Chefs d’œuvre lyriques (Malherbe)/43

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Le Soleil levant


JEUNE déesse au teint vermeil
 Que l’Orient révère,
Aurore, fille du Soleil,
 Qui nais devant ton père,
Viens soudain me rendre le jour,
Pour voir l’objet de mon amour.


Certes, la nuit a trop duré,
 Déjà les coqs t’appellent ;
Remonte sur ton char doré,
 Que les Heures attellent,
Et viens montrer à tous les yeux
De quel émail tu peins les cieux.

Laisse ronfler ton vieux mari,
 Dessus l’oisive plume,
Et, pour plaire à ton favori,
 Tes plus beaux feux rallume ;
Il t’en conjure à haute voix,
En menant son limier au bois.

Mouille promptement les guérets
 D’une fraîche rosée,
Afin que la soif de Cérès
 En puisse être apaisée,
Et fais qu’on voie, en cent façons,
Pendre tes perles aux buissons.

Ah ! je te vois, douce clarté !
 Sois-tu la bien venue !
Je te vois, céleste beauté,
 Paraître sur la nue,
Et ton étoile en arrivant,
Blanchit les coteaux du levant.

Le silence et le morne roi
 Des visions funèbres
Prennent la fuite devant toi
 Avecque les ténèbres,
Et les hiboux qu’on oit gémir
S’en vont chercher place à dormir.


Mais, au contraire, les oiseaux
  Qui charment les oreilles
Accordent au doux bruit des eaux
 Leurs gorges non pareilles,
Célébrant les divins appas
Du grand astre qui suit tes pas.

La Lune, qui le voit venir,
 En est toute confuse ;
Sa lueur, prête à se ternir,
 À nos yeux se refuse,
Et son visage, à cet abord
Sent comme une espèce de mort.

Le voilà sur notre horizon,
 En sa pointe première.
Ô que l’Éthiope a raison
 D’adorer sa lumière !
Et qu’il doit priser la couleur
Qui lui vient de cette chaleur !

C’est le dieu sensible aux humains,
 C’est l’œil de la nature ;
Sans lui les œuvres de ses mains
 Naîtraient à l’aventure,
Ou plutôt on verrait périr,
Tout ce qu’on voit croître et fleurir.

Aussi pleine d’un saint respect,
 Quand le jour se rallume,
La Terre, à ce divin aspect,
 N’est qu’un autel qui fume,
Et qui pousse en haut comme encens,
Ses sacrifices innocents.


Au vif éclat de ses rayons,
 Flattés d’un gai zéphire,
Ces monts sur qui nous les voyons
 Se changent en porphyre,
Mi sa splendeur fait de tout l’air
Un long et gracieux éclair.

Bref, la nuit devant ses efforts,
 En ombres séparée,
Se cache derrière les corps,
 De peur d’être éclairée,
Et diminue ou va croissant,
Selon qu’il monte ou qu’il descend.

Le berger, l’ayant révéré
 À sa façon champêtre,
En un lieu frais et retiré
 Ses brebis mène paitre,
Et se plaît à voir ce flambeau
Si clair, si serein, et si beau.

L’aigle, dans une aire à l’écart,
 Étendant son plumage,
L’observe d’un fixe regard
 Et lui rend humble hommage,
Comme au feu le plus animé
Dont son œil puisse être charmé.

Le chevreuil solitaire et doux
 Voyant sa clarté pure,
Briller sur les feuilles de houx
 Et dorer leur verdure,
Sans nulle crainte de veneur
Tâche à lui faire quelque honneur.


Le cygne, joyeux de revoir
 Sa renaissante flamme,
De qui tout semble recevoir
 Chaque jour nouvelle âme,
Voudrait, pour chanter ce plaisir,
Que la Parque le vint saisir.

Le saumon, dont au renouveau,
 Thétis est dépourvue,
Nage doucement à fleur d’eau
 Pour jouir de sa vue,
Et montre au pêcheur indigent,
Ses riches écailles d’argent.

L’abeille, pour boire des pleurs,
 Sort de sa ruche aimée,
Et va sucer l’âme des fleurs
 Dont la plaine est semée ;
Puis de cet aliment du ciel,
Elle fait la cire et le miel.

Le gentil papillon la suit
 D’une aile trémoussante,
 Et, voyant le soleil qui luit,
Vole de plante en plante,
Pour les avertir que le jour
En ce climat est de retour.

Là, dans nos jardins embellis
 De mainte rare chose,
Il porte, de la part du lis,
 Un baiser à la rose,
Et semble, en messager discret,
Lui dire un amoureux secret.


Au même temps, il semble à voir
 Qu’en éveillant ses charmes,
Cette belle lui fait savoir,
 Le teint baigné de larmes,
Quel ennui la va consumant
D’être si loin de son amant…

Reine des fleurs, apaise-toi ;
 Voici venir Sylvie,
Qui t’apporte en elle de quoi
 Contenter cette envie,
Car sa main de lys a dessein
De te loger en son beau sein.