Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/05

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Sur l’Attentat

commis en la Personne de Henri le Grand
le 19 Décembre 1605


QUE direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures
De nos abominables jours ?
Lirez-vous, sans rougir de honte,
Que notre impiété surmonte
Les faits les plus audacieux
Et les plus dignes du tonnerre,
Qui firent jamais à la terre
Sentir la colère des cieux ?

Ô que nos fortunes prospères
Ont un change bien apparent !
Ô que du siècle de nos pères
Le nôtre s’est fait différent !
La France, devant ces orages,
Pleine de mœurs et de courages
Qu’on ne pouvait assez louer,
S’est faite aujourd’hui si tragique,
Qu’elle produit ce que l’Afrique
Aurait vergogne d’avouer.

Quelles preuves incomparables
Peut donner un prince de soi,
Que les rois les plus adorables
N’en quittent l’honneur à mon roi ?
Quelle terre n’est parfumée
Des odeurs de sa renommée ?
Et qui peut nier qu’après Dieu,
Sa gloire, qui n’a point d’exemples,

N’ait mérité que dans nos temples
On lui donne le second lieu ?

Qui ne sait point qu’à sa vaillance
Il ne se peut rien ajouter ?
Qu’on reçoit de sa bienveillance
Tout ce qu’on en doit souhaiter ?
Et que si de cette couronne,
Que sa tige illustre lui donne,
Les lois ne l’eussent revêtu,
Nos peuples d’un juste suffrage
Ne pouvaient, sans faire naufrage,
Ne l’offrir point à sa vertu ?

Toutefois, ingrats que nous sommes,
Barbares et dénaturés,
Plus qu’en ce climat où les hommes
Par les hommes sont dévorés,
Toujours nous assaillons sa tête
De quelque nouvelle tempête ;
Et d’un courage forcené,
Rejetant son obéissance,
Lui défendons la jouissance
Du repos qu’il nous a donné.

La main de cet esprit farouche,
Qui, sorti des ombres d’enfer,
D’un coup sanglant frappa sa bouche,
À peine avait laissé le fer ;
Et voici qu’un autre perfide,
Où la même audace réside,
Comme si détruire l’État
Tenait lieu de juste conquête,
De pareilles armes s’apprête
À faire un pareil attentat.


Ô soleil, ô grand luminaire !
Si jadis l’horreur d’un festin
Fit que de ta route ordinaire
Tu reculas vers le matin,
Et d’un émerveillable change
Te couchas aux rives du Gange,
D’où vient que ta sévérité,
Moindre qu’en la faute d’Atrée,
Ne punit point cette contrée
D’une éternelle obscurité ?

Non, non, tu luis sur le coupable,
Comme tu fais sur l’innocent ;
Ta nature n’est point capable
Du trouble qu’une âme ressent ;
Tu dois ta flamme à tout le monde ;
Et ton allure vagabonde
Comme une servile action
Qui dépend d’une autre puissance,
N’ayant aucune connaissance,
N’a point aussi d’affection.

Mais, ô planète belle et claire,
Je ne parle pas sagement ;
Le juste excès de la colère
M’a fait perdre le jugement ;
Ce traître, quelque frénésie
Qui travaillât sa fantaisie,
Eut encore assez de raison
Pour ne vouloir rien entreprendre,
Bel astre, qu’il n’eût vu descendre
Ta lumière sous l’horizon.

Au point qu’il écuma sa rage,
Le dieu de Seine était dehors

 
À regarder croître l’ouvrage
Dont ce prince embellit ses bords.
Il se resserra tout à l’heure
Au plus bas lieu de sa demeure ;
Et ses nymphes dessous les eaux,
Toutes sans voix et sans haleine,
Pour se cacher furent en peine
De trouver assez de roseaux.

La terreur des choses passées
À leurs yeux se ramentevant
Faisait prévoir à leurs pensées
Plus de malheurs qu’auparavant ;
Et leur était si peu croyable
Qu’en cet accident effroyable
Personne les pût secourir,
Que, pour en être dégagées
Le ciel les aurait obligées,
S’il leur eût permis de mourir.

Revenez, belles fugitives ;
De quoi versez-vous tant de pleurs ?
Assurez vos âmes craintives,
Remettez vos chapeaux de fleurs.
Le roi vit, et ce misérable,
Ce monstre vraiment déplorable,
Qui n’avait jamais éprouvé
Que peut un visage d’Alcide,
A commencé le parricide,
Mais il ne l’a pas achevé.

Pucelles, qu’on se réjouisse ;
Mettez-vous l’esprit en repos ;
Que cette peur s’évanouisse,
Vous la prenez mal à propos ;

Le roi vit, et les destinées
Lui gardent un nombre d’années
Qui fera maudire le sort
À ceux dont l’aveugle manie
Dresse des plans de tyrannie
Pour bâtir quand il sera mort.

Ô bienheureuse intelligence,
Puissance, quiconque tu sois,
Dont la fatale diligence
Préside à l’empire françois !
Toutes ces visibles merveilles
De soins, de peines et de veilles,
Qui jamais ne t’ont pu lasser,
N’ont-elles pas fait une histoire
Qu’en la plus ingrate mémoire
L’oubli ne saurait effacer ?

Ces archers aux casaques peintes
Ne peuvent pas n’être surpris,
Ayant à combattre les feintes
De tant d’infidèles esprits.
Leur présence n’est qu’une pompe :
Avecque peu d’art on les trompe.
Mais de quelle dextérité
Se peut déguiser une audace,
Qu’en l’âme aussitôt qu’en la face
Tu n’en lises la vérité ?

Grand démon d’éternelle marque,
Fais qu’il te souvienne toujours
Que tous nos maux en ce monarque
Ont leur refuge et leur secours ;
Et qu’arrivant l’heure prescrite,
Que le trépas, qui tout limite,

 
Nous privera de sa valeur,
Nous n’avons jamais eu d’alarmes
Où nous ayons versé des larmes
Pour une semblable douleur.

Je sais bien que par la justice,
Dont la paix accroît le pouvoir,
Il fait demeurer la malice
Aux bornes de quelque devoir,
Et que son invincible épée
Sous telle influence est trempée,
Qu’elle met la frayeur partout
Aussitôt qu’on la voit reluire :
Mais quand le malheur veut nous nuire,
De quoi ne vient-il point à bout ?

Soit que l’ardeur de la prière
Le tienne devant un autel,
Soit que l’honneur à la barrière
L’appelle à débattre un cartel,
Soit que dans la chambre il médite,
Soit qu’aux bois la chasse l’invite,
Jamais ne t’écarte si loin,
Qu’aux embûches qu’on lui peut tendre
Tu ne sois prêt à le défendre,
Sitôt qu’il en aura besoin.

Garde sa compagne fidèle,
Cette reine, dont les bontés
De notre faiblesse mortelle
Tous les défauts ont surmontés.
Fais que jamais rien ne l’ennuie ;
Que toute infortune la fuie ;
Et qu’aux roses de sa beauté
L’âge, par qui tout se consume,

Redonne contre sa coutume
La grâce de la nouveauté.

Serre d’une étreinte si ferme
Le nœud de leurs chastes amours,
Que la seule mort soit le terme
Qui puisse en arrêter le cours.
Bénis les plaisirs de leur couche,
Et fais renaître de leur souche
Des scions si beaux et si verts,
Que de leur feuillage sans nombre
À jamais ils puissent faire ombre
Aux peuples de tout l’univers.

Surtout pour leur commune joie
Dévide aux ans de leur dauphin,
À longs filets d’or et de soie,
Un bonheur qui n’ait point de fin ;
Quelques vœux que fasse l’envie,
Conserve-leur sa chère vie ;
Et tiens par elle ensevelis
D’une bonace continue
Les aquilons, dont sa venue
A garanti les fleurs de lis.

Conduis-le sous leur assurance
Promptement jusques au sommet
De l’inévitable espérance
Que son enfance leur promet.
Et pour achever leurs journées,
Que les oracles ont bornées
Dedans le trône impérial,
Avant que le ciel les appelle.
Fais-leur ouïr cette nouvelle,
Qu’il a rasé l’Escurial.