Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/26

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Ode


 HÉLÈNE, Oriane, Angélique,
 Je ne suis plus de vos amants.
 Loin de moi l’éclat magnifique
 Des noms puisés dans les romans.

 Ma passion, quoi qu’amour fasse,
 Ne fera plus son paradis
 Des beautés qui mettent leur race
 Plus haut que celle d’Amadis.

 Pour baiser la robe ou la jupe
 Des femmes de bonne maison,
 Il faut qu’une amoureuse dupe
 Perde son bien et sa raison.

 Il faut que toujours il se couvre
 De superbes habillements,
 Et qu’il aille chercher au Louvre
 De la grâce et des compliments.

 Vive Barbe, Alix et Nicolle,
 Dont les simples naïvetés
 Ne furent jamais à l’école
 Des ruses et des vanités !

 Une santé fraîche et robuste
 Fait que toujours leur teint est net ;
 Et lorsque leur beauté s’ajuste,
 La campagne est leur cabinet.


 Sans donner ni bal, ni musique,
 Sans emprunter chez les marchands,
 Et sans débiter rhétorique,
 Je plais aux Calistes des champs.

 Leur âme n’est pas inhumaine
 Pour tirer mes vœux en longueur ;
 Jamais je n’ai perdu l’haleine
 En courant après leur rigueur.

 Adieu, pompeuses damoiselles
 Que le fard cache aux yeux de tous,
 Et qui ne fûtes jamais belles
 Que d’un beau qui n’est pas à vous !

 J’en veux aux femmes de village,
 Je n’aime plus en autre part ;
 La nature, en leur beau visage,
 Fait la figue aux secrets de l’art.