignoreront pas.

Par sa fatale main qui vengera nos pertes,
L’Espagne pleurera ses provinces désertes,
Ses châteaux abattus et ses camps déconfits ;
Et si de nos discords l’infâme vitupère
A pu la dérober aux victoires du père,
Nous la verrons captive aux triomphes du fils.